La situation au Venezuela suscite, au sein de la gauche, débats et controverses. Le communiqué unitaire dont ENSEMBLE! est cosignataire1Solidarité avec le peuple vénézuélien n’y a pas échappé. Des camarades ayant contribué à la rédaction du communiqué, proposent cette réponse à un « Argumentaire sur le Venezuela pour les naïfs de gauche ». Partie 2/2.
À propos de quelques arguments opposés au communiqué unitaire sur les revendications démocratiques du peuple vénézuélien 2/2
Par un collectif. Le 12 août 2024.
Rappel : Cet argumentaire reprend les principaux points présentés dans le fil « Argumentaire sur le Venezuela pour les naïfs de gauche » pour montrer les enjeux réels qu’ils soulèvent.
8. Mais ce n’est pas tout ! Face aux doutes, Maduro a déposé un recours en justice devant le Tribunal Suprême de Justice, la plus haute instance, invitant le CNE, chaque candidat et chaque parti à présenter ses PV. Le CNE a remis 100% des PV, le PSUV (parti de Maduro) également.
- Avant tout, c’est bien le CNE qui peut résoudre ce problème, en particulier par le biais d’un audit tel que cela a été sollicité à des nombreuses reprises par des acteurs nationaux et internationaux. Il n’est pas aisé de comprendre en quoi le TSJ devrait prendre sur lui les prérogatives propres au CNE en tant que pouvoir indépendant et pleinement capable techniquement et politiquement de répondre aux inquiétudes sur cette élection, tel qu’il l’a fait par le passé.
- Ensuite, prenons en compte que l’indépendance du TSJ est mise en cause par des longues années d’insertion dans ses plus hautes instances de juges ayant des liens forts avec le parti du pouvoir. L’actuelle présidente du TSJ, Caryslia Rodríguez, est d’ailleurs une militante du PSUV et a été candidate par le passé pour le parti.
- Enfin, ce recours n’explique en rien l’incapacité de montrer les résultats détaillés de l’élection aux Vénézuéliens.
9. Et le « principal concurrent » ? Rien. Il ne s’est même pas rendu à la convocation, ce qui constitue un délit grave, de même que le fait d’avoir diffusé des faux PV sur internet. Ils n’ont déposé aucun recours, ni devant le CNE, ni devant le TSJ, seules instances compétentes.
- Edmundo González Urrutia émet une réponse face à la sollicitation faite par le TSJ en disant qu’il ne se rendra pas au rendez-vous car il considère que cela peut mettre sa sécurité en danger. S’il n’y a pas d’ordre d’arrestation contre lui, des personnes ayant milité pour la campagne électorale de l’opposition libérale vivent désormais diverses formes de persécution ou ont été emprisonnées. En outre, une enquête criminelle a été ouverte contre lui et María Corina Machado par le Parquet vénézuélien pour « usurpation de fonctions, diffusion de fausses informations, incitation à la désobéissance aux lois, incitation à l’insurrection, association de malfaiteurs ». (https://www.lemonde.fr/international/article/2024/08/06/au-venezuela-enquete- criminelle-ouverte-contre-le-candidat-de-l-opposition-a-la- presidentielle_6269313_3210.html)
- Enrique Marquez, candidat du parti Centrados soutenu par Juán Barreto, ancien maire de Caracas pour le chavisme, s’est rendu au TSJ et a dénoncé la procédure en cours. L’allocution du candidat a été interrompue par la chaîne publique Venezolana de Televisión. Depuis, lui et Barreto présentent des preuves de la persécution à laquelle ils font face (des voitures sans matricules garées à proximité de leurs domiciles, menaces de la part de Diosdado Cabello, dans son émission de télévision « Con el mazo dando »…).
