La journée de grève et de manifestations du 9 avril 2015, à l’appel de la CGT, FO, FSU, Solidaires, s’annonce comme la première journée unitaire de remobilisation sociale depuis longtemps.
Depuis l’arrivée du gouvernement Hollande, les seules mobilisations nationales significatives, mais ô combien insuffisantes, ont été celles sur la réforme des retraites de l’automne 2013. Pourtant les attaques et les trahisons du « contrat de 2012 » n’ont pas manqué ! Pacte de compétitivité, pacte de responsabilité, loi abusivement appelée de « sécurité » de l’emploi (résultant de l’accord ANI de janvier 2013), budgets atrophiés sous l’égide de la troïka européenne, criminalisation du mouvement social…on ne compte plus les coups tordus de ce gouvernement.
Mais jusqu’ici, comme le rappelait Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble, mardi 7 avril au meeting unitaire à Paris contre la loi Macron (organisé par les forces politiques, syndicales, associatives, rassemblées par le Collectif Alternative à l’Austérité), le peuple de gauche était resté en état de « sidération ». Comment un gouvernement qui prétend parler au nom de la gauche et dispose de toute la puissance étatique pour le faire, peut-il se permettre de matraquer à ce point les avancées sociales du pays, comme un Sarkozy-bis ? Cette chape de plomb politique- être frappé par ceux qui devraient être de « notre » côté- le corps militant du mouvement social et syndical cherche à la soulever. Pour y parvenir, l’unité d’action est indispensable. Depuis longtemps, elle ne se construisait pas au sommet (la direction CFDT notamment étant un soutien actif des principales décisions gouvernementales, dont elle participe même à la conception, comme la loi ANI). Cette cassure intersyndicale nationale servait alors de prétexte pour des initiatives de type : « je décide et vous me soutenez ». Toutes ont été des échecs, alimentant une désespérance sociale accrue.
Cette fois, le 9 avril est cette fois été une co-construction CGT, FO, Solidaires, FSU. La mobilisation attendue sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? Il y a aura des grèves et des débrayages significatifs (voir plus loin). Mais ce sont surtout les manifestations, et notamment celle de Paris, qui donneront la tonalité nationale du mouvement. Et cette tonalité sera « politique » au bon sens du mot. Après les raclées électorales du gouvernement et du PS, et notamment celle des départementales, cette journée prolonge dans la rue la colère politique que le peuple de gauche adresse au pouvoir de multiples façons. L’ampleur des manifestations, si elle se vérifie, donnera peut-être une accélération printanière à de multiples luttes locales, souvent peu visibles.
Combien à Paris ?
Si la préparation du 9 avril a été unitaire, il y a eu un sérieux « couac » résultant de la décision unilatérale de la direction CGT, pour de strictes raisons internes, à vouloir à tout prix organiser une montée sur Paris. L’objectif fixé était de 100 000 personnes, dont 50% des régions et 50% Ile de France. Après hésitation, la direction FO s’y est plus ou moins ralliée, fixant même des objectifs astronomiques. Le 3 avril, à une semaine du 9, le comptage réalisé par la CGT n’atteignait pas de tels chiffres, étant plus proche de 50 000 que de 100 000, malgré 251 bus attendus et des trains affrétés (par exemple 450 places remplies pour le train régional venant de Toulouse, selon notre correspondant local, ce qui représente un effort militant réel). Mais du 3 au 9 avril, il restait du temps pour mobiliser, et la journée semble maintenant très connue, notamment en Ile de France, où le cortège CGT se scindera en deux : les délégations régionales en têtes, l’Ile de France fermant la manifestation, après les autres syndicats.
