Par Alice Queval, avec Jean Tortrat
L’annonce d’une nouvelle cure d’austérité a mis le feu aux poudres à Radio France. En grève depuis près de trois semaines, les salarié-es demandent l’arrêt des restructurations en cours, le maintien des missions de service public de la radio et le budget nécessaire.
Vendredi 3 avril, les salarié-es de Radio France ont reconduit jusqu’au mardi 7 avril la grève entamée il y a seize jours et ils ont voté à une très forte majorité une motion de défiance demandant le départ « sans délai » de Mathieu Gallet, le président de la radio publique. La motion dénonce « son mépris du dialogue social » puisque depuis le 30 mars, les négociations dans le cadre des préavis de grève sont au point mort. Depuis, les séances de négociation convoquées dans l’urgence samedi 4 avril ont confirmé la volonté de la direction de passer en force. Seule petite concession, à la demande de la ministre de la Culture, le recul sur la fusion des deux orchestres, mais pas sur le fond du plan drastique d’économies.
Les quatre préavis de grève illimitée à partir du 19 mars déposés par cinq organisations syndicales (CFDT, CGT – dont le Syndicat des journalistes CGT –, le SNFORT, Sud et UNSA) demandent notamment l’arrêt des externalisations (ménage, sécurité, etc.), l’abandon de la réforme des moyens de production, le maintien des effectifs et le retour à l’intégralité des programmes locaux à France Bleu, le maintien des orchestres et du potentiel de production au sein de Radio France.
Le mouvement a été plus suivi chez les journalistes ce 3 avril, le Syndicat national des journalistes (autonome, affilié à Solidaires) ayant appelé à la grève pour 24 heures. Mais il n’a pas soutenu la motion de défiance, estimant que le départ de Mathieu Gallet n’était pas la solution des problèmes de Radio France.
Toujours droit dans ses bottes, Mathieu Gallet avait déclaré sur iTélé, le 2 avril : « Une grève, il faut savoir la finir », laissant entendre qu’il a toujours la confiance de la ministre de la Culture, Fleur Pellerin. Les salariés ne sont pas dupes des dernières manœuvres de la tutelle et de la direction de Radio France, qui se renvoient la balle mais sont d’accord sur le fond : la radio publique coûte trop cher, l’austérité est la seule solution et un plan de départs de 300 à 380 personnes est inévitable.
Depuis plus de deux semaines, l’assemblée générale et l’intersyndicale exigent de connaître le contenu du « plan stratégique » concocté par Mathieu Gallet dans une parfaite opacité et qu’il ne présentera que le 8 avril devant le comité central d’entreprise (CCE).
Contrairement aux allégations de la direction, relayées par de nombreux médias, le mouvement est très populaire et suivi chez les salariés, comme le montrent l’affluence aux assemblées générales et le petit nombre d’émissions assurées. L’imagination des grévistes (et de leurs soutiens) pour expliquer au grand public les raisons de la grève se manifeste sur les blog des grévistes « Le meilleur des ondes » ou des radios alternatives comme « Ma radio pédago », celui de « Là-bas si j’y suis », ou « De l’air à France Inter ». Les deux orchestres de Radio France donnent des concerts gratuits, des rencontres avec les auditeurs se tiennent sur le parvis de la Maison de la radio ou dans des salles à Paris et en Ile-de-France. Les motions de solidarité avec la grève affluent, signe que le sort de la radio de service public n’est pas indifférent aux syndicalistes, aux militant-es associatifs et politiques ou aux auditeurs et auditrices qui relaient la pétition lancée par les grévistes. Enfin, la forte préparation en amont et la création d’une caisse de grève permettent au mouvement de s’enraciner et de durer.
Une grève qui vient de loin
Après l’annonce d’un déficit de 21 millions d’euros et d’un plan de 50 millions d’économies début 2015, plusieurs journées de grève ont fait office de répétition générale. Très bien suivies, elles n’ont, malgré tout, pas calmé les ardeurs réformatrices du jeune président, relayées par une hiérarchie qui ne crache pas sur les méthodes en vigueur dans le privé. Restructuration rampante depuis plusieurs années, externalisation de services entiers, précarité endémique, mutualisation imposée vont de pair avec la réduction de l’offre de la radio publique. Les programmes de l’été 2014 ont servi de rampe d’essai : de moins en moins de productions originales et des rediffusions jusqu’à la nausée ont été le quotidien des malheureux auditeurs et auditrices. Sur directive de la direction, Mouv (radio en direction des jeunes) sert aussi à tester une offre qui ressemble de plus en plus aux radios musicales privées.
Dans les locales du réseau France Bleu, particulièrement mobilisées, les journalistes, techniciens et animateurs craignent de ne plus faire leur travail de proximité. Leur bête noire, la « syndication », nouvelle forme de mutualisation qui consiste à fabriquer une émission pour plusieurs régions. Ce serait la mort programmée des radios locales… Le projet de fusion des rédactions nationales provoque la même inquiétude chez les journalistes de France Culture ou de France Musique… Et l’ennui naquit un jour de l’uniformité.
La bataille des coûts… et des chiffres
Comme le disait un musicien sur A’Live spéciale grève jeudi 2 avril, « à France Inter, on fabrique tout ce qu’on diffuse ». Même chose à France Culture, France Musique et sur toutes les antennes du « groupe ». La production assurée en interne, c’est la garantie de la qualité et la marque du service public, affirment les salariés. Face au discours libéral sur la nécessaire réduction des coûts (surtout salariaux), dont le rapport de la Cour des comptes est le parfait archétype, les grévistes et leurs soutiens affirment que la culture n’a pas à être rentable, pas plus que la radio de service public.
Les grévistes insistent sur la dérive pharaonique des coûts de rénovation de la Maison de la radio, dont une partie, nullement indispensable, continue d’occasionner une dégradation des conditions de travail et des locations dispendieuses à l’extérieur. Quant au contrat d’objectifs et de moyens 2010-2014, il se solde par le non-versement de 81 millions d’euros par l’Etat. Et pour résorber le déficit prévu de 21 millions d’euros en 2015, l’équipe de Mathieu Gallet annonce la réduction de 15% du recours aux CDD (aujourd’hui l’équivalent de 700 « temps plein »), un plan de départs « volontaires » de plusieurs centaines de personnes et la réduction de tous les coûts. Pourtant, l’austérité ne concerne pas tout le monde, car les plus hauts salaires de la Maison ronde ne connaissent pas la crise. En témoignent les 100 000 euros dépensés pour la rénovation du bureau de Mathieu Gallet, révélateurs de la dérive du nouveau « management » des services publics. Le même Mathieu Gallet, de 2010 à 2014, lors de son passage à l’INA avait déjà profité de la manne publique avec 125 000 euros de rénovation de bureaux et 1 million de frais de conseil !
Enfin, les syndicats mettent l’accent sur le faible coût de la radio publique pour les contribuables (26 euros par foyer par an) au regard de la qualité de ses productions. Dans un paysage audiovisuel de plus en plus médiocre, on peut en effet se féliciter de l’existence d’un service public qui donne accès à la culture, à une information et à des divertissements de meilleure qualité. Des biens communs à préserver becs et ongles. Aidons les grévistes à faire plier Mathieu Gallet, la direction de France Inter et le gouvernement pour sauver le service public des l’audiovisuel.