Cette fois, la journée unitaire de grève et de manifestations du 9 avril 2015 est annoncée plus d’un mois à l’avance. L’accord CGT, FO, Solidaires, est étendu à la FSU et à la Fédération autonome de la fonction publique.
Les modalités sont également en train de se préciser, avec notamment côté CGT l’annonce d’une manifestation nationale à Paris, mais qui peut poser quelques problèmes (voir ci-après). La CFDT (entraînant l’UNSA, la CFTC, la CGC) ne s’est même pas rendue à la réunion unitaire proposée par FO le 17 février, choisissant clairement une position politique de fond : soutien à la loi Macron, soutien politique assumé au gouvernement Valls. Elle n’hésite même pas, pour mettre les points sur les « i », à mettre sous tutelle son syndicat CFDT du commerce de Paris, qui se bat aux côtés de la CGT, de l’UNSA et de SUD-commerce dans le Collectif de liaison intersyndical du commerce de Paris (CLIC-P) contre l’extension des ouvertures dominicales et de nuit. Un tel scénario de brutalisation bureaucratique s’était déjà produit il y a plus de dix ans en provoquant une cassure irrémédiable. A nouveau la CFDT commerce de Paris risque une déflagration.
Dans ce contexte de clivages stratégiques dans les sommets syndicaux, l’annonce d’une reconstruction syndicale unitaire, même encore partielle, est une très bonne nouvelle. Qu’est-ce qui l’a rendue possible ? Cette fois, personne n’a préempté une date autour de laquelle il faudrait se rallier, comme cela avait été le cas par l’initiative de FO de mars 2014 contre le Pacte de responsabilité, ou également avec la CGT pour l’initiative du 16 octobre 2014 sur le budget de la Sécurité sociale. Le congrès de Force ouvrière de janvier 2015 a lancé la proposition de « grève générale interprofessionnelle », « contre l’austérité », et pas seulement contre la loi Macron. Mais FO était dans cette logique depuis l’automne 2014, ayant en décembre rassemblé 8000 personnes à Paris, ce qui selon Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, avait valeur « d’avertissement » vers une grève. Les progrès de FO aux élections dans la fonction publique de décembre 2014 lui ont redonné une force et un pouvoir d’initiative.
Côté CGT aussi, la perspective d’une action interprofessionnelle au début 2015 était dans les débats. Mais la crise interne l’avait mis en sourdine. Une fois la nouvelle direction mise en place, le secrétaire général Philippe Martinez s’est fait l’écho de la proposition FO de bonne manière, en soulignant malicieusement au Comité confédéral national du 3 février : « Pour l’instant, ils n’ont pas annoncé de date ». Et la CGT non plus ! L’accord a donc pu se faire sans ralliement. L’Union syndicale Solidaires avait de son côté écrit à toutes les organisations à la mi-janvier, pour proposer l’action contre la loi Macron. La FSU s’est malencontreusement lancée dans une grève autoproclamée le 3 février, méthode plutôt contradictoire au « U » symbolique de son sigle. Son échec a pesé dans ses décisions, échec qui pose aussi le débat sur les rapports du monde éducatif avec le pouvoir Hollande. Néanmoins, les fédérations de fonction publique CGT, FO, Solidaires, FSU et la Fédération autonome de la fonction publique (FA-FP) appellent au 9 avril depuis le lundi 9 mars.
Se réapproprier le pouvoir d’agir
Il reste un mois pour construire une dynamique de réussite du 9 avril. Et c’est possible ! L’enjeu est rien moins que la capacité du syndicalisme à se réapproprier le pouvoir d’agir, et de faire grève dans une dimension interprofessionnelle, ce qui implique assurément de lui donner une portée générale qui fasse sens, donc « politique » au bon côté du terme. Plusieurs évènements récents peuvent y concourir, car la configuration politique a beaucoup changé.
La grande manifestation citoyenne du 11 janvier 2015 après les attentats a posé, même très indirectement, la question de l’aspiration à l’égalité face aux dérives libérales. La victoire de Syriza le 25 janvier redonne de l’espoir aux forces vives du mouvement social, en montrant qu’un coup d’arrêt est possible en Europe, malgré la déferlante des reculs. Enfin, l’utilisation par Manuel Valls des moyens autoritaires de la 5ème République face aux « frondeurs » de la majorité pourrait indiquer qu’un bras de fer est possible entre deux voies opposées à gauche, pour peu que la confrontation commencée sur la loi Macron se poursuive sans faiblir. Et l’offensive martiale et violente de Manuel Valls, signe de vulnérabilité du pouvoir, vise cependant à tuer dans l’œuf cette hypothèse, qui rendrait alors visible la possibilité d’une alternative politique dès aujourd’hui.
Par ailleurs, sur le terrain social, certains signes montrent que l’atonie pourrait se rompre. Les retraités préparent une mobilisation nationale le 17 mars, au moment où le patronat affiche son intention de sabrer dans les retraites complémentaires. Les routiers ne désarment pas dans le bras de fer qui les oppose au patronat pour exiger des augmentations de salaire (5%), puisqu’une reprise de leur grève et de leurs blocages est annoncée le dimanche 15 mars à partir de 22 heures, dans l’unité la plus large, incluant donc la CFDT majoritaire. Ce conflit salarial peut raviver la question des salaires au-delà des routiers.
