Les quatre mois qui viennent de s’écouler ont malmené comme jamais la première organisation syndicale de ce pays. Certes, les scandales successifs des dépenses importantes engagées pour l’appartement et le bureau de l’ancien secrétaire général de la CGT n’étaient que la face visible de la montagne de graves problèmes que rencontre la centrale, mais ils auront au moins permis qu’une partie d’entre eux soient posés.

Après des mois de crise et plusieurs tentatives de Thierry Lepaon pour se maintenir, le comité confédéral national (CCN) de la CGT a élu un nouveau bureau confédéral le 3 février, et un nouveau secrétaire général, Philippe Martinez, dirigeant de la fédération de la métallurgie. Signe que les exigences d’une grande partie des organisations de la CGT ont été entendues, ils ont été élus avec un score très confortable. La composition du bureau confédéral semble respecter l’équilibre des différentes sensibilités qui se sont exprimées ces derniers mois.

Après la démission de Thierry Lepaon du poste de secrétaire général le 7 janvier, le CCN extraordinaire du 13 janvier avait repoussé une première proposition aux allures de provocation : le bureau proposé autour de Philippe Martinez ne comptait que des proches de l’ex-secrétaire général. La commission exécutive (CE) du 20 janvier avait enregistré la démission de Thierry Lepaon et nommé un collectif plus « pluraliste » pour composer un nouveau bureau confédéral (voir notre article du 23 janvier). La profondeur de la crise et l’exaspération des équipes militantes, jusqu’au plus haut niveau, ont amené le parlement de la CGT  à « reprendre la main ».

Concernant le sujet brûlant du contrôle des dépenses et du fonctionnement de la direction de la CGT, la résolution sur « les règles de vie » de la CGT actée lors du CCN des 3 et 4 février a pour but d’amener plus de transparence, de suivi et de contrôle entre les instances de direction: le CCN, la commission exécutive et le bureau confédéral. Reflet de ce qui se passe plus généralement dans la société sur les questions de démocratie et de refus d’impunité à toutes les strates, une étape positive a sans doute été franchie.

Place aux luttes ?

S’il est encore trop tôt pour évaluer les effets que produira le changement de direction, les débats sur l’orientation de la CGT devraient resurgir très vite. Car les questions d’orientation et de stratégie n’ont été que faiblement abordées, ou mal posées, durant cette période difficile de crise ouverte ; au-delà des problèmes démocratiques, c’est bien la clef de la situation. Après des mois de paralysie, premier signe en direction d’équipes militantes qui attendent de la CGT « une ligne d’action syndicale claire et offensive face aux attaques permanentes du patronat et du gouvernement Valls contre les acquis sociaux, mais aussi contre les plans d’austérité prônés par l’Union européenne » (communiqué du 4 février), le CCN de « sortie de crise » a adopté une déclaration qui salue le résultat des élections en Grèce, évoque les besoins de combativité des salariés et décide « une journée nationale interprofessionnelle et intergénérationnelle de mobilisation et d’arrêts de travail. Pour y parvenir, (la CGT) travaillera à créer les conditions de l’unité syndicale la plus large afin de redonner espoir aux salariés en proposant des alternatives aux politiques d’austérité en agissant pour une autre répartition des richesses créées par le travail ».

A l’inverse des journées d’action solitaires et peu mobilisatrices de l’année dernière, la déclaration affirme la volonté de rassembler et de reprendre le chemin des luttes.

En tout cas, selon Philippe Martinez, la CGT est de nouveau à l’offensive. Ainsi, le nouveau secrétaire général a inauguré son mandat en déclarant le 5 février sur France Inter que la réduction du temps de travail est incontournable. Interrogé le lendemain par L’Humanité, il confirme : « C’est un passage obligé pour que ceux qui ont un travail aient plus de temps pour vivre et que ceux qui n’en ont pas puissent trouver un emploi ».

Il n’y a pas d’impunité lorsqu’on est en responsabilité.

Revenons sur l’histoire. Depuis l’après-1936, et plus encore au sortir de la Seconde guerre mondiale, le lien intrinsèque entre la CGT et le PCF avait l’énorme travers d’être décrit comme la « courroie de transmission du parti ». Les orientations, les tactiques et la stratégie étaient principalement élaborées et décidées au bureau politique de ce parti. Ce lien « particulier », discutable pour bien des syndicalistes français (beaucoup moins dans d’autres pays européens où la construction historique entre parti ouvrier et syndicat est très différente) est principalement lié à un des points de départ de la structuration du mouvement syndical: la charte d’Amiens de 1906, qui voulait couper toute action commune entre le syndicalisme CGT et le Parti socialiste d’alors. Par la suite, au lieu d’être publique et démocratiquement maîtrisée, l’action commune est devenue un lien… occulte, et parfois de subordination. Par la suite encore, dans le courant des années 1990 et 2000, ces liens se sont rompus, fort heureusement (voir notre article du 23 janvier 2015, sur ce site).

Les choses bougent

Depuis l’automne 2014, la stratégie des luttes de la CGT s’est durement ressentie de sa crise interne. Aucune action interprofessionnelle nationale depuis le 16 octobre (échec national de la journée d’action à l’appel de la seule CGT), une très mauvaise préparation des échanges dans la négociation sur « le dialogue social », ce qui aurait pu aboutir à une catastrophe sur les instances représentatives du personnel (IRP) dans le privé, et quasiment aucune riposte sur la loi Macron (pas de matériel confédéral, une myriade de documents locaux intéressants mais pas coordonnés), sauf dans le secteur du commerce à Paris.

Mais les choses ont commencé à bouger dans le bons sens avec la journée intersyndicale du 26 janvier initiée par l’URIF CGT Ile-de-France, et l’annonce d’une action en mars prochain. Les autres organisations syndicales, elles aussi percutées par les difficultés du moment, et quelque peu surprises ou déboussolées par ce qui se passait à la CGT, n’ont pas pu ou voulu être nationalement à l’initiative, lorsqu’elles ne sont pas comme la direction CFDT très alignées sur les contre-réformes du gouvernement. Il est vrai que dans ces périodes de reculs, il n’y a pas de substitutisme possible.  Chez elles aussi, le besoin de se justifier sur leur système de direction, pour ne pas être « éclaboussé », s’est parfois fait sentir.

Et pour le salariat dans son ensemble, dont la confiance dans le syndicalisme s’est réduite ces derniers mois (à l’inverse de 1995 et de la décennie 2000),  lorsque le premier syndicat est touché, c’est l’ensemble des organisations de défense des salariés qui en subissent les conséquences.

Une fois cette page tournée, la grande masse des syndiqués espèrent qu’un véritable renouveau du débat démocratique s’engagera dans la CGT, pour répondre aux attentes du salariat, écrasé d’austérité, de chômage, de précarité, de divisions, et pour préparer le congrès de 2016.

Alice Dubost

Voir aussi nos articles sur le site d’Ensemble :
4 novembre 2014 Crise morale à la CGT
9 novembre 2014 CGT une crise qui s’amplifie
16 décembre 2014 CGT une crise de direction… Ou une crise stratégique ?
23 janvier 2015 www.ensemble-fdg.org/content/cgt-lhypothse-dune-refondation