La tendance à la géopolitisation de la société civile africaine repose sur la combinaisonentre des rancunes héritées du passif néocolonial, un sentiment d’aliénation politique et des affinités avec de nouvelles puissances internationales comme la Chine ou la Russie. Nous voulions attirer l’attention sur cet article très intéressant du CETRI.

Campisme et géopolitisation de la société civile africaine

Par François Polet. Publié le 20 décembre 2024 sur le site du CETRI.

Une tendance à la géopolitisation de la société civile africaine existe, qui repose sur cet entrelacs de passif (néo-)colonial non résolu, de sentiment d’aliénation politique et d’affinités électives avec des puissances alternatives.

Deux courriels qui se suivent dans ma boîte de réception, reçus à deux heures d’intervalle il y a quelques jours. Le premier, un communiqué de presse de l’organisation de la société civile nigérienne Alternative Espaces Citoyens, annonce que son secrétaire général, Moussa Tchangari, enlevé l’avant-veille à son domicile à Niamey par des hommes en civil armés, est retenu en garde à vue dans un service de sécurité pour « apologie du terrorisme ». Le second, le bulletin d’un think tank progressiste – le Tricontinental Institute – rend compte avec enthousiasme de la « Conférence en solidarité avec les peuples du Sahel » tenue dans la même ville de Niamey deux semaines plus tôt, qui visait à manifester un soutien « panafricain » aux pouvoirs militaires de l’Alliance des États du Sahel (Niger, Burkina, Mali). D’un côté, donc, une junte qui arrête un militant progressiste historique, de l’autre, des militants progressistes qui offrent une tribune à cette même junte.

Car Moussa Tchangari n’est pas n’importe qui au Niger. Figure centrale des grandes mobilisations qui rythment l’histoire politique du pays ces trente dernières années, il a animé les manifestations étudiantes pour la démocratisation dans les années 1990, les mobilisations de masse contre la vie chère la décennie suivante, la contestation populaire des tendances antidémocratiques et antisociales du gouvernement Issoufou dans la décennie 2010. Un engagement qui s’est soldé par plusieurs séjours en maison d’arrêt, notamment quatre mois en 2018. La radicalité de ses positions contre un pouvoir soutenu par les pays occidentaux l’avait d’ailleurs rendu non fréquentable aux yeux des diplomates européens. D’autant que l’enjeu de la souveraineté du Niger, notamment sur ses ressources minières, était un axe fort de ses combats, bien des années avant l’inflammation du « sentiment antifrançais » dans la région. Enfin Moussa Tchangari était une des dernières voix critiques restées au pays après le coup d’État du 26 juillet 2023 et l’installation du régime « souverainiste » du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).

La rareté d’une voix comme celle de Tchangari s’explique bien sûr par la peur qui s’est emparée de la société civile nigérienne, suite à la série d’arrestations de journalistes ayant osé s’écarter du discours officiel, en particulier sur la réalité des succès de la lutte contre les terroristes djihadistes, socle du discours de légitimation des putschistes [1]. Mais cette modération s’explique aussi par la complaisance d’une bonne partie des leaders de la société civile nigérienne à l’égard du pouvoir militaire. Comme l’expliquait Azizou Abdoul Garba il y a quelques mois, le Niger offre le spectacle étonnant « d’une société civile qui soutient inconditionnellement la junte militaire. Certains de ses acteurs, connus pour leur engagement en faveur de la démocratie, ont paradoxalement décidé de lui apporter leur soutien en dépit du démantèlement des institutions » [2].

Les plus motivés avaient constitué en août 2022 le mouvement « M62 », rassemblement d’une quinzaine d’organisations de la société civile qui avait organisé des manifestations dans le centre de Niamey pour exiger le départ de l’opération militaire française (Barkhane) contre le djihadisme au Sahel. Les principaux animateurs du M62 avaient par la suite mis leur pouvoir de mobilisation au service des putschistes dans le contexte du rapport de force qui s’était installé entre ces derniers d’une part et la France et la CEDEAO d’autre part, réussissant à rassembler des milliers de Nigériens dans des démonstrations de soutien populaire à la décision des nouvelles autorités d’expulser les soldats français. La contribution des leaders de la société civile à la légitimation du nouveau régime n’a pas seulement pris des formes aussi directes et explicites. Elle s’est faite aussi de manière plus subtile, à travers la reprise des éléments de langage autour de la « refondation » en cours du Niger.

Cette adhésion plus ou moins assumée au nouveau cours autoritaire des choses par des « partenaires » financés depuis des années, voire des décennies, à des fins de promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance et des droits humains a dérouté bien des ONG européennes. Le comble de l’incompréhension a sans doute été atteint face à l’attitude du représentant nigérien de la coalition internationale « Tournons la page », réseau d’ONG africaines et européennes menant des actions et campagnes contre les tentatives des présidents africains de s’éterniser au pouvoir en manipulant les institutions. Ce même militant qui coordonnait en juin 2022 un rapport sur « l’extinction de l’espace civique » au Niger durant les années Issoufou (2011-2021), au cours desquelles le respect des libertés publiques avait effectivement gravement régressé, est désormais un des chantres les plus bruyants d’un régime dans le cadre duquel « les droits humains sont en chute libre » [3].

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