La 13ème journée nationale d’action du 15 septembre contre la loi Travail à l’appel de l’intersyndicale nationale (CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, FIDL, UNL) va-t-elle déclencher un nouveau cycle de mobilisations comme nous l’avons connu au printemps ?
La question est dans toutes les têtes. Mais il est très rare qu’un mouvement social poursuive à l’automne la trajectoire amorcée au printemps. Cela avait été le cas en 2010, mais la loi Sarkozy sur les retraites n’était pas encore promulguée en septembre, lorsque l’intersyndicale avait décidé une relance de l’action. La loi Travail, non votée, minoritaire partout (parlement, opinion publique, et même dans le syndicalisme avec la très forte prise de distance prise par la CGC et même par l’UNSA) est promulguée par l’exécutif gouvernemental. Ce même exécutif qui, sous l’aiguillon assidu de Laurent Berger, s’empresse de sortir au plus vite les 117 décrets d’application de la loi, pour asséner l’idée qu’aucun retour en arrière ne sera possible. Ce même exécutif qui a va entourer les cortèges du 15 septembre d’une nuée envahissante de flics fouillant et enquiquinant tout le monde, pour bien montrer que l’autorité de l’Etat néolibéral doit fortement encadrer les libertés publiques, surtout celle de manifester et de lutter. Ce même exécutif qui n’a pas hésité en plein cœur de l’été de donner son aval au licenciement d’un syndicaliste CGT d’Air France suite à une affaire de chemise, qui n’a pas cessé de traquer des militants (chez eux !) et de fabriquer une liste impressionnante de jugements antisyndicaux et anti-mouvements pour cet automne. Un exécutif qui veut donc faire perdre l’envie et l’énergie d’agir pour ses droits, en montrant ce qu’il en coûte de temps perdu dans les tribunaux, avec les avocats, etc.
C’est donc un vrai défi de repartir en luttes dans ce climat, même si ce qui s’est passé au printemps pendant 5 mois est déjà un évènement inédit dont les effets profonds dans la société ne sont peut-être pas tous déployés. Mais un fait positif doit d’abord être mis en valeur : l’intersyndicale tient le coup, pour réclamer maintenant l’abrogation de la loi Travail. Ce n’était pas joué d’avance, alors que le calendrier des élections dans les Très petites entreprises (TPE) à la fin de l’année va pousser à la concurrence intersyndicale. Et aussi parce qu’il est très rare par exemple que Force ouvrière accepte une intersyndicale dans la durée. J. Claude Mailly laisse entendre d’ailleurs qu’après le 15, les formes d’action vont changer, et peut-être aussi que la forme « unitaire » ne durera pas. Pourtant organiser une rentrée sous le drapeau de l’unité, avec le meeting de Nantes du 7 septembre, avec la présence inédite d’un secrétaire général FO à la fête de l’Humanité (présence vilipendée par J. Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS, au nom de « l’indépendance » chère à Bergeron !), c’est plutôt une bonne nouvelle. J. Claude Mailly a d’ailleurs répliqué à Cambadélis qu’il aimerait savoir ce qu’aurait « dit Jean Jaurès de la loi travail »… Autrement dit, J. Claude Mailly a assumé un clivage politique dans une période pré-électorale, comme il l’avait déjà fait avec sa proposition de référendum au printemps. Certes, il se montre aussi très réservé sur les suites du 15…
Mais ce qu’il faut donc noter par contraste, c’est que cette intersyndicale unie, qui jouait au printemps un rôle d’opposition au pouvoir, tranche avec un paysage désolant offert par la gauche opposée à la loi Travail et au gouvernement, où prime la division et des batailles de leadership. Ce qui était déjà assez triste au printemps, où les gauches qui soutenaient le mouvement ne parvenaient pas à prendre des initiatives marquantes pour amplifier la crise politique pourtant béante (cortèges communs, groupe parlementaire commun, meetings communs partout…) devient franchement néfaste cet automne. Pourtant, bien au-delà de la seule loi Travail, l’actualité offre beaucoup d’occasions pour agir politiquement en commun, et ne pas laisser le champ libre à Hollande pour tenter de se refaire une virginité. Par exemple, il est sûrement possible d’avoir une attitude commune sur le scandale Alstom, sur la répression antisyndicale, sur la dénonciation des campagnes de haine raciste des droites déchainées, sur l’accueil des réfugiés, pour l’égalité et l’universalité des droits humains. Comme le dit Pierre Laurent (fête de l’Humanité) l’unité syndicale devrait être « un encouragement fort à poursuivre l’unité politique ». Ensemble ! propose depuis le printemps un tel front commun des gauches antilibérales, dont l’action publique serait une aide certaine pour la lutte contre la loi El Khomri et pour son abrogation.
Front social, front syndical
L’intersyndicale est donc un exemple. Mais cette avancée ne doit pas être déçue. Bien sûr il y a les élections professionnelles des TPE en décembre, et la réforme des calculs de représentativité syndicale aboutira en 2017 à des résultats nationaux agrégés scrutés par tous ceux qui espèrent une poussée vers la CFDT au détriment du syndicalisme de lutte et unitaire. Va-t-on entrer dans une guéguerre à nouveau ? Philippe Martinez, aux côtés des autres représentants de l’intersyndicale à la Fête de l’Humanité, a appelé à la syndicalisation. Il a même esquissé l’idée d’un appel général au renforcement, en demandant à ses partenaires s’ils avaient amené des cartes syndicales sur la fête. Ce serait la bonne voie : si l’intersyndicale nationale lançait une campagne commune de syndicalisation, serait-ce négatif pour les résultats des uns et des autres en fin d’année ? La CGT avait déjà lancé cette idée après son congrès de Strasbourg au début de 1999. Georges Séguy, décédé cet été, l’avait fait adopter au congrès de Grenoble en 1978. C’est vraiment le bon moment, après le printemps 2016, de pousser à nouveau dans ce sens-là.