Cependant, la CGT a elle-même dû se rallier à l’évidence : il y aura une grande quantité de manifestations locales (65 recensées le 3 avril). Philippe Martinez, secrétaire générale de la CGT, qui sait bien que « tout le monde ne viendra pas à Paris », y voit plutôt la preuve de « quelque chose de rare » et de positivement inédit, puisqu’on pourra totaliser les chiffres locaux et parisiens. Sans doute, mais « syndicalement », tout cela se discute, pourrait-on dire. Et les discussions n’ont pas manquées, parfois vives, avec la FSU ou Solidaires, mais aussi dans les rangs de la CGT.
Au départ, il s’agissait le 9 avril de reconquérir la capacité d’agir, de faire grève, de reconstruire l’unité syndicale (par exemple par des appels unitaires de branches, ou départementaux, et même sur des sites de travail), de déterminer des revendications, de les ancrer dans les entreprises. Tout cela demande du temps, un travail de terrain. Si les salariés répondent, cela s’organise, il faut les rassembler, faire une manifestation locale pour faire masse. Si en plus il faut affréter un bus pour Paris et le remplir, alors cela relève de l’exploit !
Mais il y a plus important encore. Comme l’a défendu dans l’intersyndicale de Loire Atlantique Jean Brunacci, représentant de Solidaires, une montée sur Paris suppose « un plan de mobilisation durable », débouchant sur une sorte de point d’orgue après une succession d’actions sur un objectif précis. Mais ce plan n’existe pas autour du 9 avril. La loi Macron est attentatoire aux droits sociaux de la pire façon, mais elle n’est pas encore perçue ainsi par le salariat, hormis dans le commerce ou certains services publics (aéroports privatisés). Faire capoter la loi Macron est totalement nécessaire, mais ne peut résulter que d’une combinaison de luttes politiques à gauche (crise du 49-3) et de luttes professionnelles coordonnées. Il conviendrait pour se faire d’accepter ce « côte-à-côte » (mais égalitaire) entre la fronde politique parlementaire à gauche (Front de gauche, EELV, socialistes) et les luttes d’urgences sociales contre l’austérité. C’est aussi l’objectif du Collectif Alternative à l’Austérité (dit Collectif 3A), qui nécessiterait un soutien syndical au plus haut niveau, qui n’est malheureusement pas du tout acquis, ni à la CGT (malgré des avancées notables), à FO (c’est traditionnel), ni à la FSU et à Solidaires (malgré la présence de structures syndicales).
Le conflit sur la loi Macron, radicalisée encore plus à droite par la commission sénatoriale, et probablement adoptée ainsi (et sans 49-3 !) par la majorité de droite du Sénat réuni depuis le 7 avril, n’est donc pas terminé. Il reviendra à l’Assemblée en juin. Il faut espérer qu’alors d’autres mobilisations politico-sociales coordonnées viendront enrayer la machine gouvernementale.
Débrayages et grèves
Il ne faut sans doute pas s’attendre le 9 avril à de grands mouvements de grèves paralysants, malgré la grève exemplaire de Radio-France qui mériterait des initiatives de soutien politiques et syndicaux bien plus vigoureux (voir article sur ce site). Les préavis déposés serviront surtout à manifester, par exemple pour les cheminots ou pour les électriciens-gaziers (qui ont conjointement manifesté à Paris pour leurs revendications propres il y a peu de temps). Pour les autres services publics ou la fonction publique, le climat gréviste est incertain, notamment côté Education nationale. Dans les services publics territoriaux, il y a des poches de luttes fortes, par exemple à Lyon en ce moment, contre les effets de la métropolisation, les suppressions d’emplois, de crédits, de primes, les privatisations rampantes ou effectives. Et la mairie et métropole dirigée par Collomb attaque sans vergogne les syndicalistes en lutte comme la droite le ferait. Pour fédérer ces luttes, la fédération CGT des services publics envisage, selon son secrétaire général Baptiste Talbot, une action nationale le 19 mai prochain.
