Les syndicats CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL, MNL, appellent à une journée de « grève et de manifestations » le 5 octobre. Le communiqué appelle à agir pour « nos salaires, nos emplois et nos conditions de travail et d’études ». A la différence de la journée de lutte de février 2021, l’unité syndicale s’est élargie à Force ouvrière.

Que faut-il pour que la journée du 5 octobre soit une réussite ? Tous les syndicalistes et les salarié-es combatifs se posent la question. Une certaine amertume parcourt les discussions préparatoires ou les conversations autour du café. Le syndicalisme n’a pas été visible au moment où plus de 200 000 personnes ont plusieurs fois manifesté le samedi, en plein été : du jamais vu. Que s’est-il passé ? Etait-il possible de rejoindre ces actions, de leur donner une autre signification, ou de construire d’autres réponses ?
Un défi non relevé

Cela a été largement commenté à gauche et dans les organisations sociales : malgré des tentatives locales, il était impossible nationalement de donner aux manifestations apparemment dirigées contre le passe sanitaire un sens différent de ce qui dominait. Certes, une très grande diversité de motivations était présente. Mais la tonalité exprimait surtout une méfiance contre la vaccination, voire un refus, certes exprimé sous la forme compréhensive d’une critique de l’autoritarisme de Macron. Cette ambiguïté première a permis à l’extrême-droite de sauter sur l’occasion et de propager ouvertement les pulsions racistes et antisémites qui la caractérisent, sans que cela ne trouble beaucoup les manifestants, sauf exceptions locales courageuses. Ce torrent de ressentiment avec des objectifs hétéroclites ne pouvait pas être rectifié. Ce qui est très inquiétant sur ce qui se passe en profondeur dans la société.
Par contre, il était sans doute possible de faire autrement et ailleurs, ce qui d’ailleurs s’est parfois déroulé dans des mobilisations devant des hôpitaux, ou devant le siège des Agences régionales de santé (ARS), pour tenter d’empêcher les sanctions inadmissibles (inscrites dans la loi que la gauche a refusé de voter) contre les personnels soignants non vaccinés. Le syndicalisme, et les forces de gauche et écologistes, divisées sur les manières d’agir, ont loupé l’occasion d’une campagne pour la vaccination, comme position historique du mouvement ouvrier, par exemple avec des réunions publiques, aidées par des scientifiques, en assumant aussi la part incertaine de la situation. Il était possible de revendiquer le droit à des réunions d’informations dans tous les lieux de travail, redoublées dans les localités, pour que les arguments circulent et débouchent sur une conscience collective. Il était possible de manifester en même temps que les syndicats et agents hospitaliers (le 14 septembre), pour protester contre les fractures dans les équipes de travail.

Le mouvement ouvrier, le syndicalisme, la gauche, l’écologie, ont laissé s’ouvrir une faille dans la capacité à construire une alternative à la gestion gouvernementale. Ce qui peut avoir des effets d’incertitude pour rebondir sur d’autres exigences non moins importantes de cet automne.

« Pouvoir d’achat » : le saupoudrage contre la dignité

Le pouvoir macronien est préoccupé par deux objectifs : sa réélection en 2022, et les effets mobilisateurs possibles de l’accumulation nouvelle de richesses dans certains secteurs de l’économie qui n’ont nullement connu la crise. Les entreprises du CAC 40 ont accumulé des profits gigantesques au premier semestre 2020 : 60 milliards soit 41% de plus qu’en 2019 (Le Monde 11 septembre 2021). Puisque les ministres chantent en chœur l’hymne de la reprise économique (plus 6% de PIB en 2021 claironne B. Lemaire), puisque le budget 2022 se prépare sur des prévisions dépensières, puisque les dogmes de l’austérité ont craqué dans toute l’Europe capitaliste, alors il n’est pas admissible que certains se gavent, alors que les véritables créateurs de richesse (les salarié-es) soient soupçonnés de relancer l’inflation en revendiquant des vraies augmentations de salaires.

