La semaine du 22 au 26 mai 2018, jour de la « marée populaire », s’annonce importante. Peut-être même décisive pour imposer des changements durables du contexte des luttes sociales et politiques dans ce pays, et contre le monde de Macron.
D’abord nous connaitrons le 22 mai le résultat de la « vot’action » engagée par les quatre organisations syndicales cheminotes CGT, SUD Rail, CFDT, UNSA, à propos du plan du gouvernement. Le résultat ne fait aucun doute puisque depuis le début de la grève le 3 avril, 80% des cheminot-es ont participé au moins une fois à l’action. Mais les syndicats ont perdu le référé engagé en urgence sur le paiement des jours travaillés (le jugement sur le fond est à venir fin mai), et déjà les commentaires vont bon train sur une fin de grève rapprochée à cause des bulletins de paie très amaigris. En réalité, c’est l’âpreté du conflit et son caractère éminemment politique qui vont s’accentuer. Il serait donc nécessaire que les forces politiques de soutien (et peut-être même le collectif du 26 mai), rassemblées depuis fin mars, prennent des initiatives pour amplifier leur solidarité, comme le mouvement Ensemble le propose (solidarité financière, exigence de débats publics sur les chaines audiovisuelles, par exemple).  La grève des cheminots obéit en effet à son propre rythme, ses propres contraintes, et tout doit être tenté, autour d’elle, pour l’aider à faire reculer le pouvoir. Le relai par d’autres luttes convergentes serait dans ce but une formidable avancée.
Justement, le 22 mai a lieu la troisième grève massive (après le 22 mars 2018 et le 10 octobre 2017) dans les trois versants de la fonction publique (Etat, collectivités, hôpitaux), avec une intersyndicale à neuf organisations incluant cette fois la CFDT et l’UNSA. Dans plusieurs villes, des syndicats appellent à interprofessionnaliser cette journée, en apportant le soutien du secteur privé. C’est notamment le cas en Ile de France avec les unions interprofessionnelles CGT, FO, FSU, Solidaires, et l’UNEF. Elles « appellent tout-e-s les salarié-e-s qu’ils soient du privé comme du public, les retraité-es, les privé-e-s d’emploi, les étudiant-e-s et lycéen-ne-s à rejoindre et à participer en masse le 22 mai prochain avec les fonctionnaires ». Et la bonne nouvelle, c’est que les secrétaires généraux de la CGT, de la CFDT et de FO se joindront au cortège, officialisant ainsi le côté interprofessionnel de cette journée. Autrement dit, même si Laurent Berger (CFDT) et Pascal Pavageaux (FO) ont critiqué l’initiative « politique » du samedi 26 mai, et n’y appellent pas, ils amplifient symboliquement par leur présence le 22 mai l’importance politique effective des conflits en cours. Ils effacent ainsi, et c’est très positif, l’image désastreuse de division et d’abandon de la solidarité aux luttes qu’ils avaient donné à voir le 1er mai dernier, en refusant la proposition d’unité de la CGT.
Unité et « marée » populaire ?
La force de l’unité se fraie donc un chemin un peu partout.
Elle débouche donc le samedi 26 mai dans tout le pays sur une « marée populaire » rassemblant pour la première fois, en co-organisation pleine et entière, trois organisations syndicales (CGT, Solidaires, FSU), une myriade d’associations de luttes, toute la gauche authentique et l’écologie politique ensembles. Même si le front syndical est malheureusement incomplet, il faut remonter loin en arrière pour retrouver une configuration de ce type sur des enjeux revendicatifs centraux.  En 1968, la déconnexion du social et du politique a limité la portée finale de la grève générale. En 1995, 2003, 2006, 2009, 2010, 2016, les partis politiques soutenaient la lutte en restant sur le bord des manifestations. En 2016, il y avait une intersyndicale pendant six mois, mais aucune « intergauche ». On déplorait ensuite en 2017 l’absence d’unité syndicale contre les ordonnances Macron, mais les partis restaient dispersés, malgré la montée sur Paris du 23 septembre appelée par la France Insoumise.