Dans le secteur privé, la journée du 9 avril pourrait être, dans plusieurs entreprises, le moment de centralisation ou d’expression d’une combativité latente qui se traduit depuis quelques semaines par des luttes dures et parfois gagnantes, mais isolées. Ensemble !, le mensuel CGT d’avril, en rend compte. Grève de cinq semaines à Sanofi Sisteron en février pour exiger 120 euros d’augmentation de salaire, contre une provocation patronale, qui ne veut lâcher que 70 centimes ( !) alors que le nouveau PDG a empoché une « prime de bienvenue » de 4 millions « avant d’avoir travaillé » (comme l’a dit Olivier Besancenot, du NPA, au meeting du 7 avril contre la loi Macron). Résultat du conflit : 80 euros d’augmentation. Grève victorieuse des employés de la Tour Eiffel (plus 200 euros !) pendant cinq jours ; grève à l’hôtel Hyatt Madeleine (500 à 580 euros gagnés) ; grève récente chez Tang frères (chaine alimentaire asiatique) pour obtenir le SMIC. Grève unitaire CFDT-CGT (la CFDT de terrain est souvent très différente de sa confédération) depuis mardi 7 avril chez Ecocert, entreprise de certification bio en agriculture, pour exiger 120 euros d’augmentation.
Ces objectifs salariaux uniformes et donc unifiants, montrent la nécessité pour le syndicalisme de mettre en avant des objectifs salariaux visibles, et pas seulement le SMIC. La CGT publie sur son site un solide argumentaire revendicatif : « Les dix rasions de se mobiliser le 9 avril », parmi lesquelles « l’égalité effective des salaires entre les femmes et les hommes ». On y apprend aussi qu’en moyenne, « chaque salarié du privé travaille aujourd’hui 45 jours par an pour payer les dividendes aux actionnaires ». La FILPAC CGT, dans son bulletin hebdomadaire 7 jours, portera le 9 avril « la voix des sans voix », c’est-à-dire celle des salariés de Chapelle Darblay, de Arjowiggins Wizermes, menacés de licenciements, mais aussi la voix des « jeunes interdits d’embauche ». Elle dénonce les conditions de la négociation sur les retraites complémentaires (et plein d’autres du même type) « au siège du MEDEF, sur les bases des textes du MEDEF, contrôlées par le MEDEF ». L’Union syndicale Solidaires, comme la CGT, remet en avant la réduction du temps de travail « vers les 32 heures », avec embauches correspondantes. Elle défend aussi « la continuité du socle contractuel avec le maintien du salaire entre deux emplois ».
En Loire-Atlantique, où l’intersyndicale combative CGT, FO, FSU, Solidaires se tient la main dans la main depuis deux ans (selon Jean Brunacci de Solidaires), des débrayages significatifs sont annoncés le 9 avril chez Système U, Airbus, et une grève aux Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire. Des intersyndicales de secteur se sont mises en place à La Poste, France Télécom, territoriaux, finances, pompiers. Des distributions unitaires de tract ont eu lieu à la gare de Nantes, important lieu de passage.
Et les suites ?
La fédération CGT des services publics envisage donc une journée en mai (le 19). La métallurgie discute dans les mêmes termes. Pour Solidaires, « c’est à nous toutes et tous de décider des suites à cette première journée de mobilisation ». Tout le monde prépare aussi un Premier mai où cette année la Confédération européenne des syndicats (CES) annonce une forte dimension européenne. Il serait alors hautement souhaitable qu’à l’occasion d’un Premier mai européen, la solidarité syndicale avec la Grève menacée d’étouffement soit au premier plan. En France, le collectif Avec les Grecs et des syndicalistes seront présents à la manifestation parisienne du 9 avril. D’autres initiatives de solidarité se discutent, des voyages, des jumelages, ainsi que la poursuite du soutien aux dispensaires de santé autogérés.
Il se pourrait donc au total que le 9 avril marque le début d’un cycle de remobilisation sociale dont le pays sidéré a tant besoin. La gauche de combat, celle qui ne renonce pas, en sera elle aussi renforcée.
Jean-Claude Mamet, le 8 avril 2015.