Il y a cinquante ans, au Chili, le gouvernement du président démocratiquement élu Salvador Allende fut renversé par un coup d’État militaire1Coup d’État de 1973 au Chili. L’espoir suscité par l’Unité populaire était brisé. La dictature de Pinochet, accompagnée d’une terrible répression, s’installait pour longtemps.
Chili, 11 septembre 1973, le rêve brisé
Par Bruno Della Sudda – Le 9 septembre 2023
Dans ce pays si particulier d’Amérique indo-afro-latine, où le champ politique rappelle celui de l’Italie par l’implantation populaire de la Démocratie-Chrétienne (DC) aux côtés des principaux partis (PC et PS) du mouvement ouvrier, il y avait eu de 1938 à 1947 une première expérience de Front Populaire dirigé par le Parti Radical.
Le Chili est marqué par de criantes inégalités sociales, la mainmise d’une très puissante oligarchie, l’atout du cuivre et de ressources naturelles importantes, la résistance du peuple mapuche et une longue histoire de mobilisations sociales, ouvrières, paysannes, étudiantes.
Le Chili va polariser l’attention des gauches du continent et du monde entier, particulièrement en Europe et en France, quand on apprend la victoire surprise du socialiste Salvador Allende aux élections présidentielles de 1970.
L’Unité populaire
Un an plus tôt, s’était constituée l’Unité Populaire (UP), autour du PC et du PS. Ces deux partis étaient fortement implantés dans la classe ouvrière et acteurs majeurs de la CUT, la centrale syndicale emblématique où était aussi fortement présent un secteur lié à la DC. Le Mouvement d’Action Populaire Unitaire (MAPU) et la Gauche Chrétienne (IC), scissions de gauche de la DC, étaient aussi partie prenante de l’UP. Quant au Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) – de loin la principale force de la gauche radicale – extérieur à l’UP et favorable à la lutte armée, il fait néanmoins le choix tactique de l’unité d’action avec l’UP, suite à la victoire d’Allende.
Cette victoire est un véritable coup de tonnerre entendu dans le monde entier.
Dans le pays, elle suscite un enthousiasme extraordinaire – pas seulement dans les milieux populaires – tout en suscitant immédiatement l’hostilité de l’oligarchie et de ses représentants politiques à droite et à l’extrême-droite.
Dans les gauches du monde entier, l’espoir est aussi immense, surtout dans les pays où cette victoire de l’UP fait écho aux perspectives d’accès au pouvoir des gauches rassemblées.
Sur le plan programmatique et stratégique, l’UP fait le pari d’une voie gradualiste et pacifique vers le socialisme, faite de mesures à la fois immédiates et transitoires sur le plan social et économique : mesures sociales d’envergure, nationalisations des secteurs-clés de l’économie, réforme agraire, premières mesures en faveur du peuple mapuche, etc.
Les luttes se multiplient
L’enthousiasme populaire se traduit par le déploiement, à une échelle jusque-là inconnue, d’une vague de mobilisations et de grèves dans tout le pays.
Le pari illusoire d’une partie de l’UP se fonde sur l’analyse selon laquelle la constitution de 1925 est ambivalente et permet le changement vers le socialisme dans le cadre institutionnel existant.
Tandis que la polarisation de classe et l’essor des luttes s’accélèrent, cette illusion se dissipe et une différenciation s’exprime rapidement au sein de l’UP.
Allende temporise et tend à s’appuyer sur l’aile droite de l’UP (le PC et le courant modéré du PS).
Pendant ce temps, l’aile gauche appuie les mobilisations et pousse aux processus d’auto-organisation, de début d’autogestion et d’émergence d’un embryon de double pouvoir (« poder popular ») sur la base des cordons industriels et des tentatives de cordons territoriaux.
Cette aile gauche de l’UP rassemble la majorité du PS, le MAPU et l’IC. Et le MIR s’y associe.
Sous la pression de son aile droite, alors que l’UP a progressé aux élections législatives de 1971 et que l’aile gauche préconise une dissolution pour organiser un référendum proposant d’inscrire la socialisation d’une partie des moyens de production dans une nouvelle constitution, Allende renonce à cette option.
Mais, comme le dit très justement Franck Gaudichaud2Auteur de nombreux ouvrages et textes sur le Chili d’hier et d’aujourd’hui, a publié récemment : « Découvrir la révolution chilienne (1970-1973) » (Ed. Sociales, 2023), ce qui se passe au Chili est bien l’amorce d’un processus révolutionnaire. C’est précisément cela qui est inacceptable pour les élites, l’oligarchie et l’impérialisme états-unien : dès 1970, le MIR rappelle à juste titre que jamais la bourgeoisie n’acceptera la mise en place du programme de l’UP et dès 1972, Allende lui-même, à la tribune de l’ONU, dénonce les tentatives de préparation d’un coup d’État au Chili.
Le coup d’État
Le 11 septembre 1973, le rêve est brisé : Allende, renversé par un coup d’État, se suicide dans le Palais de la Moneda. Pinochet et les militaires installent une dictature fasciste qui va s’illustrer par une terrible répression (plus de 3000 assassinats, des milliers de disparu·es), ouvrant la voie à une contre-révolution capitaliste néo-libérale, une première alors à l’échelle mondiale.
Il faudra attendre 1986 pour que le Chili sorte de cette interminable nuit et retrouve la démocratie, partielle et incomplète, avec des tendances contradictoires comme on le voit dans le Chili d’aujourd’hui, où le souvenir de la révolution chilienne et les espoirs soulevés restent cependant vivaces.
Notes
- 1
- 2Auteur de nombreux ouvrages et textes sur le Chili d’hier et d’aujourd’hui, a publié récemment : « Découvrir la révolution chilienne (1970-1973) » (Ed. Sociales, 2023)