- La plupart des autres 9 candidats sur 10 qui s’y sont rendus, sauf Maduro et un autre, ont demandé la publication des résultats détaillés, des PVs les corroborant et/ou un audit vote / vote : https://elpitazo.net/politica/tsj-que-dijeron-los-candidatos-tras-acudir-al- tribunal-supremo-de-justicia/
10. « La seule sortie par le haut consiste en un audit citoyen, public et pluraliste des actes du scrutin » Il y a des audits citoyens à CHAQUE ÉTAPE du processus menant au scrutin. Ils ne vous ont pas attendu pour cela. Le CNE est composé d’officialistes et d’opposants.
- En effet, la procédure électorale prévoit des audits. Toutefois, l’expert électoral Eugenio Marquez explique qu’une série d’audits qui devaient avoir lieu après les élections, dont un audit citoyen, n’ont pas eu lieu. Ils devaient avoir lieu les 29 juillet, le 2 août et le 5 août (https://x.com/puzkas/status/1821901656495206410). Malheureusement, la famille de cet expert, qui lui a été obligé de s’exiler, vit aussi la pression policière de même que l’opération “toc-toc” a vu des intrusions policières chez plusieurs figures des oppositions (https://www.bbc.com/mundo/articles/cly33kp1q19o).
- Quant à la composition du CNE, ce n’est pas l’institution dans sa totalité qui est composée par des officialités et des opposants, mais sa direction. Le rapport de forces y est majoritaire à l’officialisme, et l’insertion d’opposants a été le résultat d’ardues négociations. Les résultats énoncés le 29 juillet n’ont pas été validés par toute la direction du CNE, en particulier par l’un des « rectores » (directeur) qui, selon diverses sources, se trouve désormais dans la clandestinité. Il est même probable qu’il soit disparu. Il avait, en juin, dénoncé le retrait unilatéral de l’agrément d’observation électorale de l’Union européenne (https://elpais.com/america/2024-06-12/un-rector-del-cne-de- venezuela-acusa-al-presidente-del-organo-electoral-de-retirar-la-observacion-europea- sin-consultar.html)
11. Venons-en à la « répression implacable », avec « 1200 arrestations » et « au moins 22 victimes ». Ils ne manquent pas de souffle. Vous citez le Procureur pour le premier chiffre mais pas pour le second, pourquoi ? Le chiffre de 22 morts a été avancé par plusieurs ONG bien connues pour leur « impartialité ». Elles sont toutes liées aux agences de renseignement nord-américaines. Une des plus citées : Foro Penal.
En effet, les chiffres divergent selon les sources. Aujourd’hui, le gouvernement parle de plus de 2 000 personnes emprisonnées et de plus de vingt morts. Des ONG telles que PROVEA et, en effet, Foro Penal ont pu confirmer approximativement 1 200 arrestations et 24 morts (https://es.euronews.com/2024/08/07/al-menos-24-muertos-y- mas-de-2200-detenidos-en-las-protestas-contra-los-resultados-en-vene). Malgré la déclaration mise en exergue par Christian Rodriguez, rien ne semble pouvoir affirmer que le Foro Penal est financé par la CIA, ni qu’il s’agit du point de vue de l’impérialisme US, qui sait s’exprimer par ailleurs.
- L’ONG PROVEA est une organisation qui existe depuis 36 ans. Au cours de sa longue histoire, elle a critiqué les abus en termes de droits humains provenant de gouvernement néolibéraux avant Chávez, sous Chávez ou sous Maduro. Elle a pu saluer la baisse dans la répression des manifestations de rue au début des années Chávez, tout en restant intraitable sur le respect des droits humains aujourd’hui.
- Quant au rôle et positions politiques des ONG au Venezuela : il est vrai que ces organisations obtiennent des financements à l’étranger, y compris par le biais des structures publiques et privées des États-Unis, mais aussi de l’UE, d’organisations philanthropiques internationales, entre autres. Leur travail de terrain est connu de longue date. Leurs positions politiques peuvent être critiquées. Toutefois, elles ne sont pas incapables de nuances. Ainsi, par exemple, Provea finance une étude qui démontre les effets néfastes sur la population vénézuélienne des sanctions économiques étasuniennes. Elle a été rédigée par l’économiste marxiste reconnu Manuel Sutherland : https://provea.org/publicaciones/investigaciones/informe-especial-las-sanciones- economicas-contra-venezuela-consecuencias-crisis-humanitaria-alternativas-y- acuerdo-humanitario/
- D’autres ONG dont les origines et financements divergent de ces premières, telles que Surgentes, se prononcent dans le même sens que celui de Provea : https://www.instagram.com/p/C-Jup6Hom5G/
12. 1200 arrestations, le chiffre est daté. C’est 2000 officiellement. Destructions de biens publics, incendies d’hôpitaux et mairies, lynchages de passants parce que « ressemblant » à des chavistes (=parce que noirs). La liste est longue. Non-exhaustif.
