Je souhaite discuter ici le dernier livre de Bernard Friot. Je soutiens l’approche théorique générale de Bernard Friot depuis longtemps, et je crois avoir lu presque tout ce qu’il a écrit publiquement. Mais j’ai toujours des problèmes sur certains passages ou sur la manière dont il proclame ses conclusions ou ses démonstrations, manière péremptoire (voire méprisante) qui fait fuir en partie celles et ceux qui s’intéressent à lui. Nous en avons déjà parlé ensemble. Mais commenter le travail de Friot est également un exercice intellectuel salutaire, car cela force à bien préciser les concepts que nous utilisons. Et comme Bernard le dit lui aussi, la bataille se joue aussi sur le langage. Mais plus modestement, il convient aussi d’éviter les malentendus, car les mots n’ont pas le même sens selon les champs disciplinaires.
Il y a une autre précaution à prendre pour commenter Friot. Les quatre derniers livres au moins (Vaincre Macron, Emanciper le Travail, L’enjeu du salaire, L’enjeu des retraites), sont des livres d’intervention dans le champ social et politique, donc des livres de lutte, en assez grande partie. Il convient de les distinguer des ouvrages théoriques plus distancés de l’actualité, comme Puissance du salariat (réédité et augmenté), ou du travail collectif fait sur les enjeux européens autour du comparatif des ressources sociales par pays (je ne crois pas qu’un livre complet en soit sorti). Faire cette distinction est un peu arbitraire, mais permet de comprendre une chose : certaines affirmations de Friot dans tel ou tel passage peuvent être nuancées dans un autre livre, ou mieux exposées, voire partiellement contredites. Certains d’ailleurs s’imaginent à tort qu’il y a plusieurs Friot sur le plan théorique ! Bernard Friot convient lui-même (parfois !) de ces auto-corrections, mais cela ne l’empêche nullement de poursuivre selon la même façon d’avancer, selon un langage propre à lui et fort peu nuancé. Mais peut-être fait-il le choix d’acrocher les lecteurs par des formules chocs, à cause de l’urgence de la situation. Ou alors parce qu’il estime que c’est efficace à long terme. Car il faut le reconnaitre : son travail est contre-intuitif, et provoque souvent le rejet dans une partie du mouvement anticapitaliste. Cela aussi devrait faire partie d’une discussion utile et nécessaire, parmi celles et ceux qui défendent son approche sur le fond.
Dans les points suivants, j’examine au fil de l’eau (donc sans exhaustivité) certains problèmes que me pose le nouveau livre d’intervention de Friot : Vaincre Macron.
1- « La révolution communiste du travail ». C’est le titre du premier chapitre. Le dernier livre de Friot s’intitulait « Emanciper le travail ». Là il passe directement au « communisme, comme déjà-là du travail ». Pour quelle raison ? Il justifie cela par la volonté de se débarrasser d’une « autocensure » sur le mot communisme, liée au discrédit bien connu. La volonté de restituer la portée émancipatrice du communisme n’a rien de critiquable, bien entendu. A une condition : de ne pas enjoliver un (très contestable) passé d’un moment communiste bien particulier qui serait celui de la Libération ou même du bilan du 20ème siècle tout entier.
Friot n’hésite pas à écrire : les luttes des travailleurs du 20ème siècle (en France sans doute) sont celles « d’une classe révolutionnaire, une classe pour soi, consciente de ses intérêts, qui a été capable d’imposer des institutions du travail alternatives à celles de la classe dominante ». Quand cela ? Surtout en 1946, grâce au PCF et à la CGT. Il s’agirait donc aujourd’hui de « poursuivre cette révolution » (rien de moins). Mais à la fin du livre, il dit exactement l’inverse : « Qu’un tel projet n’ait pas été explicité au moment où communistes et cégétistes posaient les actes fondateurs d’une pratique communiste du travail et donc de la valeur, est tout à fait normal : une institution révolutionnaire ne révèle sa portée que dans la durée ». Il faut choisir : soit c’est une classe « consciente de ses intérêts, une classe pour soi », soit elle n’est pas vraiment consciente et fait des choses pragmatiquement, dont le sens apparait « dans la durée », ce qui était une des explications historiques parfois défendue par Friot dans sa vision de l’histoire de la Sécurité sociale (et que je partage). Mais faire la révolution sans le savoir, c’est quand même un problème… En 1917, pour reprendre cet anniversaire, cela ne s’est pas passé comme cela, même si le bilan fait l’objet de confrontations intéressantes (et inattendues).
