On pourrait rapprocher la crise de la CGT de celle qui frappe toutes les organisations politiques ou ouvrières devant une crise économique qui perdure et la crise stratégique qui se pose. La particularité est cependant que les syndicats ont pendant longtemps été les organisations auxquelles les salariés et la population faisaient le plus confiance pour les défendre. L’échec de la grève de 2010 contre l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite a marqué durablement le mouvement ouvrier. Maintenant, c’est sur la direction des syndicats, et singulièrement le premier d’entre eux, que beaucoup s’interrogent.
Les révélations successives sur le coût d’aménagement du logement ou des bureaux de Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT depuis mars 2013, puis sur l’indemnité « de promotion » de 31000 euros (somme reconnue par le principal intéressé), enfin sur les manœuvres mises en œuvre pour ne pas être forcé de démissionner, mettent au jour un mode de fonctionnement opaque, peu démocratique, d’une partie de la direction de la CGT coupée des réalités du monde du travail.
Mais la démission de Thierry Lepaon – ou sa révocation qui devrait être en débat lors du CCN du 13 janvier s’il n’a pas démissionné d’ici là – ne suffira pas à faire taire la critique. Car de plus en plus de voix, de la base au sommet de la CGT, s’élèvent pour relier cette crise de direction à l’échec, voire à l’absence de politique face à l’offensive libérale. Les positions défendues au fil des négociations heurtent plus d’un militant, telle la remise en cause des seuils sociaux (la délégation de la CGT a proposé que dans les entreprises de moins de 50 salariés, les élections se fassent « à la demande de deux salariés », ce qui restreindrait les droits actuels).
L’amertume est d’autant plus grande que l’attente envers la CGT reste forte. Sur de nombreux sujets, les salariés se mobilisent, et ils sollicitent le soutien de la confédération : depuis les luttes des chômeurs (manifestation du 6 décembre) jusqu’au travail du dimanche, la confédération n’est pas assez à la hauteur des grands enjeux actuels. Ainsi, la fédération certaines structures soulignent que la réforme territoriale et le développement du syndicalisme des privés d’emploi et des précaires sont des sujets à traiter en urgence.
Trois dimensions se dégagent pour permettre le débat.
La transparence d’abord sur le fonctionnement de la direction d’un syndicat est une exigence portée par la totalité des syndicats s’exprimant. Mais la moralisation de la vie publique, si elle répond à un besoin largement exprimé (ne serait-ce que pour contrer le « Tous pourris » si répandu), ne saurait suffire.
Les interventions des instances réclament donc de plus en plus un autre fonctionnement démocratique de la confédération : comment a été débattue la proposition de refondation de la représentativité syndicale (avec l’émiettement syndical qu’elle a produit et la fragilisation d’équipes syndicales, y compris CGT) ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’instances réunies pour soutenir les piquets de grève devant les raffineries en 2010, dont la dynamique permettait une poursuite au conflit sur les retraites ? Certaines prises de position collectives de structures CGT ouvrent à une telle discussion, comme par exemple celle qui explique : « La direction confédérale de notre CGT est aussi confrontée à une crise de ses modalités collectives de fonctionnement et de son efficacité. Refusant et rejetant toute polémique stérile sur les personnes, [le bureau] propose que ce Comité Confédéral National examine les conditions de la mise en œuvre d’une direction collégiale de la CGT. »
Enfin, la discussion stratégique doit être menée largement. Nous ne pouvons ignorer les difficultés aujourd’hui à répondre à la crise économique et à l’offensive libérale. Mais raison de plus pour engager un grand débat sur la riposte à mener. Les mouvements menés par un seul syndicat, et sans coordination, ne peuvent répondre. Il faut donc rassembler, fédérer, combattre. Comme le propose une autre fédération, il faut reconsidérer la «  stratégie revendicative confédérée face à un délitement des actions interprofessionnelles dans un contexte où nos militantes et nos militants doutent de la capacité de la CGT à rendre victorieuses nos luttes sociales. » De même, d’autres encore, metent en avant l’exigence d’« Analyser nos capacités de mobilisation, l’impulsion confédérale et débattre de la stratégie CGT ».
La question de la stratégie unitaire est très fortement posée au sujet des trois journées interprofessionnelles de la CGT en 2014 : aucune n’a fait l’objet de propositions réellement unitaires et toutes ont été marquées par des échecs. La dernière, le 16 octobre, portait sur un thème qui aurait pu être rassembleur (le budget de la Sécurité sociale).
Revient aussi la question d’un vrai projet syndical à même de répondre à l’éclatement du salariat entre entreprises donneuses d’ordre et sous-traitantes, entre grandes et petites entreprises, entre salariés précaires et stables, y compris dans la fonction publique.
Signalons quelques expériences unitaires qui, au-delà de l’engagement quotidien des militants sur le terrain, montrent que le syndicalisme porte sans cesse du renouveau.
A Paris, un comité de liaison Interprofessionnel du commerce (CLIP) rassemble les syndicats parisiens du commerce depuis 2010. La manifestation contre le travail du dimanche du 14 novembre (plus de 2000 manifestants) a été la plus grosse manifestation de salariés du commerce à Paris depuis longtemps. Une assemblée populaire unitaire, rassemblant partis politiques, syndicats, contre le travail du dimanche a eu lieu le 4 décembre 2014. Même une partie du PS commence à s’interroger sur cette remise en cause du dimanche chômé.
Contre l’extrême droite, une action unitaire rassemble CGT, Solidaires, FSU, UNEF et associations. Ceux-ci continuent à élaborer des analyses et à maintenir le cap de la dénonciation des prétentions sociales du FN dans les entreprises et la société.
La Fondation Copernic a été à l’origine d’un Observatoire de la répression et de la discrimination syndicale, auquel participent CGT, CFTC, FO, FSU, Solidaires, SAF, SM et de nombreux chercheurs, et qui vient de publier son rapport annuel.
Enfin, citons l’exemple des journées intersyndicales femmes, coorganisées par CGT, Solidaires et FSU qui chaque année rassemblent des centaines de participant-e-s.
C’est le décalage entre ce syndicalisme vivant, de terrain, unitaire, et une confédération sans capacité d’initiative efficace dans les mobilisations et face à l’ampleur de la crise sociale et politique, Une autre structure CGT « demande qu’on en revienne aux décisions du dernier congrès confédéral afin que soit mise en œuvre une ligne d’action syndicale claire et offensive face aux attaques permanentes du patronat et du gouvernement Valls contre les acquis sociaux, mais aussi contre les plans d’austérité prônés par l’Union européenne ».
L’engagement de la CGT pour défendre tous les acquis ouvriers est fondamental. Sa volonté se vérifiera à travers les mobilisations unitaires qu’elle saura bâtir. Sa capacité à s’ouvrir sur des mouvements sociaux est vitale.
Alice Dubost