- Les manifestations en cours au Venezuela sont aussi traversées par la violence, avant tout la violence policière et militaire et la réponse des manifestants. Nous ne rentrerons pas ici dans les termes de la discussion telle qu’elle s’impose parfois aux forces de gauche en France « Condamnez-vous les violences ? Les émeutiers ? Les casseurs ?… ».
- Par le passé, en 2017 et 2019, des violences contre des personnes noires – et de ce fait assimilées à des chavistes – ont été rapportées. Aujourd’hui, les violences contre des personnes identifiées en tant que chavistes se confirment, en particulier, dans les quartiers populaires. Plus que des violences racistes connues par le passé, elles semblent être le fait de violences intra-quartiers, entre voisins, répondant aux fortes tensions sociales à la suite des élections. De plus, cette mention reste à documenter pour le mouvement actuel, et ressemble à une résurgence de ce qu’il s’est passé lors des émeutes de 2017. À ce sujet, voir : https://lundi.am/Racisme-et-violence-d-Etat-au- Venezuela
- La société vénézuélienne est en effet une société raciste, classiste et patriarcale. Le conflit politique durable trouve aujourd’hui des expressions qui répondent à ces clivages. Le gouvernement Maduro a lui-même attisé ces clivages par le biais de ses politiques économiques et sécuritaires anti-populaires, tel que lors des Opérations de libération du peuple entre 2015 et 2017, sachant que les FAES, puis les DAET ont pris le relais. Du reste, ⅓ des homicides dans le pays sont perpétrés par les forces de l’ordre (https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/09/au-venezuela-les-inspections- illegales-les-arrestations-arbitraires-et-les-disparitions-sont-devenues-monnaie- courante_6273829_3232.html)
- La politique de Maduro est aussi violente envers les populations autochtones du pays et est même dénoncée en cela comme un colonialisme interne. Les politiques de Maduro sont en effet extractivistes et écocides, sans ménager les populations de la périphérie du pays (Omar Vázquez Heredia, Claudia Rodríguez Gilly. “Expansión de la frontera extractivista en Venezuela. Arco Minero del Orinoco. Estado y organizaciones armadas paraestatales ante los pueblos indígenas de ese territorio.” En Varios autores : Amazonía y expansión mercantil capitalista. Nueva frontera de recursos en el siglo XXI. Clacso-Cedla.)
- La quête d’une sortie par le haut est aussi celle d’une sortie qui permette de construire des formes de médiation, de justice transitionnelle, de construction de mémoire, hautement nécessaires pour la société vénézuélienne, pour ses luttes démocratiques et d’émancipation.
13. Maduro voudrait ouvrir deux nouvelles prisons pour organiser du « travail forcé » avec 1000 nouveaux détenus. Oui, et il paraît que Maduro va même manger des enfants ! C’est pathétique. Du travail en prison ou des travaux d’intérêt général, quel scandale !
