Eugène BÉGOC nous invite à nous préparer à un scrutin présidentiel anticipé. Il dénonce l’absence de renouvellement des pratiques au sein de la gauche. Pour lui, il n’y a pas de choix : le temps est venu de la démocratie active. Dans chaque circonscription, il faut construire des assemblées citoyennes.
À gauche, démocratiser la démocratie
Par Eugène Bégoc. Le 22 juillet 2024.
Réminiscence italienne
Personne n’a oublié comment le naufrage du seul parti admis à gouverner l’Italie – la Démocratie italienne – propulsa Berlusconi, ardent défenseur des multinationales de la plate-forme Italie.
Voilà que la copie française – façonnée par le naufrage de l’UMP-LR et du Parti Socialiste – subit à son tour la sanction des marchés : les activistes du néo-capitalisme chassèrent Berlusconi en 2011, dix-huit ans après le lancement de Forza Italia. Huit ans seulement après les débuts d’En Marche, voilà Macron empêché comme le fut Berlusconi.
La gauche syndicale, politique, associative, bref, nous – le peuple de gauche – avons à nous préparer à un scrutin présidentiel anticipé.
Où en est-on ?
Or, où en est-on ? Les 9 et 30 juin ont été investies du vote pour ou contre Macron. Le 7 juillet a permis de voter pour ou contre Le Pen, comme vingt-deux ans plus tôt le référendum anti-Le Pen du 5 mai 2002. Et ce 7 juillet, le Rassemblement – Front National a définitivement perdu son vernis de normalisation.
Rien n’y a fait : ni la substitution laborieuse d’une femme du clan au tortionnaire d’Alger, ni l’appétence croissante de hauts fonctionnaires privés autant que publics pour un parti à plusieurs millions de voix, ni le fatalisme montant dans la société et la demande corrélative d’un ordre perdu à rétablir, ni même le défi ouvert des Bolloré et Stérin (Pierre-Édouard) à la réglementation de la presse et du pluralisme.
Il est indubitable que les 9,8 millions d’électrices et d’électeurs de gauche du premier tour des élections législatives partagent un large socle d’engagements et de convictions.
Un vote de ressentiment
Il est tout aussi indubitable qu’à l’opposé, les 9,4 millions de votant·es Bardella partagent exclusivement des ressentiments. Ne les relient qu’une même croyance dans le fantasme du recours à la femme ou l’homme « à poigne ». Ne les engage que le même renoncement à faire acte de citoyenneté par eux-mêmes, empressés qu’ils sont à déléguer leur protestation à cet obscur clan Le Pen.
Un vote barrage
Que reste-t-il du barrage de 2002 ? À partir du panel de 10 000 sondé·es suivi pendant plus d’un an par les équipes du CEVIPOF, du Monde et d’Ipsos-Sopra-Seria, Anne Muxel (CNRS et CEVIPOF) a établi que le 7 juillet deux tiers des électrices et électeurs de gauche ont voté macroniste quand le macroniste affrontait un lepeniste.
Le message adressé par le peuple de gauche aux votant·es Le Pen du 30 juin est sans ambiguïté : « le F-RN n’a rien d’un parti comme les autres. »
De fait, l’indignation de la présidente du groupe des 120 député·es F-RN contre la non-reconduction des accords Chenu-Braun-Pivet ne suscite qu’un écho médiatique national modéré et un silence discret de la presse quotidienne régionale, laquelle prend la mesure depuis des années des limites des votes et des manifestations de « ressentiments ».
Le danger vient des droites
Le danger vient avant tout des droites donc, de leur propension à abuser leurs électorats naturels, à les pousser toujours plus à droite plutôt que de les défendre contre la concentration du capital et plutôt que de s’attacher à résoudre les inadaptations de l’enseignement et des qualifications aux mutations sociales et sociétales.
Ciotti – Wauquiez concurrencent les invectives de Le Pen et consorts et s’attachent à la valeur travail, contre la « culture de l’assistanat ».
Macron leur a offert une énième loi de disruption contre les droits fondamentaux des étranger·ères, avant de partir en campagne pour renvoyer dos-à-dos lepenistes et mélenchonistes, qualifiés pour l’occasion d’extrémistes.
Son résultat est d’avoir divisé par deux la taille du groupe des député·es LR qu’il entendait soumettre et d’avoir aussi réduit de moitié son propre groupe à l’Assemblée.
Un déclin de la gauche
Reste que ce moment « ni droite ni gauche » des Macron et autres n’a été possible que parce que Valls-Hollande-El Khomri ont mis l’électorat de gauche à un étiage incroyablement bas. Un·e inscrit·e sur cinq !
À la mort lente du pompidolisme revisité par Chirac s’est ajouté le hara-kiri de l’homme de Corrèze, personnage prompt à s’incliner, depuis le PC pour l’Outre-mer à Oissel jusqu’au parking des Goodyear amiénois en 2012.
