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Le rapport publié le 23 mai 2025 par l’INRAE et le CNRS sur les plastiques utilisés en agriculture et dans l’alimentation est précieux. Les conclusions de cette étude, menée par une trentaine de scientifiques ayant épluché plus de 4 500 publications scientifiques internationales, sont alarmantes. Danièle Mauduit nous alerte.

Le plastique, fantastique ou catastrophique ?

Par Danièle Mauduit. Le 2 juin 2025.

Un rapport scientifique

Moins médiatisé que le festival de Cannes ou la Ligue des champions, le rapport publié le 23 mai 2025 par l’INRAE et le CNRS sur les plastiques utilisés en agriculture et dans l’alimentation confirme celui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques présenté le 14 novembre 2024.

Cette étude, menée par une trentaine de scientifiques ayant épluché plus de 4 500 publications scientifiques internationales, est d’autant plus précieuse qu’au niveau européen, ce sont les acteurs du secteur privé des plastiques qui produisent des estimations…

Et les conclusions de l’INRAE et du CNRS sont alarmantes.

Le secteur agroalimentaire utilise 20 % des 6,4 millions de tonnes des matières consommées en France. 91 % servent à l’emballage des aliments et boissons et 9 % aux usages agricoles dont 73 % pour l’élevage. La composition et la structure des plastiques se sont complexifiées, rendant leur recyclage plus difficile. Près des 2/3 des plastiques échouent à la décharge. Tous les sols contiennent des microplastiques, notamment les sols agricoles, dépassant sans doute en tonnage la pollution des océans.1Communiqué de presse INRAE- CNRS du 23 mai 2025

Santé et écosystèmes en péril

Les scientifiques rapportent que « plus de 1 000 constituants des plastiques ont été identifiés comme ayant une capacité de migration des plastiques vers les aliments avec lesquels ils sont en contact. Tous les organismes vivants sont contaminés par des microplastiques, retrouvés dans la plupart des organes (poumons, système digestif, placenta humain, lait maternel…). Selon des études précliniques, micro et nanoplastiques induisent des pathologies, notamment sur le système reproducteur, des inflammations, des fibroses. »

Ils alertent aussi sur l’effet « cheval de Troie » des microplastiques qui peuvent adsorber et libérer d’autres contaminants (métaux lourds, antibiotiques, pesticides…) une fois dans notre organisme. Leur impact sur le fonctionnement des écosystèmes pourrait, à terme, menacer notre approvisionnement en nourriture. Toute la chaîne alimentaire est contaminée.

Les mastodontes de la chimie et de l’agroalimentaire aux manettes

Impulsés par des géants de la chimie

Les industriels de la chimie de synthèse, née fin du XIXᵉ   siècle, ont édifié de grands empires dont les intérêts ont épousé ceux des États en guerre (armes chimiques : Dupont, Monsanto, Bayer…). Pratiques et bon marché, les plastiques ont vu leur production exploser après la Seconde Guerre mondiale, atteignant 550 millions de tonnes aujourd’hui pour doubler dans les prochaines décennies.

Massivement produits à partir de la pétrochimie

La multinationale ExxonMobil2https://fr.wikipedia.org/wiki/ExxonMobil est le premier producteur mondial de plastiques. Elle en produit un large éventail, s’adressant à diverses industries, de l’emballage à la construction. Son chiffre d’affaires de plusieurs centaines de milliards lui permet de « financer un nombre important de chercheurs pour qu’ils défendent la thèse d’un réchauffement naturel du climat, à limiter les mesures restreignant les usages des énergies fossiles… ».

Massivement consommés par les géants de l’agroalimentaire

Cinq des huit plus gros producteurs d’emballages plastiques au monde sont des multinationales agroalimentaires américaines. À raison de plus de 200 000 bouteilles à la minute et de 2,9 millions de tonnes d’emballages plastiques par an, Coca-Cola est l’entreprise la plus polluante dans ce domaine devant Pepsico, Nestlé puis Danone.

Une question ingérable sans démocratie

Le plastique permet de supprimer le désherbage, les opérations de nettoyage de vaisselle et de matériel, facilite le stockage (round ball, ensilage du maïs), l’économie de main d’œuvre : donc la réduction du coût de production. Indispensable au transport, il rend le design et l’étiquetage séduisants et développe une culture du jetable, favorable à la surconsommation et au gaspillage.

La part énorme des emballages est liée au développement des échanges à grande distance et de l’e-commerce dominé par Amazon et des sociétés de logistique et boosté par des influenceurs champions de la vente du superflu. Rapprocher les producteurs des consommateurs est une piste urgente à explorer, quoique peu prisée des multinationales.

Les scientifiques soulignent « ce sont les stratégies d’entreprises qui jouent un rôle clé dans l’augmentation de l’utilisation des plastiques plutôt qu’une demande des consommateurs ». On peut ajouter : pas seulement dans l’agriculture et l’alimentation. Le secret industriel et la faiblesse de la recherche d’alternatives interdisent une information réelle et complète des citoyens.

Les mastodontes du plastique qui s’enrichissent de la hausse des productions et des ventes insistent sur le recyclage et le comportement des consommateurs. Ils ignorent, voire dénoncent la nécessité de réduire la production à la source.

Or, ils ont de puissants moyens de marketing et de lobbying et peuvent compter sur l’oreille bienveillante de nombreux décideurs politiques. Ils sont surreprésentés dans les réunions comme à la cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation (2024) pour un traité mondial sur la pollution plastique à Busan, en Corée du Sud, où 220 lobbyistes des secteurs des produits chimiques et des combustibles fossiles étaient présents, soit trois fois plus nombreux que le nombre des scientifiques et près de neuf fois plus que celui des représentants des peuples autochtones.

Comme pour les pesticides, l’escalade technologique…, les décisions concernant la production de plastique sont entre les mains de groupes surpuissants dont les intérêts contreviennent à tous les objectifs de démocratie sociale et politique, de santé publique, de respect des écosystèmes.

Combien de temps pourront-ils, impunément, poursuivre leurs pratiques mortifères ?

Notes