Ce débat a son importance, parce qu’il travestit l’histoire. Et par exemple celle d’Ambroise Croizat, et le projet du PCF en 1946. Friot va peut-être penser que c’est là un débat cher aux « trotskystes », comme il l’a dit une fois oralement. Quel historien sérieux peut penser que le PCF avait en 1946 un vrai projet révolutionnaire de prise du pouvoir ? Il y avait sans doute un idéal révolutionnaire et communiste qui imprégnait la pratique quotidienne des militants, y compris celle de Croizat. Mais le PCF était comme tous les PC sous la domination de l’URSS stalinienne et les seuls PC qui s’en sont émancipés en partie l’ont payé cher, en Grèce et en Yougoslavie (abandonnés par Moscou dans le partage du monde). Le PCF comme Croizat ont en réalité accepté de faire un compromis avec De Gaulle en 1945-46, et cela s’est traduit par exemple avec les mutuelles, finalement acceptées et remises à flot. De plus, la CGT était au départ contre les élections à la Sécurité sociale, puis les a acceptées. Et si l’on prend la question du pouvoir des comités d’entreprise, où Croizat a joué un rôle important, rappelons cet extrait d’une brochure de la FT Métaux CGT (dont il était le secrétaire général) : Les CE ne constituaient « aucune amorce d’une mainmise quelconque des ouvriers sur la direction des usines », et les « idées introduites n’étaient nullement révolutionnaires » (extrait cité par le livre par ailleurs passionnant de l’Institut d’histoire sociale CGT sur Croizat). Ce qui n’empêche pas par ailleurs la portée potentiellement subversive du CE, que Croizat a poussée en avant. La constitution de 1946 contient d’ailleurs des passages fort intéressants (le droit de « gérer » les entreprises), qui font partie du patrimoine historique populaire issu de cette époque, et donc d’un imaginaire anticapitaliste en effet.
Mais tout cela n’autorise pas à trop magnifier une situation et des acteurs précis, sans aucune nuance sur la stratégie réelle de prise du pouvoir révolutionnaire qui aurait été celle de la classe ouvrière en 1945-46, ni celle du PCF ou de la CGT. A moins de penser que la révolution est avant tout celle du pouvoir « sur la valeur », et donc dans ce qui se passe dans le travail. C’est ce que Friot laisse entendre en écrivant (page 38) : « Par révolution on entendra le changement du mode de production, c’est-à-dire des institutions de la valeur économique ». Mais comment passe-t-on d’un mode de production à un autre ? Par extension de ce qui existe, de ce qui est « déjà-là » ? Tout le laisse penser dans ce livre. Prendre le pouvoir sur la valeur est certes absolument décisif, et les livres de Friot sont sur ce point passionnants. Ils rompent en effet avec une conception de simple répartition, ou de « partage », comme il ne cesse de le dire. Mais la révolution, car il emploie sans arrêt ce mot maintenant, c’est quand même un défi supplémentaire : c’est le problème du pouvoir politique. Lequel n’était pas inerte en 1945-46 et a contribué fortement à raboter la portée socialisatrice et le « déjà là » institutionnalisé dans le régime général, le statut des fonctionnaires, la propriété d’usage, etc. A moins bien sûr de penser que le communisme serait seulement la généralisation, certes conflictuelle, de ce qui se passe dans la révolution du travail. Or c’est ce qui vient à l’esprit selon certains passages du livre : une classe révolutionnaire « ne se construit que dans la responsabilité économique, dans l’invention concrète d’un mode de production communiste » (page 122). Friot évoque même l’idée de « révolution permanente », donc d’une sorte de continuum ou d’une linéarité. Je suis d’accord qu’il faut en effet donner leur plein sens émancipateur aux espaces de socialisation déjà présents et inventés dans les luttes, souvent pragmatiquement par ailleurs. Et d’accord aussi qu’il y a là une vraie stratégie pour les temps présents, plutôt que seulement attendre le grand soir magique où on passe du « rien au tout » (comme dans l’Internationale, la chanson), ce qui est impossible. De plus l’idée d’un devenir autre doit irriguer les luttes d’aujourd’hui, comme ne cesse de le dire par exemple Pierre Zarka (qui se réclame aussi de Friot). Mais l’histoire est aussi faite de moments où le rapport des forces des combattants devient aigu, et où le problème du pouvoir se pose dans la société dans son ensemble. Friot rappelle les acquis de la Révolution française (à juste titre il veut généraliser aux entreprises « la liberté et l’égalité » pour la conquête du travail et le pouvoir sur la valeur), mais celle-ci fut justement une vraie…révolution.