L’inaptitude des Mitterrand, Charasse ou Germon à concevoir le pluralisme et le mouvement social en actes hypothèque toujours l’avenir de leurs héritiers, de Hollande comme de Mélenchon. Or, les décrépitudes des deux partis de l’alternance de la cinquième République ne doivent rien au hasard.
Des partis de gouvernement déconsidérés
- Premier facteur : le scrutin uninominal à deux tours est exagérément réducteur dans les préparations individuelles et collectives du vote (« au premier tour, on choisit ; au second, on élimine »).
De plus, il est instable dans les résultats : « majorités godillots » au lendemain des grandes peurs du bourgeois comme en juin 68 et moment « ni droite, ni gauche » de 2017.
Ce mode de scrutin distingue le cas français de toutes les démocraties électorales du continent, il n’a plus cours qu’en France.
- Deuxième facteur : le modèle étatique français est un modèle usé et qui ne s’exporte plus depuis des décennies.
L’État reste centralisateur et incapable de transversalité. Le délibératif y reste, à tous les niveaux, écrasé par l’exécutif. Le gouvernement shunte systématiquement les assemblées politiques régionales, départementales et municipales.
Le triptyque préfet, directeur de l’agence régionale de santé et recteur tente toujours de perpétuer l’opérationnalité du modèle de hauts fonctionnaires rendus omniprésents et omniscients par un exécutif parisien omniprésent et omniscient.
Cet État post-napoléonien là était hier loué à l’extérieur. Aujourd’hui, il n’est plus qu’anachronique.
- Troisième facteur : à droite, il peut y avoir dans l’élection qui vient un homme à la hauteur de la situation.
À gauche, ce ne sera manifestement pas le cas, et c’est heureux.
Vouloir, à la suite de Mitterrand, gouverner avec deux-cents hauts fonctionnaires comme ose le prétendre Mélenchon est une pure sottise.
Il est par ailleurs vrai qu’aujourd’hui nombre de député·es de gauche et écologiste recrutent par petites annonces des chef·fes de cabinet et des directrices/directeurs de cabinet, singeant la formation des cabinets des ministres techniques de Debré et Pompidou, ou encore le futur maire de Massy en Essonne, Claude Germon en 1974.
« Ma petite entreprise ne connait pas la crise », comme le souligne Bashung et comme le revendique le clan Melenchon à la tête d’un trésor financier constitué du temps du Front de gauche et maintenant à la tête d’une armée de collaborateurs d’élu·es.
« Ma petite entreprise ne connait pas la crise » plastronnent-ils. Mais il n’en va pas de même de vous ou de moi.
Une gauche qui ne renouvelle pas les pratiques
Certes, au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.
Et, pendant l’immense mouvement contre la casse des retraites, croyez-vous que les cent cinquante député·es de gauche auraient demandé à être auditionné·es par les assemblées régionales, départementales et municipales ? Croyez-vous qu’ils auraient rencontré les CSE des PME et PMI comme des grands groupes ? Croyez-vous qu’ils auraient complété l’action de l’intersyndicale en démocratisant ainsi la démocratie ?
Une fois encore, les mélenchonistes ont prétendu se hisser à la tête du mouvement social avant, confrontés à l’impuissance du léninisme en 2024, de se réfugier sur l’aventin pour reprendre le cri de Hessel, « indignez-vous ».
L’absence d’ambition de renouvellement des pratiques est criminelle pour la gauche, surtout quand elle se redouble de cette suffisance des « communicants » de toutes sortes qui peuplent les rangs des représentant·es de gauche au Palais Bourbon.
Le temps de la démocratie est venu
Tout cela ne vous laisse et ne me laisse pas beaucoup de choix : le temps est venu de la démocratie active à gauche.
Démocratie active dans les syndicats.
Démocratie active et initiatives collectives pour les droits fondamentaux et mettre en œuvre la clause des salarié·es européen·nes les plus favorisé·es (conventions collectives, formations continues, reconversions, minima sociaux…).
Démocratie active dans les formations politiques, aussi déchirées soient-elles que par exemple le Parti socialiste de 2024, écartelé entre Hollande et les authentiquement à gauche, les Faure et autres.
Démocratie active et initiatives collectives pour renouveler l’ambition d’un communisme à usage immédiat, d’un communisme d’autogestion.
Démocratie active dans chaque circonscription, avec les candidat·es NFP élu·es et non élu·es, ASSEMBLÉES CITOYENNES dans chacune des 577 circonscriptions.
Une fois pas deux
M’sieur Macron, les jésuites de votre lycée La Providence vous ont trop habitué à vous reposer sur la providence. Funeste erreur qui vous prédispose à aller d’échec en échec quand le vent tourne.
Votre Waterloo aura été d’envoyer Attal sur le front ouvert par la FNSEA.
Nous, nous préparons l’avenir face à vos ralliements des néoconservateurs qui sont à l’offensive dans toute l’Europe, l’Asie et les Amériques. Nous voulons une autre Europe et nous agirons inconditionnellement aux côtés du peuple kanak et aux côtés des gauches ukrainiennes et palestiniennes confrontées au terrorisme d’États qui ne suscitent que de loin en loin vos communiqués d’indignation.