Le 6 juillet, Nicolas Hulot, dans son « plan climat », a annoncé la fin du charbon à l’horizon 2022, et conséquemment la fermeture des quatre centrales à charbon françaises, dont celle du Havre. Cela contredit les soi-disant engagements du précédent gouvernement : le 28 septembre 2016, Catherine Troallic (alors députée, conseillère régionale PS), Edouard Philippe (alors Maire du Havre, LR) et Agnès Canayer (Sénatrice et adjointe au maire, LR) étaient revenu-e-s avec des ressentis pour le moins contradictoire. Catherine Troallic considèrait alors que des engagements clairs avaient été pris par le ministère : « La centrale thermique du Havre ne fermera pas en 2023. À cette date s’opérera seulement le chantier devant conduire à la transition de la production énergétique au Havre. ». Mais la députée terminait sa phrase par : « Par ailleurs, le ministère confirme la mise en place dès l’automne du comité de suivi devant travailler aux conditions de la fermeture de la centrale, et au maintien dans l’emploi de chaque salarié d’EDF… ».
Il faudrait savoir : est-il plausible qu’un ministère mette en place à l’automne un comité de suivi des conditions de fermeture de quelque chose qui ne doit pas fermer ? Quelque chose m’échappait déjà alors.
Nos édiles locales LR étaient revenues moins enthousiastes : « Rien ne garantit aujourd’hui que la centrale ne cessera pas de produire en 2023. La seule avancée, c’est d’avoir obtenu la mise en place de ce comité de suivi. Nous y siégerons avec vigilance afin de lever les inquiétudes légitimes provoquées par l’annonce brutale de Ségolène Royal en juillet dernier ».
Maintenant, l’annonce du gouvernement est claire : ce n’est effectivement pas en 2023 que fermera la centrale, mais en 2022 au plus tard ! Cette décision est d’ailleurs soutenue par EELV au plan national dans un communiqué en date du 14 septembre qui réclame le respect de la décision de fermeture sans rien proposer d’alternatif, tant sur le plan énergétique que sur le plan de l’emploi. Car n’oublions qu’avant toute chose, la centrale du Havre, ce sont 350 ouvriers et employés, ainsi que centaines de sous-traitants.
Pourtant, il est tout à fait possible de maintenir cette centrale et de l’améliorer afin que non seulement son rendement soit meilleur mais aussi que, dans le même temps, sa pollution soit encore réduite. Comment ?
Préalable : existe-t-il une énergie non polluante ?
Evacuons tout d’abord une remarque qui pourrait m’être faite au préalable : Cette centrale fonctionne au charbon. C’est donc une énergie fossile, non renouvelable, dont l’extraction n’est pas sans conséquence en terme de pollution et de destruction de l’environnement, surtout lorsque cette extraction se fait à ciel ouvert.
Cela est vrai, il n’est pas question de le nier. Mais aujourd’hui, aucune production d’énergie, même celle dite « renouvelable » ne peut se prévaloir d’un « bilan pollution » nul. C’est impossible :
• Les éoliennes sont gourmandes en « terres rares ». Ces éléments chimiques, présents dans les aimants permanents des éoliennes (jusqu’à 2,7 Tonnes par éolienne de 3 MW) sont extraits de la croute terrestre dans des conditions sanitaires et environnementales désastreuses, principalement en Chine qui en est le premier producteur.
• Les hydroliennes, moins polluantes visuellement et d’un meilleur rendement, n’en utilisent pas moins des matériaux dont la fabrication (matériaux composites) ou l’extraction (minerai pour les métaux, carrière pour le béton) sont polluantes, sans compter des répercussions inévitables sur la faune et les fonds marins. Répercussions qu’il faudra s’attacher à minimiser au maximum.
• Quant à l’énergie solaire, souvent considérée comme la plus verte, elle est source de rejets massifs de plomb dans l’environnement, rejets dus aux batteries de stockage de l’électricité, dans les pays comme la Chine et l’Inde dans lesquels les réseaux de distribution d’électricité sont déficients. Le rejet global de plomb est d’au moins 2,4 millions de tonnes rien que pour ces deux pays.
• Pour être tout à fait objectifs, évoquons l’énergie nucléaire dont le problème principal est bien entendu la gestion des déchets, qui pourrait être résolue un jour si, au lieu de courir après le profit en choisissant la solution la moins chère qui consiste à les enfouir ou les immerger, les pouvoirs publics et les entreprises acceptaient de rogner leur marge en soutenant un peu plus la recherche. L’histoire a en effet montré qu’un problème qui semble insoluble aujourd’hui pourrait trouver une solution acceptable et pérenne demain, à condition de la chercher, et surtout de donner les moyens financiers et humains pour la chercher !
Tout cela pour montrer qu’aucune source d’énergie ne peut prétendre à une « pollution zéro » aujourd’hui. De plus, en l’absence d’un mode de développement planétaire qui serait affranchi du capitalisme, toutes les productions d’énergie maintiennent les populations des pays en voie de développement sous le joug des multinationales, tant en ce qui concerne l’extraction des matières premières que pour leur transformation.
Ni écolo béatitude, ni productivisme : une voie médiane est possible.
