Partout dans le monde, l’idée de taxer les riches fait son chemin. Dans les milieux de gauche, mais y compris chez nombre de milliardaires, cette idée prospère. Nombre d’économistes y réfléchissent et des gouvernements l’appliquent déjà ; l’Espagne par exemple. Étienne Adam pointe le retard de ce débat en France.

C’est l’heure de taxer les riches !

Par Étienne Adam. le 29 août 2024.

Partout dans le monde, cette idée fait son chemin. Ce n’est plus seulement dans les milieux de gauche, mais bien au-delà. Y compris chez nombre de milliardaires, cette idée prospère face aux dangers de la concentration actuelle des richesses. Nombre économistes – y compris ceux qui ont fait le programme de Macron – se posent cette question. Des gouvernements l’appliquent déjà, l’Espagne par exemple.
C’est sur l’expérience de ce pays que se fonde largement le rapport de Tax Justice Network publié le 19 août dernier : « Taxer les richesses extrêmes : ce que les pays du monde entier pourraient tirer d’un impôt progressif sur la fortune ». Une traduction, en français, de la présentation du rapport est disponible en suivant le lien : « Une étude révèle que les pays peuvent collecter 2 000 milliards de dollars en copiant l’impôt sur la fortune espagnol ».

Un rapport qui tombe à point face aux hurlements de Martin MEDEF… et des autres

Le rapport donne des arguments pour un débat sur cette question :
L’impôt espagnol ne cible que 0,5 de la population, à un taux léger de 1,7 % à 3,5 %. Il pourrait rapporter 2 100 milliards de dollars au niveau mondial. Pour la France, entre 40 000 et 39 000 soit 10 % des recettes fiscales. L’élargissement de l’assiette et du niveau d’imposition offre des possibilités supplémentaires pour le financement urgent des services publics. Les sommes considérables que pourrait rapporter un modeste impôt sur la fortune sont possibles en raison des niveaux extrêmes de richesse accumulée par les plus riches.

Contrairement aux discours des patrons relayés par les politiques et les médias, les réformes fiscales ciblant les richesses n’ont pas entraîné la délocalisation des super-riches vers d’autres pays. Seuls 0,01 % des ménages les plus riches ont déménagé après les réformes de l’impôt sur la fortune en Norvège, en Suède et au Danemark. Une étude britannique prévoit un taux de migration compris entre 0,02 % et 3,2 % au maximum. Ce taux n’aurait pas une grande incidence sur l’économie. On est bien loin de la catastrophe annoncée par celles et ceux qui craignent de telles mesures.

La richesse extrême des super riches (0,5 % de la population détient 25,7 % des richesses au niveau mondial) insécurise les économies. Elle est directement liée à la baisse de la productivité économique, au fait que les ménages non riches doivent dépenser plus qu’ils ne gagnent et à une efficacité sociale qui se dégrade (niveau d’éducation plus faible, espérance de vie plus courte, équipement collectifs moins importants). « Pour sécuriser nos économies et protéger le mode de vie des salariés qui a défini l’ère moderne, nous avons besoin d’impôts sur la fortune qui mettent fin au traitement à deux vitesses de la richesse » Mark Bou Mansour, Tax Justice Network.

Des sondages récents montrent que l’opinion publique soutient massivement l’imposition des richesses des super-riches dans plusieurs pays. Une majorité de 68 % des adultes dans 17 pays du G20 sont favorables à ce que les riches paient un impôt plus élevé sur leur fortune afin de financer des changements majeurs dans l’économie et les modes de vie. Près des trois quarts des millionnaires interrogé·es dans les pays du G20 sont favorables à un impôt plus élevé sur la fortune. Plus de la moitié d’entre elles et eux pense que l’extrême richesse est une « menace pour la démocratie ».

Les dettes accumulées, les déficits budgétaires qui s’accroissent, les investissements pour mener la transition écologique, vont obliger les gouvernements à prendre des mesures qui ne peuvent se réduire à faire payer les classes moyennes et les pauvres. Il y a des limites au mode d’accumulation néolibéral. C’est aujourd’hui une menace qui va bien au-delà de l’injustice fiscale et sociale avec la croissance de la pauvreté. C’est aussi un risque pour la stabilité financière, pour la capacité d’innovation…

C’est aussi, bien sûr, en raison du pouvoir de ces superriches un danger démocratique pour les États et les sociétés.

Et pourtant la France est à la traîne dans ce débat …

Malgré les sondages, malgré les résultats des consultations électorales, Macron veut continuer sa politique : pas question de remettre en cause l’ISF ou la flat tax ou de rétablir un peu de justice dans le barème et le fonctionnement de l’impôt sur le revenu.

En octobre 2023, le comité d’experts de France Stratégie – rattaché à Matignon –, qui s’est appuyé sur les travaux de l’Institut des politiques publiques (IPP), a publié son rapport final évaluant les effets des réformes de la fiscalité du capital de 2018.

L’organisme officiel France Stratégie s’est dit incapable de mesurer les effets bénéfiques de la suppression de l’ISF (et des mesures censées favoriser le retour des exilés fiscaux ou les investissements étrangers) sur l’attractivité de la France1Thépot, M, (2023, 19 octobre). Fiscalité du capital : les effets des réformes Macron toujours introuvables, Mediapart.. Toute la France de droite continue à défendre un régime fiscal pour les riches au nom de « l’attractivité » pour les riches.

Il leur importe peu que cela produise une réduction sans précédent des recettes publiques2Orange, M, (2024, 20 mars). La soudaine amnésie de Bruno Le Maire, Mediapart., des déficits importants, la destruction des services publics, santé et éducation en tête, des services publics et des acquis sociaux (et d’abord ceux des plus fragiles).

Macron interdit toute remise en cause de sa politique de l’offre, parmi laquelle figurent les cadeaux fiscaux aux riches.

Macron juge favorablement le « pacte législatif d’urgence » de la droite qui reprend des revendications de longue date de la droite, accorde la priorité à la revalorisation de « la France qui travaille » avec l’objectif de combattre « l’assistanat ». Bref de faire encore pire.

Le RN est silencieux sur la question. Il a peur d’avoir à choisir entre sa base populaire et ses amis riches. Il n’est pas question de remettre en cause l’intérêt d’une grande partie du patronat pour une solution fasciste.

Dans la situation de crise politique que nous connaissons, certain·es sont prêt·es à lâcher du lest sur une toute petite réforme fiscale, changer un peu pour que rien ne change.

Dans le cadre d’une campagne d’opinion, la gauche doit faire de la taxation des riches le centre du débat public. Cette mesure figure dans les propositions du NFP mais aussi dans les revendications syndicales et associatives. Elle est nécessaire pour défendre le pouvoir de vivre de toutes et tous et pour répondre aux urgences sociales (SMIC, Minima sociaux, mais aussi reconstruction des services publics) et écologiques (financer la transition).

Oui, nous pouvons et devons affirmer partout « c’est l’heure de taxer les riches. On peut et on doit le faire ! »

Notes