Charles Piaget était né à Besançon (Doubs) en 1928. Il y est décédé ce 4 novembre. Il avait effectué toute sa carrière professionnelle dans l’horlogerie au sein de l’usine Lip de Besançon. Il s’est fait connaître, lors du conflit social au sein de l’entreprise, dans les années 1970. À la suite de « l’affaire Lip » – qui a eu un retentissement national – il est devenu une figure emblématique du mouvement autogestionnaire français.
Charles Piaget, l’autogestion en actes
Par Bruno Della Sudda et Henri Mermé. Le 5 novembre 2023.
Charles Piaget était trop affaibli pour participer il y a quelques mois aux différentes initiatives du cinquantième anniversaire des Lip. Même pour celles et ceux qui savaient sa fin proche, sa disparition est un choc, lié à la fois à l’histoire des Lip et à sa personnalité hors du commun.
Issu du christianisme social, il a été la figure emblématique de la grève des Lip de 1973, inscrite dans l’effervescence politique et sociale de l’après-68 et la multiplicité des grèves d’alors, mais originale par sa dimension autogestionnaire.
Par cette grève, les travailleurs et les travailleuses de Lip faisaient — et rappelaient – la démonstration fondamentale qu’on peut parfaitement se passer des patrons pour faire tourner une usine. C’est cette dimension qui avait rendu cette grève très populaire, non seulement en France, mais aussi au-delà des frontières.
Lire et écouter Charles Piaget, au travers de ses textes et des nombreux entretiens accordés depuis, permet de mieux comprendre la singularité de son expérience lors de cette grève, et de sa personnalité.
Car la lutte autogestionnaire des Lip était une lutte très collective, y compris avec son assemblée générale souveraine et dans son animation au quotidien. Charles n’en était pas le chef : il était une sorte de porte-parole et de représentant sous le contrôle de ses camarades. Il veillait scrupuleusement à la démocratie et aux procédures mises en place collectivement. L’impulsion — mais pas la direction, Charles et ses camarades étaient hostiles aux pratiques autoritaires – était due à l’équipe syndicale CFDT, majoritaire dans l’entreprise.
Il est arrivé pourtant que Charles soit un peu chahuté par ses camarades, mais il avait cette capacité à reconnaître ses erreurs et le bien-fondé des critiques de ses camarades, et il évoquait avec humour ces séquences faisant partie de l’expérience de la grève des Lip.
Charles était avant tout un syndicaliste, mais était aussi un militant du PSU. Devenu le symbole des Lip et plus généralement des grèves ouvrières, dans ce moment marqué aussi par l’affirmation des luttes paysannes, avec notamment la mobilisation du Larzac, Charles avait logiquement été sollicité pour présenter une candidature unitaire des révolutionnaires aux élections présidentielles de 1974.
Ce projet fut défendu alors par plusieurs groupes d’extrême gauche (AMR, LCR , Révolution !) et par l’hebdomadaire Politique-Hebdo (un peu l’ancêtre de l’actuel Politis), dans un contexte de montée de l’Union de la Gauche. Mais combattu à la fois par le PS, la direction de la CFDT et la direction rocardienne du PSU et même peu apprécié chez les Lip ce beau projet n’a pas abouti.
Plus tard, Charles sera partie prenante de la fondation d’Agir contre le chômage ! (AC) et participera à toutes les mobilisations sociales à Besançon.
Nous avions été invités, en tant que corédacteurs, dans une belle librairie de Besançon en 2011 pour présenter le livre « Autogestion, hier, aujourd’hui, demain ». Charles était là. Il avait pris la parole pour parler de l’autogestion et revenir sur la grève des Lip. Il nous avait fait une très forte impression par la clarté, la simplicité et la profondeur de son propos.
Charles avait aussi participé à une université d’été des Alternatifs en 2013, dans un riche débat aux côtés des ex-FRALIB : encore et toujours l’autogestion au cœur, avec ce souci de la transmission du patrimoine autogestionnaire, toujours vivant avec l’expérience à la fois autogestionnaire et écologiste des camarades de Gémenos.
Plus récemment, il avait rédigé un petit livre « on fabrique, on vend, on se paie » édité chez SYLLEPSE.
Avec ses mots, Charles le rappelait : l’autogestion, ce n’est pas seulement le cœur de la société que nous voulons, c’est aussi une pratique immédiate, certes difficile et exigeante, et c’est aussi le chemin à prendre pour construire dans la démocratie les rapports de force nécessaires et se préparer à cette société émancipée que nous voulons.