Le 12 mai dernier, le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) annonçait son auto-dissolution et la fin de la lutte armée en Turquie. Gilles Lemée rappelle le contexte qui a amené à cette décision. Il revient sur les réactions qu’elle a provoquées et sur le rôle que nous pouvons jouer.
Après la déclaration du PKK, quel avenir pour la paix en Turquie et la région ?
Par Gilles Lemée. Le 25 mai 2025.
Une déclaration qui fait du bruit
Le 12 mai dernier, une déclaration a retenti comme un coup de tonnerre : le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) annonçait son auto-dissolution et la fin de la lutte armée en Turquie.
« La lutte du PKK a fait tomber la politique de déni et d’annihilation de notre peuple, amené la question kurde à un point où elle peut se résoudre à travers des politiques démocratiques, et, à cet égard, a clos la mission historique du PKK », peut-on lire dans la déclaration. De fait, le PKK a réussi à amener ce qu’il est convenu d’appeler la « Question Kurde » sur le devant de la scène politique nationale et internationale.

Cette décision a été prise à l’issue d’un congrès qui s’est tenu du 5 au 7 mai, dans des conditions difficiles, dans les monts Qandil, base arrière du PKK en Irak. Il fait suite à un appel d’Abdullah Öcalan, leader historique du Parti, enfermé dans la prison d’Imrali depuis 29 ans. Cet appel avait déjà fait grand bruit à sa publication le 27 février précédent puisqu’il appelait le PKK à se réunir en congrès pour décider de sa dissolution et de déposer les armes !
Cette décision était en discussion depuis quelques mois, des délégué·es du parti DEM (Parti de la Démocratie des Peuples – parti relai du HDP menacé d’interdiction en Turquie) assurant la liaison entre Öcalan et les forces concernées, dont celles du pouvoir turc. En effet, dès le 17 janvier le DEM annonçait dans une déclaration publique : « Après notre rencontre avec M. Abdullah Öcalan sur l’île d’Imrali le 28 décembre 2024, nous avons mené une série de discussions (…) avec la Grande Assemblée nationale turque, avec le président du Parlement, avec les dirigeants du mouvement nationaliste (MHP), du Parti de l’avenir, du Parti de la justice et du développement (AKP), du Parti de la félicité (SP), du Parti républicain du peuple (CHP), du Parti de la démocratie et du progrès (DEVA) et du Parti du bien-être (Yeniden Refah Partisi). Nous avons également rencontré nos anciens coprésidents et collègues politiques actuellement en prison, notamment Mme Figen Yüksekdağ, M. Selahattin Demirtaş, Mme Leyla Güven. (…) Ces discussions ont porté sur la recherche d’une solution durable à la question kurde et au conflit qui en résulte. (…) Presque toutes les réunions ont été positives, sincères et encourageantes ».
Le moins que l’on puisse dire est que pour des négociations « secrètes » beaucoup de monde était au courant !
Le contenu de l’appel
Que dit cet appel ? Il rappelle la lutte menée par le PKK depuis des décennies (lutte qui s’est traduite par « des milliers de villages kurdes rasés, des millions de Kurdes déplacés, des dizaines de milliers de prisonniers politiques et des milliers d’assassinats »), lutte qui a empêché « l’anéantissement du peuple kurde. (…) Il est vital que notre peuple, sous la direction des femmes et des jeunes, crée ses propres structures, s’organise sur la base de l’autosuffisance avec sa langue, son identité et sa culture ». En outre, appel est fait aux partis politiques turcs pour « qu’ils prennent leurs responsabilités ». Appel également à l’Assemblée nationale de Turquie et aux « communautés religieuses, aux intellectuels, aux universitaires, aux artistes, aux syndicats ouvriers et paysans, aux organisations de femmes et de jeunesse et aux mouvements écologistes à participer au processus de paix ». Finalement, appel est fait aux Puissances internationales « à ne pas faire obstacle à une solution démocratique et à y contribuer de manière constructive ».
Il s’agit donc d’une décision historique, d’une « nouvelle phase pour le mouvement de la liberté ». Et comme le dit Hamid Bozarslan (interview par « Le grand continent » du 17 mars) « Un tel scénario ne sera donc pas la fin d’un mouvement kurde, ni véritablement la fin du PKK, qui va probablement se transformer en organisation civile et partiellement politique ».
