Ce n’est pas une surprise qu’au pays où le foot est une des plus belles joies de vivre du peuple, il arrive à se transformer en objet de dégoût à 41% de la population. En effet, l’explosion de révolte de la jeunesse urbaine des bidonvilles et des universités, étendue partout au Brésil en juin 2013, engendre une dynamique de saturation de l’exploitation et de l’injustice accumulée par une génération qui ne croit qu’à elle-même. Le détonateur de l’explosion est le ressenti de la population de l’énorme décalage entre les dépenses gigantesques – environ 18 milliards de dollars, dont 85% proviennent des fonds publics -, pour assurer la préparation de la Coupe du monde de football dans 12 villes du pays, et les conditions de vie de la population. Elle apparaît clairement, aux yeux du peuple, comme un instrument du gouvernement générateur du profit et de dividendes politiques.
Les événements de juin 2013 nes ont pas exceptionnels dans le panorama de la lutte de classes de la planète. Jusqu’alors, les secousses dans les rues aux États-Unis, en Grèce, en Tunisie, en Égypte, en Espagne, au Portugal, en Turquie ces dernières années, ne semblaient pas atteindre la jeunesse brésilienne. Néanmoins, une simple revendication contre l’augmentation de 20 centimes du prix des transports a suffi pour faire éclater un mouvement de plus d’un million de personnes dans les rues de plus de 400 villes aux cris de : “não quero bola, quero escola” (je ne veux pas du football, je veux d’école) ou “queremos saude standing FIFA” (nous voulons la santé standing FIFA).
Désormais, le cadre dans lequel se passent ces événements n’inspire que de l’indignation face aux initiatives des responsables politiques des partis au gouvernement. D’abord le « nettoyage » social avec sa logique de gentrification, ensuite le pillage des fonds publics afin de satisfaire les promoteurs des mégaévènements – la Coupe du monde de football en 2014, les Olympiades en 2016 -, pour compléter, les mégabusiness concernant l’isention des impôts de la FIFA, du Comité olympique international (COI), et des entreprises impliquées dans la coupe, leur monopole des équipements sportifs, etc.
Malgré la violence contre les mobilisations et les tentatives de criminalisation des mouvements en 2013, les manifestants obtiennent la satisfaction de leurs exigences sur les transports, le retrait du projet de loi homophobe et de la loi de privatisation des investigations criminelles, qui prévoyait de les retirer des mains du ministère public. Depuis, sans arrêt éclosent des protestations de la part des mouvements sociaux.
Aujourd’hui, à quelques semaines du championnat, ces mouvements se mobilisent afin d’alerter et entraîner la population à lutter pour ses droits. Ces sont les mouvements des sans -toit, des sans-terre, des syndicats de l’industrie graphique, la Fédération nationale de pétroliers, le syndicat de travailleurs de la santé et du service public, d’organisations de la jeunesse, de divers collectifs des bidonvilles, du mouvement Noir, des Collectifs gays… dans une vague cyclique et inégale dans le pays, en passant par des manifestations de rue, par des déclarations, pétitions, d’occupations d’immeubles, etc.
