Après un mouvement de grève de près d’un mois , impliquant plusieurs centaines de milliers d’ouvriers et d’ouvrières de la métallurgie et de l’industrie électronique un accord a été trouvé entre le patronat et le syndicat IG Metall.
L’apparence d’une victoire
Au cours d’un mois de grèves la lutte des classes a atteint un niveau de conflit rare en Allemagne. Sous la pression d’une base très déterminée la direction d’IG Metall devait donc arracher des concessions au patronat. Et en effet IG Metall annonce une victoire au bout de longues négociations. Pour les travailleurs des branches de la métallurgie et de l’électronique le syndicat annonce une hausse des salaires de 4.3 % et des paiements de primes. Une partie de ces primes est convertible en réduction de temps de travail, permettant ainsi d’augmenter le nombre de jours de congés. De plus, les travailleurs à temps plein pourront bénéficier d’une réduction de leur temps de travail hebdomadaire de 35 heures à 28 heures, pendant 2 ans au maximum. A partir de ces faits IG Metall considère avoir « atteint les objectifs » .
Une réalité amère
Pourtant dans la communication d’IG Metall des détails importants n’apparaissent qu’à la marge. Parmi ces détails il y a notamment la durée d’application de l’accord. En effet l’accord concerne 27 mois. Lorsqu’on transforme la somme de la hausse des salaires et des primes en augmentation salariale annuelle il apparaît que que les travailleurs gagnent seulement 3,17 % de hausse . En soi ce pourcentage constitue certes une augmentation, mais ce chiffre doit être placé dans son contexte. Le contexte comprend notamment la hausse de l’inflation et la hausse de la productivité. Avec une inflation anticipée de 1.9 % la hausse des salaires réels ne dépasse que légèrement un pour-cent. Or, la hausse de la productivité dépassera un pour-cent. Autrement dit, la part du gâteau des travailleurs ne sera pas plus grande après ces négociations. Concernant, le temps de travail le syndicat avait accepté dès le début des négociations la baisse proportionnelle des salaires, sauf dans certains cas particuliers. Le patronat a finalement donné son accord à cette revendication relativement neutre en termes de distribution de richesses, tout en obtenant la possibilité d’augmenter le temps de travail hebdomadaire dans certaines usines, qui passe donc de 35 heures à 40 heures. Autrement dit, le patronat paiera moins de majorations d’heures supplémentaires. L’objectif syndical de la baisse partielle du temps de travail avec une baisse des salaires proportionnelle a donc été atteint au prix d’une augmentation partielle du temps de travail et la disparition correspondantes des majorations des heures supplémentaires que cette mesure entraîne.
L’impact des négociations sur l’Allemagne et l’Europe
Pour mesurer la portée de cet accord il faut garder à l’esprit que les négociations de la métallurgie et de l’industrie électronique ne concernent pas seulement les travailleurs de ces branches. Dans la mesure où ces négociations servent comme indicateur pour les autres branches elles ont un impact sur toute l’Allemagne. Mais à la différence de ces deux branches les travailleurs des autres branches sont moins organisés. Ce fait se traduira probablement par des hausses de salaires de moins de trois pour-cents. Autrement dit pour les 27 mois à venir le patronat allemand pourra continuer à faire encore plus de profits sur le dos des travailleurs en Allemagne. Or, cette configuration favorable au patronat allemande n’aura pas seulement des conséquences sociales négatives en Allemagne mais aussi en Europe. En effet, dans ces conditions décrite le niveau de la demande intérieure de l’Allemagne restera faibles et l’économie allemande continuer à bénéficier des déséquilibres économiques en Europe. Car pour augmenter son PIB l’Allemagne dépend des exportations. Comme les chiffres récents de la Bundesbank le montrent en 2017, l’intégralité de la hausse du PIB allemand provient de la hausse des exportations allemandes. Avec l’accord négocié entre IG Metall et le patronat cette situation continuera donc au moins pendant les 27 mois à venir. A l’issue des négociations le patronat a d’ailleurs salué le fait que l’accord permet de mieux planifier pour cette période . Le néo-mercantilisme allemand, qui maintient la demande intérieurs faible en bloquant la croissance des salaires et qui assure la croissance à travers des excédents commerciaux continue donc . Et avec cette continuité les entreprises allemandes continuent un processus qui a commencé au début des années 2000 : l’absorption de la demande des autres pays européens. Ainsi, toute la tragédie d’un mouvement de grève se déploie : Malgré une mobilisation inédite la direction d’IG Metall a signé un accord sous lequel les travailleurs en Allemagne sont perdants et la structure économique asymétrique en Europe s’approfondit.
Ed Ouri