Pousser dans ce sens, c’est bien sûr pérenniser l’intersyndicale. Il n’y a pas accord sur tout ? Bien sûr. Mais l’accord passé sur la loi Travail est porteur d’une dimension globale, et les interventions publiques respectives de Mailly et Martinez le montrent régulièrement. Quant aux convergences CGT, FSU, Solidaires, elles sont visibles depuis plus longtemps encore sur la plupart des grands dossiers revendicatifs et dans beaucoup de luttes convergentes. Qu’est-ce qui empêcherait de construire, en cas de désaccords, un outil commun de débat intersyndical, y compris ouvert à la CFDT ? Si ce front commun social et syndical se mettait en place, il déclencherait sans nul doute un grand espoir dans le salariat, notamment chez les plus démunis, les moins protégés, les plus éloignés du syndicalisme, justement dans les très petites entreprises. Et peut-être que tout le monde en profiterait. Et que la méfiance de certains participant-es des Nuits Debout envers le syndicalisme serait un peu moins virulente. Enfin, il se passe quelque chose, entendrait-on !
Une « alternative sociale »
C’est Philippe Martinez qui a utilisé l’expression « d’alternative sociale » dans sa conférence de presse de rentrée. L’intersyndicale s’est mise d’accord pour attaquer la loi travail par tous les bouts : par le bout juridique (conseil constitutionnel, conventions internationales de l’OIT, ONU, etc) où il y a sans doute matière à rebondissements, et par le bout de l’action quotidienne pour se mettre en travers de son application dans les entreprises. Par exemple, il se pourrait que l’encouragement de la loi à baisser la rémunération des heures supplémentaires (25% à 10%) ne passe pas facilement, comme l’ont montré les chauffeurs routiers en mai dernier, dont le début de grève sur ce sujet à fait reculer immédiatement le gouvernement.
Mais en cette période de débat politique exacerbé par l’élection présidentielle, le syndicalisme pourrait contribuer à donner un peu de sens ou simplement de dignité à la dispute nationale, en dépassant les délires réactionnaires entendus quotidiennement. Et la promotion d’un Code du travail alternatif, décliné par des initiatives bien préparées, en lien avec les juristes, les associations, les forces de gauche, pourrait porter sur la place publique de vrais débats pour « une alternative sociale ». C’est aussi ce à quoi pourrait s’atteler le Collectif Le Code Qu’il Faut Défendre (CQFD) qui comprenait la plupart des acteurs et actrices de la lutte du printemps.
Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, a également parlé au meeting commun de Nantes « d’ateliers revendicatifs dans tous les départements, afin de remettre aux élus un livre blanc ». Dans la même veine, Philippe Martinez a ajouté : « Nous devons peser dans la campagne électorale, nous pouvons changer les choses sur le plan politique ».
Et après le 15 ?
Dans la CGT, lors de l’assemblée générale de rentrée, des voix un peu différentes se sont exprimées, rapportées dans le Nouvelle Vie ouvrière « spécial rentrée ». Pour la fédération des cheminots CGT, qui dépose un préavis pour le 15, « l’abrogation de la loi travail ne suffira pas pour mobiliser », elle suggère d’ajouter une plate-forme incluant les salaires, les conditions de travail, etc. De fait, la CGT va engager aussi en octobre une campagne pour la réduction du temps de travail et les 32h.
On l’a dit, il y a aussi une succession de rendez-vous pour défendre les syndicalistes menacés par la répression : les 27 et 28 septembre au TGI de Bobigny, mobilisation pour soutenir seize salariés d’Air France. Les 19 et 20 octobre à Amiens, grande mobilisation aux côtés des Goodyear. Ce sont les dossiers les plus emblématiques, mais il y en a beaucoup d’autres. C’est pourquoi l’idée d’un collectif national unitaire pour fédérer toutes ces luttes contre la répression et contre les violences policières a émergé, proposé par le Parti de gauche, par la compagnie Jolie Môme, dont un de ses membres (Loïc) est menacé de poursuites pour une action conduite en juin vers les locaux du MEDEF qui bloquait les négociations d’assurance-chômage et sur les intermittents du spectacle.
Enfin Eric Beynel, co-délégué national de l’Union syndicale Solidaires, a suggéré à Nantes et à la fête de l’Humanité une nouvelle date d’action commune le 7 octobre, date d’une journée nationale de lutte en Belgique contre la loi Peeters, quasi copié-collé de la loi Travail, qui veut étendre la semaine de travail à 45 heures par exemple. De premières mobilisations importantes ont lieu au printemps, à l’appel de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), de la centrale chrétienne CSC, et de la CGSLB (syndicat libéral), mais aussi des organisations de jeunesse, avec 50 000 personnes à Bruxelles. Des actions convergentes de solidarité avaient eu lieu dans le nord de la France. Ce serait le moment de concrétiser le 7 octobre l’existence d’une Europe sociale, syndicale et solidaire. Une bonne réponse à la crise de l’Europe.
Jean-Claude Mamet