La décision d’Öcalan s’explique (l’appel l’évoque) par des raisons historiques et des erreurs reconnues : l’échec de la lutte armée, l’alignement sur « le socialisme réel » (particulièrement, pour la guérilla, sur le maoïsme). Mais aussi pour des raisons sociologiques. En 1978, année de la création du PKK, le Kurdistan était un territoire rural à 75 %, avec des familles de 7 à 8 enfants (pour une moyenne de 2 aujourd’hui), sans classe moyenne et peu de « classe » intellectuelle. Depuis, la classe moyenne a s’est très largement développée et les intellectuel·les sont d’une grande créativité.
Des réactions fort diverses…
Comme on pouvait s’y attendre, cette déclaration, constituant un tournant historique et grand de perspectives, a suscité des réactions, les unes attendues, d’autres plus surprenantes.
Du côté kurde et « pro-PKK » de Turquie, pas de surprises. Le PKK a immédiatement annoncé qu’il déposait les armes et prononçait sa dissolution : dans un communiqué rendu public le 12 mai par l’agence de presse Firat (ANF), proche du groupe armé, le Parti des travailleurs du Kurdistan a annoncé sa dissolution et sa volonté de mettre un terme aux combats fratricides commencés en 1984 dans le Sud-Est turc. « La lutte du PKK a fait tomber la politique de déni et d’annihilation de notre peuple, amené la question kurde à un point où elle peut se résoudre à travers des politiques démocratiques, et, à cet égard, a clos la mission historique du PKK », peut-on lire dans sa déclaration.
Le même jour, après que le parti DEM a salué « « l’un des tournants les plus importants de l’histoire récente de la Turquie », Pervin Buldan, députée, membre de la délégation du DEM-parti ayant participé aux discussions a lancé un appel au Parlement turc : « Il est temps que l’Assemblée nationale prenne les mesures législatives nécessaires. Des réformes doivent être entreprises pour mettre fin aux injustices vécues depuis des années par les Kurdes, mais aussi par les opposants, les travailleurs et les défenseurs de la démocratie. »

Les Kurdes du Rojava saluent la décision du PKK. Salih Muslim, un des dirigeants du PYD (Parti de l’Union Démocratique, majoritaire au Rojava) a déclaré :« Le PKK a été fondé avec un but précis, et ce but a été atteint. L’existence du peuple kurde est aujourd’hui reconnue. Des forces d’autodéfense kurdes ont été constituées, et la Turquie elle-même a fini par reconnaître cette réalité ». Néanmoins, les Kurdes du Rojava nuancent leur appréciation. Mazlum Abdi, le commandant militaire des FDS (Forces Démocratiques Syriennes) qui s’est par ailleurs rendu en Irak pour rencontrer Massoud Barzani, a dit ne pas être concerné par cette décision de déposer les armes et a confirmé le refus de se fondre purement et simplement dans la nouvelle armée syrienne du nouveau régime et confirme sa volonté de garder une certaine autonomie, aussi bien pour ses troupes que pour l’AANES (Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, c’est-à-dire le Rojava). . Et les relations avec le gouvernement d’al-Charra sont très tendues….
Massoud Barzani (leader du PDK irakien) avait d’ailleurs été consulté lors des discussions Le rapprochement inter-kurde était soutenu et demandé par les Américains et les Français, qui sont présents sur le terrain. Et il soutient parfaitement la décision du PKK, espérant même que cela mettra fin aux incursions turques sur le territoire irakien.
De son côté, Nechirvan Barzani, président de la région autonome du Kurdistan irakien, a salué, cette décision du PKK, qui « démontre une maturité politique et ouvre la voie à un dialogue favorisant la coexistence et la stabilité en Turquie et dans la région. Elle jette les bases d’une paix durable qui mettrait fin à des décennies de violence, de douleur et de souffrance ».
L’ONU a, pour sa part, démenti que le désarmement du PKK se ferait sous son égide, mais était ouverte à un « rôle de facilitation ». Son Secrétaire général António Guterres a, quant à lui, salué l’annonce faite par le PKK concernant sa décision de se dissoudre et de déposer les armes, la qualifiant de « pas important vers une résolution pacifique d’un conflit de longue date ». Et le porte-parole de l’ONU de surenchérir : « Le Secrétaire général accueille favorablement la nouvelle de la décision du PKK de se dissoudre et de désarmer. Cette décision, si elle est mise en œuvre, représente une avancée importante vers la résolution pacifique d’un conflit ancien ».