Dans ces conditions, la journée du 9 avril tombe au bon moment pour donner un cadre national aux résistances, dans un contexte où le gouvernement risque de sortir très affaibli des élections départementales. Elle pourrait être également une occasion d’affirmer une solidarité indispensable avec le peuple grec, le gouvernement qu’il s’est donné, pris à la gorge par l’Union européenne qui veut le contraindre à payer la dette et à poursuivre une politique d’austérité, contraire aux aspirations du peuple.
Cependant, la manière dont elle sera préparée et dont elle prendra place dans le contexte politique de contestation des dérives austéritaires, jouera un grand rôle pour sa réussite.
La CGT se fixe l’objectif d’une montée sur Paris le 9 avril. Pourquoi pas ? Tout le monde sait cependant que cela demande une énergie considérable en logistique, peut-être au détriment de l’installation de la grève au-delà des cercles militants habituels. La dimension unitaire aussi peut en être affaiblie, même si le corps militant CGT ressent le besoin d’une affirmation. Mais la lutte sociale réserve parfois des imprévus et de bonnes surprises !
Contre l’austérité, contre Macron : changer l’agenda des priorités sociales
Les salariés et la population sont assommés depuis des années, et encore plus tragiquement avec un gouvernement se disant de gauche, par un calendrier de contre-réformes visant à tuer tout espoir de progrès social. Il est devenu interdit de parler des salaires, de créations d’emplois dans les services publics et la fonction publique, d’envisager une baisse du chômage par d’autres moyens que la course à la compétitivité-prix, ou un « dialogue social » autrement que par des reculs échangés sur toute une série de droits acquis : représentation syndicale dénigrée, droits de toutes les instances représentatives du personnel rognés, risque de disparition des CHSCT alors que la souffrance au travail explose, remise en cause des prudhommes, de la médecine du travail, etc.
Le refus de la loi Macron a été sur le plan politique une sorte de point d’orgue, de code d’honneur à préserver pour une partie de la gauche du PS. Jamais n’avait été déployé un tel acharnement à passer toutes les relations sociales au tamis du libéralisme sans frein : tout pour les entreprises, et surtout les plus grandes. Pour les grands magasins vitrines internationales du commerce, vive la dérégulation des horaires 7 jours sur 7 : « on » est dans la mondialisation ou on n’y est pas ! Idem pour les aéroports vendus au plus offrant, etc. Mais cet enjeu politique est loin d’être perçu par tout le salariat, qui pressent l’arnaque, mais ne la vit pas encore, sauf les salarié-es du commerce et ceux des aéroports.
La loi Macron sera bien une cible politique dans la première semaine d’avril, au moment du débat au Sénat sur la loi. Mais ce n’est pas directement autour d’elle que les salarié-es se mettront en grève ou manifesteront. Ce qui peut donner l’envie de faire grève, c’est que les salaires, mais aussi les retraites qui leur sont liés, restent outrageusement en panne alors que, malgré la crise dont on nous rabâche les oreilles, les profits des grandes entreprises restent en ascension vertigineuse : + 20, 30, 40% pour le CAC 40 ! Sans compter les provocations des hauts salaires comme celui du nouveau patron de Sanofi, et la poursuite générale des disparités d’échelle des revenus, puisque ceux des riches ne cessent de grimper ou d’échapper à l’impôt. Ce qui peut donner envie de bouger, c’est l’exigence du rattrapage salarial pour les femmes, dont les salaires sont toujours 27% inférieurs à ceux des hommes, et les retraites inférieures de 40%, ainsi l’interdiction de toutes les discriminations et une lutte renforcée contre le harcèlement sexuel. Ce qui peut donner l’envie de bouger, ce sont les conséquences de l’austérité dans la fonction publique et les services publics, les baisses de dotations budgétaires dans les collectivités territoriales, l’étranglement des hôpitaux qui appellent au secours, la fermeture d’établissements (maternité des Lilas). Ce qui peut révolter, c’est la misère dans laquelle sont maintenus l’écrasante majorité des chômeurs et des « sans-droits », soumis en plus à l’injonction permanente à se montrer « employables », flexibles, prêts au sacrifices de leurs moyens de vivre dignement en acceptant des sous-emplois sans avenir.
Avec ce soubassement revendicatif, la grève du 9 avril peut s’installer comme une urgence unitaire, et un cri de colère nécessaire. Elle peut attirer des équipes syndicales CFDT, UNSA ou CFTC, malgré leur direction nationale, et il n’y a pas de raison de prendre son parti d’un cadre unitaire incomplet. Rien ne devrait empêcher, localement ou par secteurs professionnels (commerce ?), des mobilisations unitaires encore plus larges.
La massivité possible du 9 avril ne rendra alors que plus évident l’objectif de salubrité publique visant à faire capoter par tous les moyens la « loi Macron, loi des patrons ». Par tous les moyens, cela peut signifier d’aller voir les députés dans leurs circonscriptions : « Vous allez voter cela » ? C’est rencontrer les parlementaires de gauche hostiles et le faire savoir. Il faut isoler Valls, la direction du PS et tout leur attirail de sanctions et de menaces contre la liberté de vote des députés ! Et si en plus les responsables nationaux de la CGT, de FO, de Solidaires, de la FSU participaient à des meeting (comme celui en préparation le 7 avril prochain, à l’initiative du collectif « alternative à l’austérité » ou 3A) de dénonciation de la loi Macron aux côtés des forces politiques, alors le pays aurait le sentiment que quelque chose bouge dans le sens d’un réveil possible, social et politique, et d’une inversion de priorité dans l’agenda des « contre-réformes » constamment écrit par le MEDEF et ses relais dans les ministères.
Jean-Claude Mamet