- Au-delà par ailleurs de la question carcérale qui ne doit pas être prise pour évidente, la pratique de l’emprisonnement politique est tout à fait assumée par le président. Plus que de simples prisons, Maduro fait en effet référence aux prisons d’avant le régime démocratique au Venezula. https://x.com/VPITV/status/1819146354201137501 : « Il faut des prisons de sécurité maximum pour toutes les bandes de nouvelle génération qui sont compromises dans les émeutes et dans les attaques criminelles, et il n’y aura ni pardon, ni hésitation. Dans le cadre de la constitution, dans le cadre de la loi. Et miser sur le fait que ces prisons de sécurité maximum parviennent à faire une rééducation et convertir en graine productive. Qu’ils se mettent à produire, qu’ils se mettent à travailler, comme cela se faisait à l’époque. Ils les sortaient pour faire des routes, tu te souviens ? [se tourne vers un interlocuteur et imite le geste d’une pioche]. Bon, il y a beaucoup de chemins à faire, qu’ils fassent des routes. Non ? »
Cela fait référence aux pratiques du dictateur Marco Perez Jimenez (1953-1958), donc avant la constitution démocratique, qui envoyait les opposants politiques en camps de « rééducation » par le travail forcé. On peut aussi mentionner la tentative de faire de l’application Venapp une application visant à encourager les Vénézuéliens à la délation de leurs voisin·e·s comme « opposants », dénoncée notamment par Amnesty International.
14. En France, les mêmes crimes et délits sont punis. Pour BEAUCOUP MOINS QUE ÇA, dans la patrie des Droits de l’homme, on a mis en garde à vue 10 000 gilets jaunes et on en a condamnés 3100 !! Avons-nous reconnu Mélenchon président de la République française à ce moment-là ?
- La répression politique est condamnable et condamnée par les forces de gauche, que ce soit en France, au Venezuela ou n’importe où elle a lieu. La comparaison numérique est pourtant révélatrice : presque autant de personnes emprisonnées au Venezuela en à peine 10 jours que de condamnés en France en 10 mois. Au-delà de ces questions de chiffres, lors du mouvement des Gilets Jaunes, la France ne faisait pas face à une controverse électorale. Cette mobilisation ne concernait ni l’élection d’Emmanuel Macron ni une éventuelle présidence de Jean-Luc Mélenchon. Ce serait regrettable de réduire le mouvement populaire de masses qui est celui des Gilets Jaunes à une question électorale.
15. Ils soutiennent la déclaration conjointe du Brésil, du Mexique et de la Colombie ? En voici une citation : « Le CNE est l’organe légalement mandaté pour assurer la communication transparente des résultats des élections. » Pas un site internet monté par l’extrême-droite.
- Nous sommes d’accord que c’est le CNE l’organe qui doit donner aux citoyens vénézuéliens les informations détaillées sur le scrutin.
- CR cite ici le communiqué du 8 août, alors que, dès le 2 août (et c’est d’ailleurs le communiqué cité dans le communiqué unitaire ciblé, disponible ici : https://x.com/SRE_mx/status/1819132378742509906), ces trois chancelleries en appelaient « aux autorités électorales vénézuéliennes pour qu’elles avancent rapidement et publient les données détaillées par bureau de vote. »
En guise de conclusion :
La plupart des organisations de gauche et d’extrême gauche ont lâché tout soutien politique à un gouvernement dont la politique de casse sociale n’est plus à démontrer.
C’est le cas de : Redes de Respuesta de Cambios Comunitarios (REDES) — un parti chaviste dont le porte-parole et fondateur est Juan Barreto, qui fut député et maire de Caracas sous Hugo Chávez — ; Marea socialista — un courant trotskiste ayant rompu avec le chavisme au milieu des années 2010 — ; le PSL — Parti socialiste libertaire, organisation d’inspiration trotskiste et libertaire critique de longue date du chavisme — ; le Parti communiste du Venezuela (PCV), qui a soutenu un candidat centriste contre Maduro après s’être vu interdire de présenter un candidat2https://prensapcv.wordpress.com/2024/07/29/comunicado-sobre-las-elecciones- presidenciales/ ; En Común — collectif de gauche socialiste et démocratique —.
Écocide, contraire à l’ambition socialiste, répressif, compromis avec l’impérialisme US comme avec le Russe et le Chinois, anti-ouvrier et anti-syndical, capitaliste, contre le droit des femmes, des minorités de genre et sexuelles, tel est ce gouvernement Maduro.
Les contorsions pour le défendre ne sont plus tenables.
Notes
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- 2