A propos des Comparutions Immédiates des Gilets Jaunes (quelques audiences entre le 19 novembre et fin avril)
Ces procès font apparaître des dérives cumulatives concourant peut-être à un infléchissement significatif des libertés publiques : par exemple, la banalisation des rafles, des gardes à vue (3jours à Fresnes le week-end de Pâques) , l’exploitation des données personnelles, la confiscation du bénéfice du doute face à des scenarios contradictoires de la police et des prévenus, l’élaboration d’une jurisprudence sans nuance fondée sur des présomptions de complicité , de suspicion des manifestants ( parce qu’ils s’attardent, qu’ils ont des gants, qu’ils prennent des photos…), des verdicts sévères avec des interdictions de venir à Paris à connotation d’apartheid social ….
Les rafles aux confins des heures autorisées des manifestations alors que beaucoup d’ attardés curieux se sentent dans leur droit de circuler sur la voie publique à l’occasion des dispersions ne sont pas nouvelles (des fichiers de badauds plus ou moins sympathisants sont établis et recoupés aux marges des manifs) mais leur ampleur associée aux saisies de sms et carnets d’adresses en modifie l’usage (alors que les casseurs circulent sans téléphones)
On relève aussi des comportement et interprétations standardisés des magistrats et procureurs , se référant mécaniquement pour condamner sans juger à des articles tels que 222-14 -2 ou 433-3 du CP, ou 211 -9 du CSI.
Les prévenus sont représentés comme délinquants et les délinquants comme asociaux dans le cadre de comparutions accélérées sans enquête (pas de repérage d’empreinte sur les projectiles contestés, pas de vision de vidéos disponibles…) des jeunes gens dissuadés de demander un renvoi dans leur incertitude de leur libération alors que les procureurs réclament des mandats de dépôt dans l’attente de l’audience : on se demande d’ailleurs comment l’administration pénitentiaire y ferait face.
Les peines paraissent disproportionnées. On est souvent surpris, en correctionnelle, de la sévérité des verdicts pour des actes tels que des graffitis ou des brutalités familiales mais il s’agit se situations individuelles alors que les jugements des Gilets Jaunes produisent chaque semaine des centaines de consternés annonçant qu’on ne les reprendra plus à manifester (sans réaction des juges), une résignation immédiate nourrissant très probablement des rancunes durables , sources de révoltes ou d’abstentionnisme.
L’interdiction de venir à Paris ou de circuler sur les Champs Elysées (mesure adaptée en fonction des situations individuelles) constitue une sanction de classe typique (classique quand il s’agit d’éloigner un agresseur du domicile d’une victime mais exécrable dans ces espèces malgré le fréquent consentement des prévenus qui souvent s’y engagent d’eux même et annoncent leur renoncement aux manifestations sans que les juges leur rappellent qu’on ne peut renoncer à ses droits)
Scénarios  principaux: manifestants-badauds ou récalcitrants à un ordre de dispersion, vigoureusement interpellés, placés en garde à vue, tél portables exploités, plutôt banlieusards, jeunes sans emplois, ou salariés gagnant entre 900 et 2500 euros, logés chez leur parents, dans un mobil home ou en location : sans savoir quelle proportion de raflés sont finalement retenus, on peut penser, vue la proportion de jeunes hommes , par rapport à ce qu’on connaît des manifestations , qu’ils sont sélectionnés sur la base de leur détention de quelques équipements symboliques : gants, masques, sérums physiologiques, sweats noirs…
Les mieux informés et défendus choisissent sans doute des CRPC.
Quelques petits vols dans les boutiques éventrées ( casquettes, tee shirt…)
Une part probablement sélectionnée dès l’interpellation de détenteurs d’un casier judiciaire, conduites sans permis, insulte à détenteur d’autorité publique, petit vol, consommation de drogue : ces petits larcins justifient ensuite la réintégration de la peine antérieure en sursis.
La plupart acceptent la comparution immédiate pour pouvoir rentrer chez eux (sans avoir la latitude de subordonner leur décision à leur libération dans l’attente de leur convocation , mais les avocats d’office doivent les conseiller)
Un peu d’alcoolisme en fin de journée (0.8 g par exemple)
Quelques blessés , avec quelques jours d’incapacité , nez cassé, doigt cassé, ecchymoses, visages encore tuméfiés.
Quelques provinciaux heureux de visiter Paris.
Toutes comparutions après au moins 48h de gardes à vues plus ou moins contestées
Et menottages .