Les choix du gouvernement brésilien
Sous l’empreinte de l’orientation néolibérale, le gouvernement brésilien prend une série de mesures affectant la vie urbaine du pays, dans le cadre de préparation de la coupe et du maitien de la dynamique productiviste, à commencer par la suppression de la fiscalité sur les voitures au détriment de l’amélioration, la conservation et l’extension du transport collectif. A São Paulo, le nombre de voitures a doublé en dix ans et celui des motos a quadruplé. Ce choix implique des conséquences néfastes sur le trafic – les voitures doivent ralentir aux heures de pointe au rythme des piétons (7,6 km/h) -, sur les personnes qui sont affectées par des troubles mentaux – depression, anxieté, comportement compulsif -, et sur le climat en augmentant les rejets de dioxyde de carbone, contribuant ainsi à augmenter l’effet de serre dans l’atmosphère. De l’argent public est investi en viaducs, ponts, agrandissement d’avenues, pour le bonheur du lobby de l’automobile et de l’immobilier. (1)
Depuis fin 2008, le gouvernement brésilien renonce a récolté 12 milliards de dollars d’impôt, tandis que 14 milliards sont partis à l’étranger et en huit ans la fuite des profits vers l’étranger s’est élevé à 182 milliards de dollars. (2) En 2011, 208 firmes ont été privatisées et tous les ans les achats d’entreprises brésiliennes par des fonds ou firmes étrangères, en majorité des Etats-Unis, s’accelèrent, ainsi en 2012, 296 ont été achetées. (3) Cela n’empêche pas une baisse des investissements étrangers dans le pays, qui est passé de la 4e place à la 7e. (4)
Des programmes à caractère social initiés au temps de Lula sont poursuivis par l’actuelle présidente. L’aide mensuelle contre la faim et à la pauvreté, destinée aux familles modestes pour la scolarisation de leurs enfants (la bourse famille), la defiscalisation des universités privées en échange de bourses d’étude aux jeunes, l’aide à l’agriculture familial, l’installation de l’éléctricite, l’augmentation d’environ 55% du Smic en huit ans, constituent des mesures qui font baisser la le nombre de pauvres de 37,2% à 7,2% en 2011. En même temps, l’investissement du capital privé sur le marché de la construction de logements s’accroit de 45% entre 2002 et 2011, le chômage diminue dans la construction immobilière et, en même temps, les subventions du gouvernement augmentent six fois, et atteingnent presque 2 milliards d’euros. (5) La course aux travaux du bâtiment font flamber les prix du mètre carré et les loyers à des montants inabordables.
Le peuple subit alors des situations désastreuses en ce qui concerne leurs besoins en matière de santé, d’éducation, de logement, etc. Malgré l’augementation du Smic (environ 238€) au début 2010, il devrait être revalorisé d’au moins de quatre fois plus afin de permettre des conditions de vie dignes aux travailleurs. L’alarmante absence de médecins dans les campagnes est comblée par une politique d’embauche des médecins cubains prêts à venir au Brésil, mais obligés d’accepter un salaire dérisoire, sans avoir les mêmes droits que les médecins brésiliens, en contradiction avec le Code du travail du pays. Dans la construction civile, le Brésil est l’un des champions de la précarisation des conditions du travail: en moyenne un ouvrier meurt chaque jour.
En matière de préservation de l’environnement, le gouvernement agit au mieux avec indifférence. La tragédie à Fukushima en 2011 n’a rien changé aux projets de construction de nouvelles usines nucléaires de la présidente Dilma Rousseff. Un accord nucléaire signé entre le Brésil et l’Allemagne du temps de la ditacture en 1975, renouvelé quatre fois, devait être arrêté en 2004, mais cela ne s’est pas fait grâce à l’intervention dans les négociations de la ministre de mines et et de l’énergie de l’époque, qui n’est autre que l’actuelle présidente. L’accord sera probablement renouvelé en 2015.
L’autre source d’énergie est exploitée dans l’océan Atlantique: le Pré-sal, gigantesque couche de 800 km par 200 km de largeur, au large des côtes de cinq États. Il s’agit de réserves d’hydrocarbure en roches calcaires, situées en dessous de la couche de sel de l’océan. Le gouvernement a décidé de vendre aux enchères la gisement Libra, ce qui a provoqué en 2013 une grève des travailleurs de la Petrobras, entreprise petrolière brésilienne, et des protestations des mouvements sociaux. Pour la défense de la nationalisation du pétrole, les travailleurs pétroliers ont réussi à paralyser des plateformes dans plus de 12 États brésiliens. Nonobstant les oppositions aux privatisations, la mise aux enchères est réalisée et un consorsium se constitue entre Petrobras, deux entreprises chinoises, une anglo-saxonne (Shell), et la française Total. (6) Au-délà de la politique extrativiste du gouvernement, provoquant les saccages de l’océan, les côtes brésiliennes sont témoins des sérieux accidents humains et écologiques, en provenance des plateformes ces dernières années.