Or Bernard Friot ne parle que rarement de stratégie politique directe, peut-être en estimant que ce n’est pas son rôle. Mais son travail est pourtant ultra-politique au sens fort du terme, et il le revendique. Il ne peut donc évacuer cette question, puisqu’il parle de « révolution ». En même temps, il se refuse à intervenir directement dans le champ politique. Il y a là un problème, un manque : ou trop, ou trop peu.
Mais une autre hypothèse surgit. Bernard Friot est membre du PCF, ce qui bien sûr est son droit. Il ne peut ignorer la grave crise « identitaire » qui traverse ce parti après 2017. Je crois donc qu’il cherche à resusciter un passé mythique du PCF, sachant qu’il touchera là au cœur des militants et de leur histoire. Mais je crois que c’est un mauvais service rendu pour l’avenir, qui ne peut être qu’un dépassement des traditions. Idem pour la manière dont son travail est parfois reçu dans la CGT, confortant une vision bien dans la tradition ancienne CGT contre celle des « opposants » et responsables actuels (comme il nomme tous ceux, et pas seulement dans la CGT, mais aussi le Front de gauche par exemple, qui s’opposent sans bagage sérieux aux réformateurs capitalistes depuis Rocard et l’invention de la CSG). Il n’est pas certain du tout que cette manière de faire revivre le passé soit très productive. Bien qu’il s’en défende, elle est en effet très « lyrique », et elle ne fait pas assez le pont entre les préoccupations très concrètes de celles et ceux qui cherchent à se débrouiller dans la crise actuelle. Friot l’avait pourtant fait pendant un temps par un travail fouillé sur la « sécurité sociale professionnelle » de la CGT, dont celle-ci n’arrive pas à défendre toute la portée anticapitaliste. C’est bien un tel chemin qu’il faudrait labourer davantage.
2- « Le mot d’ordre inadmissible de partage du travail » (page 15) – Friot a bien sûr raison de critiquer fortement les partisans du « partage ». Comme si le socialisme viendrait d’un partage d’un gâteau qui serait commun. Mais s’il emploie ce mot « partage », c’est en réalité pour ne pas employer le mot de « réduction du temps de travail » contraint (RTT). Dans Emanciper le travail, il faisait d’ailleurs un inadmissible rapprochement entre la recherche de productivité par les capitalistes qui réduisent le temps de travail vivant pour produire plus (plus de valeur), et la revendication historique de réduction de la durée du travail pour conquérir une liberté. Je l’avais déjà interpellé là-dessus. Notamment en citant Marx, qui fait de la RTT le commencement réel de l’émancipation, ce qui est peut-être trop unilatéral et peut induire l’idée qu’il faut s’échapper du travail pour se libérer du travail capitaliste. On peut donc discuter, y compris de Marx et du sens qu’il met à cette « réduction ». Mais Bernard Friot n’a jamais réellement répondu à ces objections. Il aime parfois se référer aux luttes historiques du mouvement ouvrier, par exemple celles fondatrices d’une autre conception de la valeur dans la socialisation du salaire. Il a raison, mais il ne peut nier la longue portée des luttes pour la réduction de la semaine de travail au 19ème siècle, au début du 20ème (les 8 heures), etc. Mais il n’en parlait quasiment jamais jusqu’ici, sauf dans ce dernier livre, mais pour minimiser leur portée.