…y compris du côté du pouvoir turc
Du côté du pouvoir turc, les sons de cloche différent.
Le CHP (parti kémaliste en gros social-démocrate) fait profil bas. Il est surtout préoccupé par son propre sort depuis l’arrestation d’Imamoǧlu, le maire d’Istanbul. Et a déploré, selon ses dires, le peu de participation des kurdes aux manifestations contre cette arrestation…
Le MHP de Devlet Bahçeli (parti d’extrême droite que Bozarslan qualifie de « national-socialiste ») a, étonnamment, été à l’origine des négociations. Une des explications, outre le retour à la paix civile, serait que Bahçeli est soucieux d’éviter qu’Israël (voire les « impérialistes » en général, donc aussi les États-Unis), qui soutient les kurdes (les ennemis de nos ennemis étant nos amis !) ne trouve dans la cause kurde, un prétexte à aggraver son intervention dans la région (il occupe déjà le Golan en Syrie) et ses pressions sur la Turquie même. Deux autres petits partis d’extrême droite (le « Bon parti » – sic ! et « le Parti de la victoire ») ont annoncé qu’ils feraient tout pour faire capoter ce mouvement de pacification !
L’AKP (le parti islamo-conservateur de Erdoğan) a salué « une étape importante vers l’objectif d’une Turquie débarrassée du terrorisme ». En précisant que « La fermeture de toutes les branches et extensions du PKK et de ses structures illégales constituera un tournant. » Même son de cloche au ministère de l’Intérieur qui salue une étape historique et encourageante », qui « nous rend très fiers de notre pays ». Mais, a-t-il ajouté : « Bien sûr, il faudra prendre des mesures pratiques et nous les suivrons de près » Et ces mesures pratiques ne sont pas sans poser problème. Que faire des combattants kurdes (estimés entre 6 OOO à 15 000 selon les sources), quelle réinsertion pour eux ? Idem pour les milliers de prisonnier·es politiques ? Comment assurer le contrôle des dépôts d’armes ?
Et Erdoğan ? Le moins que l’on puisse dire est qu’il reste discret ! Car il faut évidemment avoir en mémoire un aspect essentiel de la déclaration d’Öcalan : l’abandon de la lutte armée a pour corolaire nécessaire la démocratisation du régime turc, la question kurde et la démocratisation de la Turquie étant indissociablement liées. Or Erdogan est surtout motivé par le renforcement de son pouvoir ! La question de la démocratisation ne se pose même pas, tout juste espère-t-il qu’une posture d’acceptation lui permettrait d’obtenir l’accord du Parlement pour briguer un troisième mandat aux présidentielles de 2028, ce que la Constitution lui interdit. Il parait vain d’espérer résoudre la question kurde sans démocratiser le pays. Il n’en reste pas moins que dans la foulée de l’annonce du PKK, la Direction des communications de la présidence a déclaré que cela n’ouvrirait pas la voie à l’autonomie kurde ni à un système fédéral. Inutile d’être grand clerc pour deviner que les discussions éventuelles s’annoncent très serrées…
Les réactions internationales
Mentionnons, pour la forme, la réaction du ministre des Affaires étrangères syrien, (ancien djihadiste nommé par al-Charaa) Assad Hassan Al-Chibani qui a félicité la Turquie pour « l’accord », saluant un « moment charnière » pour la stabilité de la région. On ne mord pas la main qui vous nourrit !
Enfin, la position française semble être de continuer à soutenir la cause kurde. C’est du moins ce que l’on a pu comprendre de ce qu’avait dit Macron lors de la réception d’al-Charaa à l’Elysée.
Reste Trump ! Les États-Unis sont un soutien des Kurdes, y compris par leur présence militaire sur place au nom de la lutte commune contre Daesh (dont les cellules se réactivent en Syrie). Que va faire Trump ? Qui peut le dire !!! Pour le moment, il n’a pas l’air de vouloir se désengager…
Quant à nous, internationalistes, nous avons à manifester notre soutien à la déclaration d’Öcalan et du PKK. Il nous appartient également de multiplier la pression sur les autorités françaises, à tous les niveaux, pour qu’elles interviennent auprès des autorités turques pour favoriser le processus de paix au Kurdistan !

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