Mégaévènements, mégabusiness, mégaprotestations (7)
Au Brésil, les discussions autour de la coupe 2014 polarisent les sensibilités du panorama politique du pays entre ceux qui ne voient dans sa réalisation, que les aspects positifs pour l’économie du pays et ceux qui prônent le boycott (8) ou qui font leur possible pour dévier l’attention vers les problèmes que vit la population. Le mouvement qui s’est construit autour de la coupe 2014 agit grosso modo sur deux axes : autour du mot d’ordre Não vai ter Copa! (Il n’aura pas de Coupe !) et Copa pra quem ? (La Coupe pour qui ?).
Le premier, nommé le 15M (15 mai), est composé essentiellement d’organisations de jeunesse et de comités populaires. Il appelle la population à manifester le 15 mai afin de transformer en journée internationale contre les impacts de la coupe au Brésil. Ce sont des comités qui préparent des manifestations et actions de différents ordres dans tout le pays le 15 mai. Sans attendre le 15, d’ores et déjà plusieurs protestations ont eu lieu ces dernières semaines. À Rio, 467 bus ont été saccagés, à Florianopoles, sud-est du Brésil, plusieurs scènes de protestation pour de meilleurs service de transport, à São Paulo le Mouvement des travailleurs sans toit (MTST) ont fait cinq mobilisations de blocage de rues pour demander des logements. Le siège du construteur de stades Oderbrechet, propriétaire de l’une des plus importantes multinationales brésiliennes est occupé par les ouvriers et par les mouvements MST, MSTS, les jeunes, etc. pour protester contre la mort de l’un des ouvriers. Le 15 mai, ces mouvements ainsi que des syndicats de chauffeurs de bus et de cheminots seront dans les rues des principales villes du Brésil, afin de manifester leur indignation face aux 18 milliards de dollars dépensés pour la Coupe, dont les 85% sortent des coffres publics, tandis que la santé, l’éducation, le logement restent dans des conditions déplorables.
Le deuxième, composé des syndicats des pétroliers, des retraités, de l’industrie graphique, de la santé, du service public, de la centrale intersyndicale, de la centrale syndicale Conlutas et de différents comités contre la coupe. Le mois de mars, une rencontre d’organisations a rassemblé le mouvement qui élabore un calendrier d’initiatives de mobilisations dans le but d’unifier les luttes pour le logement, pour les transports, pour la santé, etc. et le 15 mai est décrété jour Contre les expulsions, car les habitants sont forcés de se déplacer pour la mise en oeuvre des chantiers des stades et équipements. Déjà, quelques syndicats ont décidé de faire grève le 15. Le 12 juin, jour d’ouverture de la coupe, est prévue aussi l’ouverture de la Journée de mobilisations nommée Na Copa Vai Ter Luta (La coupe sera de lutte). Le 15 et 16 juillet est prévue une importante mobilisation contre le Sommet des BRICS à Fortaleza, au nord-est du pays. Du 1er au 7 septembre, la semaine de la patrie (9), des actions sont prévues par le mouvement Le cri des exclus sous le mot d’ordre Ocupar ruas e praças por liberdade e direitos (Occuper les rues et les places pour la liberté et pour les droits).
En réalité, les deux sensibilités s’entremêlent dans les actions, les mobilisations, unies dans leur indignation face aux expulsions des 170 000 familles dans tout le pays pour laisser place à la construction de stades, dont certains ne seront pas utilisés ensuite, et d’autres très peu. De même, leur révolte contre l’exigence de la FIFA d’instituer le travail gratuit y compris des mineurs, en rupture avec les dispositions de la Constitution du pays. Unis, aussi par l’expultion des camelots, des commerçants précaires qui essayent de gagner leur vie avec le commerce de rue, sur un rayon de 2 km autour des stades, l’autorisant seulement aux associés de la FIFA, les multinationales du marché mondial. Les exigences de la FIFA atteignent aussi les familles, le corps enseignant, les salariés du milieu de l’éducation publique, car ils devront tous changer leur calendrier de cours ou de travail, parce que les écoles et les universités seront fermées pendant la coupe. (10)
Les femmes, en particulier les femmes noires, sont l’autre partie de la population victime aussi des agissements autour de la Coupe. Prostitution et Coupe du monde vont de pair avec les rapports de pouvoir de classe, race et de genre. L’augmentation de l’exploitation sexuelle et du trafic de femmes, l’accroissement des la marchandisation de leurs corps font partie des dispositifs de préparation de la coupe. Les expériences des Coupes de l’Allemagne et de l’Afrique du Sud ont démontré ce qui peuvent accepter les autorités des gouvernement et du sport. Les violences sexuelles subies par les femmes au cours de l’année se multiplient pendant le mégaévènement, ce qui représente un défi d’auto-organisation et de construction d’alternatives pour les mouvements sociaux.
