Cela s’appelle projet de « loi asile-immigration », plus précisément « immigration maîtrisée et droit d’asile effectif ». On voit que chaque mot a été pesé au trébuchet.
Le souci du gouvernement est d’établir un équilibre entre « fermeté » et « humanité ». En d’autres termes : débusquer l’immigré derrière le demandeur d’asile,  dissocier du réfugié le migrant, ne pas confondre humanisme et hospitalité, ni humanité et laxisme…

La tâche est délicate. Gérard Collomb, maître d’oeuvre en tant que ministre de l’Intérieur, a quelque mal à se maintenir sur la ligne de crête. Il se dit prêt à des « amodiations » du projet à condition que l’essentiel n’en serait pas touché. Et lors de l’audition inaugurale à l’Assemblée nationale, il s’est abandonné à quelques débordements, déclarant que certaines régions françaises sont « en train de se déconstruire parce qu’elles sont submergées par des flux de demandeurs d’asile » (cité in Le Monde du 5 avril 2018) ! Propos qui le montre lui-même submersible dans les eaux troubles d’une rhétorique fort toxique…

Celle qui déferle dans plusieurs pays européens (d’où le pronostic de certains que la question des migrants va être au centre des prochaines élections européennes). Celle qui porte le Front national (dont le même Collomb annonce que, si n’est pas fait ce qu’il préconise, ce dernier « l’emportera la prochaine fois »). Celle qui conduit une partie de la droite française à préconiser de plus en plus fortement la remise en cause du droit du sol…

Le temps des apprentis sorciers
Les apprentis sorciers ne manquent pas qui attisent les paniques identitaires. Ils évoquent les conséquences des multiples événements dramatiques qui frappent le Moyen-Orient et une partie de l’Afrique. Et aussi les annonces de la Banque mondiale selon lesquelles d’ici 2050 la crise climatique dans la seule zone sub-saharienne provoquera le déplacement de 86 millions de personnes, et que l’Afrique comptera alors 2,5 milliards d’habitants (soit un doublement de sa population actuelle).

Bref, le gouvernement a eu raison d’expliquer que son projet de loi « n’épuisera pas la gestion des questions migratoires en France et en Europe ». Dont acte !

Le champ d’application de ladite loi concernera en effet de quelques centaines à quelques dizaines de milliers de personnes, auxquelles elle permettra d’appliquer des mesures bien comptées :
– La durée de rétention pour la vérification d’identité et du droit de séjour sera portée de 16 heures à 24 heures.
–  La retenue administrative pour les personnes susceptibles d’être expulsées sera portée de 45 jours à 90 jours (renouvelable 3 fois par périodes de 15 jours).
– La réduction des durées accordées pour les demandes d’asile, qui est actuellement de 120 jours en direction de l’OFPRA et d’un mois pour faire appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile, seront ramenées à 90 jours pour la première et à 15 jours pour la seconde. A ceux qui arguent des difficultés des demandeurs d’asile face aux démarches administratives, on répond que celles-ci seront facilitées (par des fiches types à cocher) et que les notifications de décisions seront accélérées (par usage de SMS)…

Dans tout cela la droite dénonce un manque de fermeté manifeste. Et, côté « humanité », s’insurge contre la possibilité offerte aux mineurs isolés acceptés au droit d’asile (en moyenne 300 par an) d’élargir le regroupement familial, au-delà des parents, aux frères et sœurs (tant pis pour la défense de la famille!)… Il est vrai qu’à droite on est adepte du beaucoup de bruit pour rien.

Humanité, vous avez dit humanité ?
Le problème est ailleurs : dans le couple « fermeté et humanité », l’humanité c’est quoi ?
Les alignements de chiffres et les postures martiales concernent… des êtres humains ! Des femmes, des hommes, des enfants, parmi les plus persécutés, dont l’existence est la plus précaire. Ces soupçons, tracasseries, arguties qu’on aggrave, ce sont autant de persécutions.

Ce gouvernement qui systématiquement favorise les privilégiés, de quel droit se revendique-t-il ? Le harcèlement à l’égard des plus démunis, leur stigmatisation répétée, pour quels bénéfices de la société ?

Le problème est tellement énorme que ce même gouvernement, contre toute attente, se trouve en difficulté. Non pas sur sa gauche, qu’il méprise. Ni sur sa droite, dont il sait qu’elle partage sa logique et ne cède qu’à une médiocre surenchère. Non, en difficulté face à sa propre majorité !

300 amendements issus des rangs de La République en marche, des démarches collectives de députés de ce groupe pour dénoncer un texte « trop dur ». Des prises de position pour refuser la diminution du délai de recours, l’augmentation de la durée de rétention, pour interdire la mise en rétention des mineurs, et pour revoir le délit de solidarité…

Il faut se féliciter de cette fronde. Non pas d’abord pour les difficultés qu’elle crée au gouvernement (qui les mérite bien), mais parce qu’elle témoigne qu’au coeur même du dispositif parlementaire macroniste existent des résistances à l’intolérable.

C’est important à l’heure où, à l’inverse, s’amplifient les dérives inquiétantes sur ces questions dites de l’asile et de l’immigration.

Cela vaut invitation à préparer des ripostes d’une tout autre cohérence et portée que le seul débat dans l’enceinte de l’Assemblée.

Francis Sitel