Un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) sur la formation professionnelle vient de voir le jour. Comme souvent, ce n’est pas la formation elle-même qui mobilise les signataires et les commentateurs, mais l’importance attachée à telle partie de l’accord – tel l’instauration d’un droit attaché à la personne, ou bien le fait de figurer parmi les « partenaires sociaux » reconnus…
Le nouvel accord ne déroge pas à la règle. Les débats internes à la CGT sur la signature, ou l’absence de débats dans la CFDT, renvoient à la même réalité d’une formation professionnelle instrumentalisée à d’autres fins. Ainsi la CGT a surtout voulu adresser à ses organisations un signal : il faut construire du droit aux chômeurs. Cette « opération pédagogique » se heurte à la construction historique de la formation, conçue comme la participation des employeurs au renouvellement de la force de travail sur le temps de travail et financée par un prélèvement de la richesse créée dans l’entreprise.
Le nouvelle accord traduit l’inscription de plus en plus importante des questions de formation dans la problématique de l’emploi abordée sous l’angle de la responsabilité des salariés, de leur employabilité.
La réduction de l’obligation de financement des entreprises traduit un recul du droit à la formation sur le temps de travail pour les salariés. Acquis depuis la loi de 1971, celui-ci reposait en fait non pas sur une obligation de former ses salariés pour un employeur, mais une obligation de financer la formation. Des modalités pour préciser le congé-formation comme un droit pour le salarié de se former sur le temps de travail avaient été précisées dans les années suivantes. Le patronat avait alors consenti ce droit novateur à condition de garder le contrôle sur la formation, son contenu, les stagiaires eux même et surtout en refusant d’octroyer la reconnaissance de cette formation. Même si les grandes entreprises dépensent souvent plus que ce minimum de 0,9 % de la masse salariale, le maintien de cette obligation minimum exprime ce droit à la formation. C’est pourquoi la CGT (du moins la responsable de la négociation) avait annoncé que « la remise en cause du 1,6 % de cotisation obligatoire n’était pas négociables ».
La Déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle déclarait le 5 décembre 2013 (congrès Learning, Talent & Development) que le gouvernement souhaitait faire sauter « le verrou de l’obligation légale en donnant plus de liberté aux entreprises car le principe ‘former ou payer’ n’est pas très pertinent et a des effets pervers ». Ne subsiste alors que l’obligation légale de « d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi » (L6321-1), une simple obligation très abstraite.
Tout au long de la négociation, la CGPME a affirmé son hostilité totale et non négociable à cette proposition phare du MEDEF (suppression du « 1,6 % » remplacé par une contribution unique de 0,8 % pour les entreprises de 10 salariés et plus). Dans la mesure où, via la mutualisation, les grandes entreprises finançaient une partie de la formation des petites, y compris pour les entreprises sous-traitantes travaillant pour ces grandes entreprises, une telle diminution de la contribution obligatoire remettrait en cause ce transfert de fond opéré jusque là par la mutualisation. Ces fonds permettent aussi à l’AGEFOS-PME d’exister, une structure originale où pour une fois la place des syndicats est constructive.
L’enracinement de l’idéologie de l’employabilité dans la réalité socio-économique nationale est la marque principale de cet accord. Le patronat est progressivement parvenu à reformater les relations de travail dans l’entreprise en une compétition où chacun doit sans relâche s’activer à développer ses propres capacités à accéder à l’emploi. L’accord qui vient d’être conclu – et la loi qui, à coup sûr, l’entérinera – apporte une nouvelle touche à ce processus de refondation qui place le salarié au point de jonction entre la compétitivité des entreprises et sa propre employabilité. Le premier article met en avant « la compétitivité des entreprise ». Sur le site de l’organisation patronale, Pierre Gattaz, président du MEDEF salue le jour même l’accord conclu en ces termes : « La réforme engagée est capitale. (…) Elle vise à améliorer l’employabilité des salariés ». Belle victoire pour le patronat qui voit ainsi sanctionner par la loi la finalisation de la démarche engagée au colloque de Deauville en 1998 : « Le salarié, de son côté, doit pouvoir attendre de son entreprise qu’elle lui donne les moyens de faire progresser son capital de compétences, donc son employabilité » (Seillière, Président du MEDEF, Deauville le 7/10/98).
C’est dans cette problématique que s’inscrit l’objet central de l’accord, le Compte Personnel de Formation. Il s’appuie sur l’Entretien individuel sur ses propres capacités à accéder à l’emploi. La logique de l’employabilité est par essence profondément individualiste. Le salarié, qu’il soit en activité ou au chômage, devra « choisir » pour son CPF des formations « correspondant aux besoins de l’économie à court ou moyen terme » (Art. 12), soit une mesure bien plus restrictive que le DIF actuel qu’il remplace.Comme le dit la CGT, le CPF représente pour le MEDEF «  une fenêtre de tir pour externaliser de l’entreprise la formation professionnelle qualifiante, leurs responsabilités ne se limiteraient demain qu’a l’employabilité, l’adaptabilité bref le plan de formation. » (C. Perret, CE de la CGT du 10 décembre)
On relèvera d’ailleurs au passage que l’un des principaux arguments qu’avait avancé en 2004 la CGT pour finalement signer l’ANI du 5 décembre 2003 instituant le DIF est fortement mis à mal par l’accord. Dans l’esprit de la direction confédérale de la CGT, en effet, le Droit Individuel à la Formation devait favoriser l’initiative des salariés et leur assurer une plus grande maîtrise de leurs besoins de formation. L’expérience a montré que la marge d’initiative des salariés est toujours restée limitée par la possibilité offerte à l’employeur de s’opposer à la demande du salarié, à charge pour le demandeur de solliciter un – très – hypothétique accès au Congé Individuel de Formation. Dans l’accord actuel, cette capacité déjà restreinte d’initiative du salarié est formellement limitée « aux besoins de l’économie ».
Cet accord exprime l’extension de la logique de l’emploi à l’intérieur de l’entreprise s’opposant à la construction des qualifications dans l’entreprise.
Louis Marie Barnier