Doit-on tirer un trait sur la centrale du Havre, au motif qu’elle fonctionnerait au charbon ?
Nous parlons bien de la centrale du Havre, et non celles d’Allemagne, de Grande-Bretagne ou de Pologne, qui sont les plus polluantes d’Europe. Aucune des trois centrales dites « à flamme » (dont deux centrales d’EDF) françaises ne figure dans le top 30 des centrales les plus polluantes d’Europe. 200 millions d’investissement ont été réalisés depuis deux ans et demi pour la modernisation de la tranche 4, la seule encore en activité. Parmi ces investissements, deux concernent directement la pollution : l’amélioration des rendements du dépoussiéreur et de l’unité de désulfuration. Avant amélioration, les fumées étaient déjà débarrassées de la majeure partie de leurs poussière, de 90% du dioxyde de soufre, et de 80% des oxydes d’azoteii. La pollution principale est due aux émissions de CO2, qui par contre n’est pas négligeable malgré l’installation d’un dispositif expérimental de captage mais qui, par son dimensionnement, n’en capte que 0,5%.
Il est possible, moyennant évidemment des investissements, de transformer une centrale à charbon classique comme la nôtre, en centrale à « cycle combiné à gazéification intégrée ». Schématiquement, le charbon est d’abord transformé en gaz de synthèse, qui alimente en premier une turbine à gaz, puis qui est brûlé dans une chaudière à gaz, celle-ci produisant la vapeur nécessaire à entraîner une turbine à vapeur. Les deux turbines entrainent chacune un alternateur.
Ce type de centrale peut être adapté pour y intégrer la captation du CO2 en ajoutant avant la turbine à gaz un réacteur chimique convertissant le monoxyde de carbone en dihydrogène et dioxyde de carbone (réaction du gaz à l’eau) et un dispositif séparant le CO2 (qui est expédié vers le site de captation) et le dihydrogène qui alimente la centrale à cycle combiné. Le rendement est alors diminué de plusieurs points, mais il était au préalable bien meilleur qu’une centrale classique, du fait des deux alternateurs en lieu et place d’un seul.
De plus, les polluants sont retirés en amont de la turbine à gaz. Cette dépollution précombustion est bien plus efficace qu’une dépollution des fumées. Enfin, une turbine à gaz produit moins d’oxydes d’azotes qu’une chaudière. Ainsi, une centrale à gazéification intégrée a des niveaux d’émission de polluants locaux, tels que le dioxyde de soufre, les oxydes d’azote, l’ozone, le mercure, les microparticules et composés organiques, qui peuvent être réduits à des niveaux plus bas que les meilleures centrales à chaudière.
1,7 milliards d’habitants de la planète n’ont pas encore l’électricité.
Ce seul chiffre, qui nous ramène un peu à notre condition de « privilégié », suffit à lui seul pour justifier que le charbon, pourvu qu’il soit correctement extrait et utilisé, avec des réserves qui sont encore d’environ 900 milliards de tonnes, puisse être encore utilisé pour produire de l’électricité.
Même si nous, occidentaux, faisons tout pour réduire notre consommation, qui serions nous pour imposer à ceux et celles qui ne connaissent pas l’électricité de ne pas l’utiliser ? En avons nous le droit ?
Si l’on désire sortir du nucléaire de l’ancienne génération, rapidement, tout en continuant à assurer la production électrique pour l’ensemble de la planète, la multiplication de champs d’éoliennes, dont la puissance représente une pisse de moineau dans le total, n’y suffira pas !
De manière transitoire, il faudra bien continuer à puiser dans les réserves fossiles, qu’on le veuille ou non.
Le vrai problème : la volonté et la gouvernance
EDF considère que modifier ses centrales à charbon « couterait trop cher ». Comprendre : on préfère perdre notre argent à construire des EPR à la technologie dépassée !
S’il existait une véritable autorité régulatrice, il serait pourtant simple de stopper la gabegie financière des EPR pour injecter l’argent dans la modernisation des centrales à charbon, et dans la recherche de véritables énergies nouvelles.
Le vrai problème est que tant que nous serons dans un mode de production capitaliste mondial, tout ce qui touche à l’écologie, aux investissements nécessaires pour l’extraction des minerais, l’utilisation des métaux, les conditions de travail de ceux et celles qui en sont chargé-e-s, rien de tout cela ne sera pris sérieusement en compte. Ce n’est pas pour autant qu’il faut baisser les bras et ne pas agir là où nous pouvons le faire : la France utilise aujourd’hui 0,43% du charbon mondial (Chine : 42%). La pollution engendrée par nos trois centrales thermique représente « peanuts » dans la pollution totale, et quelques investissements correctement réorientés pourrait encore améliorer grandement cet état de fait.
Alors ? Alors, la réponse est simple : en attendant un véritable service public de l’énergie, dirigé et contrôlé par les citoyen-ne-s, agissant pour la satisfaction des besoins de tous au lieu de celle d’une poignée d’actionnaires; en attendant ce jour, la centrale thermique du Havre peut et doit vivre !
Gilles Houdoin, conseiller régional Ensemble !