Après la réforme de la PAC, adoptée en 2013 et son adaptation française en cours, le débat public porte à nouveau sur la question agricole et alimentaire avec le travail parlementaire sur ce projet de loi.
L’enjeu est important car la politique européenne conserve, malgré quelques améliorations (un peu de plafonnement et de verdissement) les paiements directs sur bases historiques comme axe central. Cette politique est donc toujours aussi inégalitaire et productiviste, à un moment où le projet de traité transatlantique menace de réaliser un nouveau grand saut vers un libéralisme intégral.
La question devient alors : le gouvernement français fait-il le maximum pour compenser les effets de cette politique européenne et orienter l’agriculture dans un sens écologique et social pour une alimentation saine pour tous ? Ici comme dans les autres domaines, les promesses et les effets d’annonce peuvent paraître satisfaisants. Le projet de loi contient bien quelques avancées susceptibles d’être renforcées au parlement. Mais elles resteront très insuffisantes pour infléchir l’évolution en cours et pour engager une transition vers un autre modèle agricole, malgré ou à cause de l’affichage de la recherche de la « double performance » économique et écologique ». Il s’agit pour le moins d’une performance du discours car le sens donné à « performance économique » n’est pas précisé. Ainsi, non seulement la performance sociale n’est pas recherchée mais la « performance économique » continuera à détruire les emplois en cohérence avec le système des aides directes de la PAC toujours proportionnelles au nombre d’ha ou d’animaux et non au nombre d’emplois. Quant à la recherche de la « performance écologique » elle reste secondaire. Les effets négatifs d’une telle politique ne seront que très peu compensés en matière d’installation ou d’agrandissement et de pratiques par les quelques avancées.
Dans le domaine des structures de production, on note un assouplissement des conditions de reconnaissance du métier permettant ainsi plus facilement un statut et des aides pour les exploitations diversifiées avec peu d’hectares et un léger renforcement du contrôle des structures pour empêcher l’agrandissement des exploitations jugés trop importantes, y compris celles en sociétés. L’artificialisation des terres est rendue plus difficile et le rôle des SAFER est renforcé à la marge. Mais par exemple, les aides à l’installation restent réservées « aux jeunes » alors que de nombreux candidats sont plus âgés et les SAFER ne seront obligées de préempter que dans certaines conditions.
Côté « écologie », la réalisation de l’agroécologie[1] dont le ministre semble faire son cheval de bataille, restera un accessoire pour discours ministériels et faux consensus. Certes, la proposition du GIEE (groupement d’intérêt économique et écologique) est intéressante. Il s’agit de favoriser (accès aux aides de la PAC pour le développement rural) des projets collectifs associant plusieurs agriculteurs d’un même territoire, innovants et visant la « double performance ». Fondée sur la pratique de certains groupes et réseaux (CIVAM et autres), cette proposition risque d’être de faible portée puisque les conditions structurelles ne sont pas modifiées pour favoriser l’adoption de pratiques agroécologiques. Sur ce point, le projet de loi est d’ordre cosmétique : il laisse les acteurs (firmes et agriculteurs) « œuvrer » à une réduction de l’usage des pesticides en créant des certificats d’économies de pesticides (à la manière des crédits carbone) et transfère la gestion des autorisations de mise en marché à l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation (ANSES), en confondant expertise et décision politique. A noter en positif, la mise en place d’une « phytopharmacovigilance » et l’amélioration de la traçabilité contre les produits frauduleux. La volonté manifestée de diminuer l’usage des antibiotiques en élevage restera de faible portée : rien n’est fait pour agir sur les conditions d’élevage et donc réduire le nombre d’animaux et leur concentration[2], ni même pour interdire l’utilisation des antibiotiques critiques, dangereux en termes de santé publique!
Les autres thèmes comme l’alimentation ou la forêt ne sont presque pas abordés. On se contente de traiter la question épineuse de l’alimentation en redistribuant les pouvoirs de décision. Quant à la forêt elle n’est traitée que sous son aspect « filière ». En fait, ces thèmes nécessiteraient un nouveau cadre législatif. L’enseignement agricole est également concerné avec quelques propositions intéressantes mais non placées dans un cadre cohérent avec le « produire autrement ». Quant aux questions fondamentales posées par la crise du système agroalimentaire notamment en Bretagne, elles sont laissées aux concertations d’un « plan régional ».
Ce projet de loi dit d’avenir est en réalité un ensemble de petites touches sans modifications de la logique productive en place, soulève néanmoins de nombreuses réactions des lobbys du secteur et des syndicats agricoles. La FNSEA est vent debout contre le durcissement (?) des normes environnementales et lance sa propre concertation avec ses amis (Jeunes Agriculteurs, crédit agricole, chambres d’agriculture) dans les « Etats généraux de l’agriculture ». La Confédération paysanne a mené et mène un gros travail de terrain et de concertation bien mis en valeur dans le n° de janvier de Campagnes solidaires et traduit dans un grand nombre de propositions d’amendement. Souhaitons qu’elles soient largement prises en compte et valorisées dans le débat parlementaire.
Une fois de plus, malgré la campagne « Envie de paysans », le débat citoyen risque d’être trop restreint. Il faudrait aussi que le mouvement social comme les forces politiques prennent en compte la complexité et la difficulté de la transition écologique et sociale de l’agriculture pour être en mesure d’élaborer les politiques nécessaires et d’appuyer les pratiques souhaitables tout en restreignant les autres.
Michel Buisson, le 9 janvier 2014.
[1] Parmi les nombreuses caractérisations de l’agroécologie, on peut retenir cette brève description des objectifs et des effets recherchés : mieux valoriser les ressources du milieu naturel tout en les améliorant et, ainsi, réduire fortement, si possible supprimer, le recours aux produits d’origine industrielle.
[2] A l’inverse, le ministère vient de relever le seuil de « l’autorisation simple » en cas d’installation ou d’agrandissement