Page 35, il écrit en effet : « Davantage que la limitation de la durée quotidienne ou hebdomadaire du travail, qui mobilise une grande partie des luttes au 19ème siècle, c’est le salaire qui …est au cœur de l’institution anticapitaliste du travail ». Il y a là une…concession à la RTT qui peut en quelque sorte être un progrès, mais de faible portée. La portée émancipatrice du salaire est selon lui « davantage » décisive. Voilà un exemple où Friot corrige (sans vraiment le dire) des affirmations très péremptoires où, dans d’autres ouvrages, il attaquait très violemment les partisans de la RTT comme des gens qui évitent le combat anticapitaliste. Il affirmait ainsi (dans Emanciper le travail) que c’est un combat qui « évite » la question principale : la conquête de la valeur économique par la classe ouvrière. Certes, il peut y avoir des dangers « d’évitement » dans la RTT et l’application des lois Aubry en sont l’illustration. Bien des cadres fuient le travail épuisant par les jours de RTT. Cela ne les libère de rien ! La conception de la semaine de 4 jours peut aussi être vue comme une fuite, plutôt que comme une volonté de prendre le pouvoir sur la conduite du travail et son sens.
Bernard Friot défend par ailleurs la retraite à 55 ans. Pourquoi 55 ans ? Cela correspondrait à une revendication syndicale CGT. Très bien. Mais cette même revendication n’est-elle pas en réalité une réduction du temps de travail sur la vie, pour échapper à la pénibilité du travail contraint ? Pourquoi ce qui est juste sur une vie entière serait faux au quotidien ou dans la semaine ? Pas de réponse dans l’œuvre de Bernard Friot sur ces questions. Tout ce passe comme si l’émancipation passait par l’unique chemin de la socialisation de la valeur, et tout ce qui en découle sur le salaire à vie, à la qualification, etc., choses que j’approuve.
La notion de propriété d’usage, cependant, que j’approuve aussi, pourrait peut-être servir de pont avec la RTT.
Voyons comment.
3- « L’enjeu de la lutte des classes porte sur le travail abstrait, pas sur le travail concret » (page 93). Cette distinction est fausse. Bernard Friot ne devrait pas écrire cela, après les travaux de sociologie ou de psychodynamique du travail des dernières années (il est vrai que les sociologies du travail ne sont pas dans le même monde que les sociologues du salariat et réciproquement, alors qu’ils pourraient converger). Parce que le travail abstrait détermine les conditions du travail concret. C’est ce que les travailleurs vivent tous les jours et de plus en plus mal. Et justement, c’est ce mal-être au travail, et sa délibération collective (le syndicalisme commence à le faire), qui peut aussi déboucher sur une critique du travail abstrait, ou une prise de conscience que les deux sphères du travail sont liées comme les deux faces d’une pièce de monnaie. La critique du travail concret peut déboucher aussi sur l’idée de la propriété d’usage des techniques, des outils, des entreprises, de leur finalité. Quand on parle de réduction du temps de travail contraint, on fait aussi une critique, au départ implicite, mais qu’il faut rendre explicite, des conditions du travail en régime capitaliste, dominé par l’abstraction de la valeur. Il faut insister sur le mot « contraint ». Car il s’agit de se libérer de la contrainte de valeur qui est incrustée dans le travail concret, pénible, inhumain. Se libérer du temps contraint, c’est briser le travail abstrait, le travail-valeur, et conquérir un travail libre, où le producteur peut généraliser à la fois l’appropriation de la valeur du salaire socialisé et qualifié, et aussi l’appropriation d’usage des outils et des entreprises. S’approprier le travail concret, c’est ralentir le temps du travail abstrait, c’est réduire sa puissance. Et permettre un droit au travail libéré pour tous et toutes. Il faudrait donc arrêter de dire, sans autre explication : « Travailler moins pour travailler tous est un mot d’ordre réactionnaire » (page 88). Il n’y a pas en général de mot d’ordre révolutionnaire par essence. Il ne faut pas insulter les syndicalistes (« réactionnaires ») ou les militants-es qui se démènent dans les contradictions du terrain et parfois aussi du militantisme.