Mais à cette crainte de luttes salariales, totalement légitimes pour la dignité retrouvée du monde du travail, le pouvoir Macron-Castex répond par la technique libérale-sociale de la « récompense » ultra ciblée. Jamais sans doute il n’y a eu autant de gadgets mis en scène pour répondre à ce qui est nommé la demande de « pouvoir d’achat », c’est-à-dire non pas le pouvoir des travailleurs sur la richesse produite, mais la capacité d’acheter sur le marché.
Avec le quinquennat Macron, on a connu : la baisse ou la suppression des cotisations sociales (pour le pouvoir d’achat !), remplacées par la CSG, la prime d’activité augmentée pour les très bas salaires (un « 13ème mois » dit Gabriel Attal à la Fête de l’Humanité !), la baisse des impôts (50 milliards), avec notamment la suppression de la taxe d’habitation (+ 4650 euros en 5 ans pour un couple selon Bercy).  Cet automne, on ajoute un « chèque énergie » de 100 euros (contre la hausse du gaz), un « revenu d’engagement » pour les jeunes (mais surtout pas le RSA).  On ouvre des discussions avec les syndicats de fonctionnaires, mais sans vouloir augmenter le point d’indice gelé depuis 10 ans. Le SMIC augmente par obligation légale, mais surtout pas plus. Ces techniques distributives constituent un véritable mépris de classe, pour tenter d’attirer en 2022 un électorat populaire désemparé et d’éviter des luttes offensives. Comme le dit l’économiste Guillaume Duval : il y a une « volonté de ne pas réduire les inégalités » (l’Humanité 22 septembre). Il y a une volonté de fragmenter la question sociale en particularismes divers, en individualismes (en y ajoutant chez Macron un discours émancipateur !), pour tenter de bloquer toute expression collective.

Ainsi l’acharnement à s’attaquer structurellement aux droits des chômeurs, en remettant en circuit en octobre le quasi même décret (rejeté deux fois par le Conseil d’Etat) qui réduit les indemnités de plus d’un million d’allocataires (jusqu’à 20% en moins), se comprend comme un clin d’œil à l’électorat de droite : faire de la casse sociale. Mais aussi sur le fond comme la volonté d’étatiser la protection sociale dans le but de la dissocier totalement du syndicalisme. Tous les syndicats sont contre, y compris la CFDT, mais Macron n’en a cure. Et nous ne sommes nullement à l’abri d’une mauvaise surprise sur les retraites lors de l’examen du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFFS) cet automne.

L’unité ou l’enjeu interprofessionnel

Il y a des conflits. Par exemple les personnels du nettoyage à Jussieu remportent une victoire. Il y a une sorte de cycle de luttes fréquentes dans l’externalisation des services de propreté (hôtels, services publics…).  Les sage-femmes se sont aussi fait entendre pour la reconnaissance de leur profession, ainsi que les aides à domicile, invisibilisées mais tellement présentes ! Mais le syndicalisme peine à interprofessionnaliser sa voix pour la rendre audible à tout le salariat. Les Gilets jaunes avaient réussi à briser ce mur qui enferme la condition subalterne dans l’oubli, mais ils ne sont pas parvenus à créer un message collectif durable, ce qui le rend perméable à des régressions négatives de substitution, comme cet été.

Aucun syndicat, confédéré ou non, ne peut à lui seul espérer représenter le monde du travail dans sa diversité démultipliée depuis la mutation libérale du capitalisme. Il conviendrait de créer un dialogue intersyndical durable, si on veut attirer l’écoute, notamment de la jeunesse qui n’est pas réfractaire à s’organiser (comme le montrent les actions climat). Pour le 5 octobre, les organisations syndicales rassemblées ont mis leurs priorités en commun, comme une sorte d’addition. Certes la place des salaires y est centrale, et c’est heureux. De même que l’engagement à vouloir bloquer à nouveau la contre-réforme de l’assurance-chômage. Sur ce point, une assemblée des occupants des théâtres et lieux de culture, qui avaient fait l’actualité du printemps 2021, a encore réuni 130 personnes à Paris début septembre, avec la volonté d’agir autour du 5 octobre et après, toujours en ciblant les droits des chômeurs, enjeu politique depuis le printemps 2021.

Mais la plate-forme du 5 octobre peine à mettre clairement en avant un ou quelques objectifs qui accrochent l’attention, qui fassent « sens ». Cela ne serait possible que si un cadre unitaire permanent, une sorte de Convention pour un dialogue intersyndical sans exclusive, voyait le jour pour confronter les expériences, les projets, et déboucher sur du commun. C’est peut-être possible sur l’assurance-chômage.

Même le serpent de mer (depuis 2009 !) des « rapprochements » entre FSU et CGT, et parfois Solidaires, ne reste malheureusement qu’une intention velléitaire sans enjeu concret. Mais peut-être que l’expérience Plus jamais ça, qui structure durablement ces mêmes syndicats et des associations, pourra ouvrir une piste féconde.

Jean-Claude Mamet.