Le canal Seine-Nord Europe, à l’instar d’autres « grands chantiers inutiles imposés », est un projet « serpent de mer » que l’on aurait pu croire enterré face au constat de ses conséquences écologiques prévisibles, de son coût faramineux et de son absence de justification économique. Ce projet a ressurgi sous l’impulsion du gouvernement, qui  veut le faire aboutir coûte que coûte.

Suite aux premières études qui datent des années 1990, un projet avait été lancé en 2007, déclaré d’utilité publique en 2008. Il devait être réalisé dans le cadre d’un « partenariat public-privé », mais Bouygues et Vinci, qui avaient répondu à l’appel d’offre, ont fini par jeter l’éponge : l’opération n’est pas rentable.

En 2012, le nouveau gouvernement demande un rapport au Conseil général de l’environnement et du développement durable et à l’Inspection générale des finances. Ce rapport, remis en mars 2013, semble condamner le projet.
Sur le plan écologique, les prélèvements d’eau nécessaires n’ont pas été correctement évalués et les risques de pollution des nappes phréatiques sont avérés. Sur le plan économique, le budget apparait avoir été fortement sous-estimé. Le rapport préconise de se réorienter vers le soutien au fret ferroviaire.

Qu’à cela ne tienne !!!

Le gouvernement demande au député du Nord, Rémi Pauvros, une « reconfiguration » du projet. En plus de quelques rectifications à la marge, l’essentiel du rapport Pauvros consiste à transférer aux collectivités territoriales la charge de la réalisation des plateformes multimodales, l’Etat ne conservant que la réalisation du canal proprement dit. Grâce à cette entourloupe, le projet passe de 7 à 4,5 milliards.

Aucune réponse n’est apportée aux questions écologiques et économiques.

Il s’agit de construire un méga-canal adapté au transport massifié par conteneur. Les plateformes multimodales envisagées sur le parcours ne serviront qu’à faire transiter les marchandises et alimenter la concurrence vis-à-vis des entreprises locales par des productions à bas coûts. Entreprises locales qui n’ont pas « les flux d’approvisionnement et d’expédition adaptés » selon les termes mêmes du rapport Pauvros. Les coûts de fonctionnement et de maintenance de ce canal ne semblent pas non plus pouvoir être couverts par les usagers, qui se  détourneraient du canal si les redevances étaient trop élevées…

Alors pourquoi ce canal ?

Tout d’abord, ce canal est conçu pour s’intégrer dans les projets d’interconnexion des corridors européens, au service de l’extraversion de l’économie et aux antipodes de la relocalisation de l’économie. Les gros céréaliers de la région pourront gagner quelques euros sur la tonne acheminée et améliorer ainsi leur compétitivité.
Surtout, ce grand chantier va être une aubaine pour les grandes entreprises de travaux publics, et donner à l’économie un petit souffle artificiel et illusoire face au marasme ambiant.
L’Enquête publique : une absence d’opposition affirmée

La nouvelle enquête publique autour du projet « reconfiguré » s’est tenue entre le 7 octobre et le 20 novembre 2015. Elle n’a pas fait surgir d’opposition notable. A Ytres dans le Pas-de-Calais, le canal coupera le village en deux. La résignation semble cependant l’emporter.  Dans la Somme, d’Allaines à Equancourt, quatre communes sont concernées par le tracé. Les habitants s’inquiètent des répercussions du tracé sur l’environnement de leur commune ; mais cette inquiétude ne se traduit pas en mobilisation. Inquiétudes également à Moinslains et à Étricourt-Manancourt, portées par une association de pêcheurs. A Clairoix, on espère utiliser le terrain déserté par Continental pour y créer des entrepôts ou des ateliers de réparation de barges…

Le président du Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la Sensée, affluent de l’Escaut, se dit favorable au projet mais inquiet, au point d’avoir émis un avis réservé lors de l’enquête publique. Il souhaite des garanties « noir sur blanc » pour que  la rivière Sensée, château d’eau naturellement potable, sa faune et sa flore soient respectées par le chantier et l’exploitation du canal.

Selon le cabinet d’Alain Vidalies, secrétaire d’Etat aux transports, Le Conseil d’État doit être saisi pour avis sur le projet de décret de déclaration d’utilité publique modificative ; celui-ci devrait être pris début 2017 au plus tard.
La société de projet chargée de la réalisation du canal devrait voir le jour au premier semestre 2016.

Côté financement, l’Europe a d’ores et déjà accordé 980 millions d’euros. Pour le reste de la facture, un projet de protocole circule ; l’Europe accorderait 2 milliards, l’Etat français 1 milliard ; les collectivités territoriales verseraient 885 millions d’euros… le solde, entre 800 millions et un milliard, devant être emprunté…. Mais l’expérience enseigne que sur ce type de grand chantier, la facture initiale est toujours multipliée à l’arrivée.

 

EELV est la seule force politique à avoir dénoncé ce projet. Barbara Pompoli l’avait vivement combattu. Mais son intégration au gouvernement ne va pas favoriser son expression à ce sujet.

Que faire face à ce projet ?

La rareté et la timidité des réactions face à ce projet posent question. Les impacts écologiques, financiers, économiques du projet seront pourtant particulièrement lourds. Loin de concourir au développement local attendu, la réalisation de ce méga-chantier  va perturber le fonctionnement hydrologique de la région,  peser sur les finances locales au détriment de réalisations et d’investissements socialement utiles.

La région est dévastée économiquement, et depuis si longtemps ! N’importe quel discours qui offre une promesse de développement économique éveille intérêt et espoir. Comment peut-on se permettre de refuser un projet qui contient une promesse de développement ? Si peu que ce soit ….

Lutter contre ce projet pharaonique ne peut se résumer à une simple dénonciation : elle ne peut être entendue. La seule réponse qui pourrait l’être consiste à faire œuvre d’imagination : avec les sommes que les collectivités territoriales et l’Etat prévoient d’engloutir dans le canal, quels investissements socialement utiles, quels projets de relance d’une économie locale de proximité pourrait-on mettre en œuvre ?

Investir dans la réfection des canaux déjà existants actuellement laissés à  l’abandon coûterait beaucoup moins cher, favoriserait pour le coup les entreprises et l’emploi local. C’est déjà une première piste.

Evelyne Barq