Devant les convergences des secteurs les plus divers de la population brésilienne et inquiets de l’ampleur que ce mouvement risque de provoquer, la présidente et les membres de son gouvernement cherchent à entamer des discussions avec les représentants des organisations, en essayant de les dissuader d’agir contre la Coupe.
Néanmoins, leur détermination reste ferme…
En même temps, des secteurs de la droite, mais aussi du gouvernement, font pression sur les parlementaires afin faire adopter une loi antiterroristes qui devra servir d’appui contre toute manifestations de protestation contre les agissements de la FIFA ou du gouvernement. Cette loi se trouve actuellement au Congrès national et cette semaine le Tribunal fédéral suprême devra juger sa constitutionnalité.
À l’étranger, les initiatives de solidarité avec le mouvement au Brésil sont encore timides, même si jeudi 1er mai, des militants ont lancé des bouteilles de peinture rouge devant le consulat brésilien en protestation contre la coupe de la FIFA à Zurich, en Suisse.
En France, Platini prend les Brésiliens pour des abrutis, en leur conseillant, par le biais des médias, de se tourner vers leur passion, le foot et de s’indigner des conditions sociales après la coupe… D’autre part, à Paris le Parti des travailleurs (PT, principal parti du gouvernement) promeut des actes de commémoration des 50 ans de dictature militaire au Brésil afin de dénoncer les torturés, les emprisonnés, les morts, les disparus, naturellement sans laisser entendre un seul mot de ce qui se passe réellement au Brésil d’aujourd’hui.
Sans l’ombre d’un doute, en France et en Europe, le mouvement de solidarité peut décider que les vrais champions de la Coupe 2014 sont les peuples des périphéries, des bidonvilles, des forêts, des villes et des campagnes qui driblent l’Etat, agenouillé devant les institutions liées à l’impérialisme et les exigences du marché dirigés par des individus toujours plus depersonalisés, deshumanisés.
Beatrice Whitaker
Notes
1 maricato
2 maricato
3 Democracia & Política http://democraciapolitica.blogspot.fr/2013/01/remessas-de-lucros-para-o-exterior.html
4 BBC Brésil http://www.bbc.co.uk/portuguese/noticias/2014/01/140128_ied_brasil_dg.shtml
5 Maricato
6 La Petrobras compte sur 10% de participation au consorsium et devra réaliser 40% de l’exploitation et environ 41% de l’huile devra être renversé au Brésil. Actuellement, le parque produit environ 50 mille barrils d’huile équivalent (boe) par jour et et selon l’Agence nationale du pétrole (ANP) les réserves pourront assurer 8 à 12 milliards de barris. En janvier 2014, la Shelle vend 23% de participation au Qatar. Cf. Ramona Ordoñez. http://oglobo.globo.com/economia/
7 Expression prise de Carlos Vainer, Quando a cidade vai às ruas (Quand la ville sort dans les rues), Cidades Rebeldes, Boitempo Editorial et Carta Maior. SP, 2013.
8 https://www.facebook.com/contracopa et http://boicoteacopa2014oficial.wordpress.com/tag/boicote-a-copa-do-mundo-de-2014/
9 Le 7 de septembre est le jour de l’indépendance du Brésil.
10 Consulter le Dossier da articulação nacional dos comités populares da copa. Megaeventos e violações de Direitos Humanos no Brasil