4- « Un tiers des plus de 18 ans » auraient « un salaire à vie ». Pour aboutir à ce résultat pour le moins optimiste, Bernard Friot additionne 5,5 millions de fonctionnaires, la moitié des retraités proches de leur ancien salaire (7 millions), les libéraux de santé (effectivement payés par la sécurité sociale, en dernier ressort), les salariés à statut (genre SNCF) et les branches « avec droit à la carrière » où le salaire suit une progression quasi automatique (banque, chimie…), soit 17 millions de personnes environ. Un tiers des personnes actives, cela pourrait laisser penser qu’un tiers du chemin est parcouru pour la conquête du « communisme », ou au moins de la maitrise de la valeur économique, selon l’approche un peu mécaniste de Friot, basée sur l’origine matérielle de la ressource. Cette origine, dans ce chiffrage, n’est certes pas la création de valeurs marchandes. D’où vient alors que le « ressenti » de cette situation n’est pas exactement celui-ci ? Du fait qu’on ne valorise pas suffisamment les conquêtes de 1946 ? Un peu simple, même si c’est vrai pour des segments de cette addition. La question est qu’il ne suffit pas d’avoir un salaire garanti ou presque garanti pour que le vécu social corresponde à une quasi- socialisation. Même le vécu des fonctionnaires, dont le travail concret est de plus en plus assimilable au travail concret du secteur privé, ne correspond pas à ce schéma, précisément à cause du new public management, doublé d’une hiérarchisation au résultat. Quant à la sécurité sociale, la disparition des élections et de toute démocratie sociale en son sein en fait de plus en plus une institution détachée de l’histoire salariale. Les médecins du secteur 1 ont beau être payés par la Sécu, la perception populaire n’est pas celle-là. Même si tout le monde lit les livres de Bernard Friot, cela ne changera pas beaucoup la situation. Le vrai problème est que la société s’est habituée à une perception des ressources légitimes déformée par le paradigme du « prétendu tournant néo-libéral », que Bernard Friot semble récuser (page 53) au profit du vocable de « contre-révolution ». Mais ce paradigme libéral a réussi à construire, par ses avancées dans le management, un imaginaire social qui sort du conflit révolution/contre-révolution, ou capitalisme/socialisation, lequel dominait encore avant les années 1990. Il faut bien sûr le reconquérir, mais la seule affirmation volontaire ne suffit pas, même si la lutte idéologique est importante.
Conclusions : ces quelques remarques peuvent être jugées sévères, pour un livre stimulant et dont j’approuve la ligne générale et les précisions d’analyse renouvelées. Comme par exemple la valorisation du contrat de travail comme socialisation codifiée (Code du travail), avec les apports de Claude Didry, sociologue des évolutions du salariat après le contrat de louage du 19ème siècle (voire L’institution du travail, La Dispute). Comme aussi la nouvelle description des deux piliers du projet capitaliste libéral de protection sociale : le projet faussement universel à base fiscale (pour les chômeurs, les « pauvres », une partie de la santé) et le projet « contributif » basé sur une partie des soins, ou les retraites par points. Donc ce livre apporte un nouvel éclairage des concepts de Friot affutés dans le monde de Macron.
J’ai déjà souligné que Bernard Friot corrigeait parfois dans certains livres les affirmations de ses travaux précédents. Par exemple, dans ce livre, il y a des passages sur la critique de l’emploi qui sont moins violents que dans d’autres écrits. Uber est passé par là ! Friot parle ainsi « d’infra-emploi » (dans les plate-forme numériques) qu’il convient de rattacher à minima aux « règles de l’emploi », qui est certes une « victoire à demi ». A la bonne heure !
Mon but est ici surtout de convaincre que nous aurions tous intérêts à cerner plus en détail les élaborations complémentaires des « opposants » au capitalisme, avec bienveillance, plutôt que brandir des théories antagoniques terme à terme. Cela passe par des outils d’élaboration collective, où on chercherait à construire des passerelles intelligibles sans être forcément d’accord sur tout. Bernard Friot le rappelle : le communisme est le mouvement « réel qui dépasse » l’ordre existant (Marx). Essayons de créer du mouvement dans la théorie forcément pluraliste de l’émancipation.
Jean-Claude Mamet