Gardes à vue : abus (art 144 CP) ou nullités souvent invoquée par les avocats compte tenu de légers dépassements de délais d’information… ex, interpellé le samedi sans présentation à un jld le dimanche, contestations de l’absence d’un opj pour les fouilles…(quelques incidents cocasses comme ces 4 présumés blacks blocs interceptés dans une boulangerie à 10h30 invoquant l’absence d’opj pour leur fouilles – alors qu’ils plaidaient le remplissage de leur sacs individuels par les policiers eux mêmes à partir d’un stockage ne leur appartenant pas – , la procureuse décrivant au contraire la bonne fouille au commissariat du XIIIe à 16h30 , alors que les policiers eux même avaient diffusé sur face book les photos de leur butin dès midi…)
Quelques profils
– «  j’avais rejoint un groupe de manifestants que je ne connaissais pas à l a gare de Chatenay, il y a eu un effet de groupe, j’ai ramassé le baton, je n’ai pas été menacé, c’était une excitation collective, je n’ai tapé personne… » Nisset, 20 ans, de Rosny, interpellé muni d’un baton, ni Mairie de Paris ni policier ne se portent partie civile
– arrêté sur les Champs à 10h, avec une grenade usée ramassée, parents salariés de la Ville de Paris, détenteur de permis D , chauffeur de bus non confirmé dans son emploi.
Tel portable exploité  par le juge «  vous avez filmé un feu de poubelles et un panneau « Castaner , nique ta mère »
Procureur : vous avez participé au 2ème samedi de manif, le 25 nov, celui du saccage de l’Arc de triomphe ( le prévenu n’a pas été interpellé ce jour là, et se trouvait loin des
sites malmenés), mettre le feu à des installations abritant des personnes, c’est criminel
(le prévenu n’a pas filmé ces faits là)
« Vous avez envoyé un sms mentionnant votre satisfaction d avoir bloqué un rond point et caillassé » ( hors du contexte de l’arrestation)
-street medic soignant manifestants et forces de l’ordre , munis de cagoules et lunettes de plongées , détenteur d’un brevet de secouristes, raflé et gardé à vue pour détention de 2 petits morceaux de pierre reliques ou projectiles visant des PDAP ?(personnes dépositaires de l’autorité publique)
– Déjà interpellé à Caen, venu manifester à Paris, bac pro électro technique, gagne 900 euros / mois, mère secrétaire et père « une espèce de médecin », «  il est sorcier, quoi » , ironise le juge
– monté de le Drôme, chauffeur PL, 1400 eur/ mois vit en camping car a dégardé un bien de la ville en mettant le feu à une poublle 322-6 CP, 222-14-2
-> les procureurs décrivent des délits survenus au cours ou à côté de manifestations, insinuent la complicité des prévenus sans distinguer les griefs qui pourraient être imputables aux accusés (jets de pierre) et ceux avec les quels ils n’ont manifestement rien à voir compte tenu de leur lieu d’interpellation
« participation délictueuse à un attroupement armé  », si détention de projectile.
Les juges évoquent une intention délictuelle du simple fait que «  à partit de 8h50 sur les Champs, la radio avait signalé les saccages, vous ne pouvez pas dire que vous ignoriez que ça chauffait »
Quelques fois d’ assez bons avocats commis mais peu de réactions politique des prévenus. Certains avocats acquiescent au contraire aux interdictions de venir à Paris, ou développent des discours sur les mensonges systématiques de toutes les parties prenantes, contribuant à la confusion.
« la dégradation n’est pas la violence »dit un grapheur
Plusieurs prévenus déclarent : « je ne manifesterai plus, ça m’ a servi de leçon, » sans que les juges répondent qu’ils n’ont pas à renoncer à leurs droits
Indices aggravants :
être vêtu de noir (pourquoi êtes vous en noir ? (question presque récréative alors que c’est la couleur vestimentaire commune du XXème siècle, que le tribunal comme les auditeurs sont en noir) «  c’est le dress code », répond un prévenu ;
détenir un sac à dos, un masque , des baskets, des gants, du sérum physiologique :
le discours est établi pour suspecter , dans ces tenues de manifestants, l’anticipation d’un repli défensif suite à une intention agressive…
a posteriori : avoir pris photos, ou vidéos, conservation de petites reliques-projectiles ramassées sur place projectile par destination
« Vous déteniez un masque PAP/ANRDC qui est une arme de guerre » : le juge a répété cette formule. ( !!! : ca figure en effet dans le catalogue des uniformes mais ce n’est pas une arme !)  6 mois
Verdicts : pratiquement pas d’acquittements ;
Du ferme pour tout « récidiviste », 3 / 12 mois d’emprisonnement, des TIG, interdictions de venir à Paris pour un an, presque systématiques, avec ce que ça implique d ‘interdiction des lieux de pouvoir, de relégation symbolique …
Remarque : les audiences sont moins agressives quand il y a des journalistes dans l’assistance et les discussions lors des nombreuses interruptions avec les avocats des parties civiles souvent très éteints ou les accompagnants des prévenus, souvent très désemparés, ou les avocats d’office trop résignés ou débordés semblent très utiles.
Sylvie