Mais après la manifestation réussie du 5 mai dernier (où des forces sociales et politiques se sont mises ensemble à l’appel de François Ruffin), après la construction d’une coalition de douze forces politiques (AL, EELV, Ensemble, France Insoumise, GDS, Générations.s, NPA, Nouvelle Donne, PCF, PCOF, PG, RS) engagées dans un même soutien aux luttes, après des débats dans la CGT, la FSU et Solidaires, après une invitation commune de la fondation Copernic et d’Attac, une vaste union sociale et politique s’est donc mise en place.
Le processus du 26 mai est donc la formation d’une sorte d’unité populaire en gestation. Si la journée est un succès- ce que tous les échos des villes et des quartiers semblent montrer- nulle doute qu’elle marquera une phase nouvelle de l’action pour reconquérir le terrain perdu depuis l’élection de Macron, notamment quant à l’évaporation des marqueurs de classe sur la portée des luttes sociales.
On le sait : Macron affronte le peuple tout entier avec l’objectif de faire exploser complètement, jusqu’au souvenir même, les conquis sociaux, les statuts du travail, afin de promouvoir l’universalisme du marché « libre » et le sport sans pitié des gagnants et des perdants. Mais il le fait en voulant aussi liquider, comme avant lui Sarkozy (qu’il a servi avant de servir Hollande), l’imaginaire émancipateur de mai 68, c’est-à-dire la subversion possible du capitalisme, et l’effacement des traces symboliques des combats populaires. C’est le défi culturel et politique qu’il faut relever. Comme le dit un slogan de mai 68, « il faut arrêter de faire, il faut penser ».
Le social est politique
Des débats ont eu lieu depuis des années sur la liaison entre le « social » et le « politique ». La fameuse Charte d’Amiens de 1906 est sans cesse réinterrogée. En dépit de cette Charte, le 20ème siècle a bien été dominé par une hiérarchie : le politique, les partis, priment sur le social, sur le syndicalisme, notamment quand il est question d’intérêt général, de la vie de la Cité. Cet ordre hiérarchique va à l’encontre de l’émancipation collective. Depuis 1995 au moins, et surtout depuis 2005 (victoire sur le Traité constitutionnel européen par une coalition sociale et politique), la réflexion n’a pas cessé pour imaginer un nouvel espace, une « agora », où les organisations sociales et politiques pourraient croiser leurs réflexions, et décider conjointement de certaines actions.
La fondation Copernic a proposé plusieurs fois des collectifs communs, mais souvent partiels (il manquait du monde !) et donc amputés d’une capacité convaincante de mobilisation, au-delà d’initiatives ponctuelles, comme le Collectif Le Code Qu’il faut Défendre (CQFD) à l’orée de la lutte contre la première loi Travail de 2016.  En 2016 justement, le mouvement Nuit Debout a montré qu’une partie non négligeable de la jeunesse, et/ou de salarié-es précarisé-es dans des structures de travail éclatées, recherchaient des modes d’action originaux, parfois en marge du syndicalisme traditionnel (mais pas contre) et des partis politiques classiques.  Le mouvement La France Insoumise capte par en bas et en partie, une demande de ce type. La manière d’organiser la journée du 5 mai par agrégation d’énergies syndicales, associatives, citoyennes, festives, politiques, a montré une disponibilité nouvelle.
Les réunions unitaires pour préparer le 26 mai attestent de la possibilité de construire un mouvement d’un nouveau type. Pour réussir à le pérenniser, il faudra bien sûr des dizaines de milliers de personnes dans la rue samedi prochain. Il faut mobiliser à fond ! Mais il faudra aussi une solide volonté politique pour  dépasser les faux clivages et les concurrences encore vives.
Du côté syndical, du côté associatif comme du côté politique, l’esprit du pluralisme et du dynamisme associatif doit prévaloir. Nous sommes différents, mais complémentaires et indispensables les uns aux autres. La rue le dira. Le peuple de gauche est à la fois social, pluriel, et politique. Uni de bonne manière, il peut être puissant. On a voulu l’humilier, il peut se remobiliser en masse et isoler le nouveau monarque élyséen.
Tous ensemble le 26 mai !
Jean-Claude Mamet