Une victoire à la Pyrrhus pour les chômeur·euses

En annonçant le retrait d’une disposition du décret du 23 décembre (la réduction de 40 % de la durée d’indemnisation), Borne a incontestablement reculé face aux réactions qui dépassaient largement le cercle habituel.

Beaucoup se réjouissent de cette décision et crient à la victoire sur le gouvernement comme Manon Aubry : « La mobilisation paie. Maintenant, au tour du retrait de la retraite à 65 ans ». Pour Mathilde Panot, Borne a été contrainte « de retirer son décret infâme ». Ce triomphalisme n’est pas de mise. Les mobilisations ont été – surtout de la part de la gauche – insuffisantes pour peser réellement. Des occupations de Pôle emploi, en cours, risquent fort d’être démobilisées par ces cris de victoire.

Certes, on trouve dans l’opinion et les médias un peu plus d’écoute sur la situation des chômeur·euses, des précaires et des pauvres. Mais, nous savons par expérience qu’une indignation chasse l’autre et que cette attention risque fort d’être de courte durée.

Il faut néanmoins se saisir de toutes les occasions, et donc de celle-là, pour mener bataille contre la disqualification des chômeur·euses qui permet de telles atteintes aux droits. Il faut, bien sûr, soutenir celles et ceux qui se battent, dans la durée, tout au long de l’application de ces textes. Il faut enfin reposer sans arrêt l’exigence des droits pour toutes et tous.

On peut noter une grande différence avec les réactions, suite au décret du 30 décembre 2018 qui aggravait les sanctions par rapport à loi. Les atteintes aux droits des chômeur·euses sont plus présentes dans le débat public.((Joue certainement l’effet cumulé des régressions, leur multiplication qui pose question sur leur bien fondé. Mais, plus grave pour la gauche : les sanctions contre les chômeur-euses et les précaires sont « populaires » chez nombre de salarié·es. Il faut s’attaquer de front – y compris contre l’opinion publique – à cette disqualification et réhabiliter chômeur.euses et précaires. Voir « Réhabiliter les chômeurs »))

Ne négligeons pas, non plus, les mobilisations des associations caritatives et sociales sur les conséquences de la pauvreté que la crise covid a révélées.

Ce « geste généreux » de Borne a un aspect tactique évident : donner l’impression de concerter en admettant « que ce point n’a peut-être pas suffisamment fait l’objet de discussions ». À la veille du débat public sur les retraites et en pleine « rencontres » avec les syndicats, voilà ce qui permet de brouiller les cartes.

Mais ce recul n’est que partiel et provisoire, il conforte la mise en cause de l’assurance chômage depuis la loi Pénicaud de 2018.

Un recul très partiel

Le décret ne comportait pas que la disposition aujourd’hui ajournée. Le reste du décret est oublié, alors qu’il réduit la durée d’indemnisation et vient s’ajouter aux lois précédentes réduisant de façon importante les droits. C’est ce qu’oublie la CFDT en saluant « une très bonne nouvelle pour les chômeurs, notamment les plus précaires ». Oubliées les dispositions du décret qui restent en vigueur et qui ciblent précieusement les plus précaires ! Le débat sur la modulation des droits en fonction de la conjoncture économique ne doit pas s’arrêter. Le Capital demande à l’État d’intervenir pour réguler à son profit ce qu’ils appellent le marché du travail. Comme si, contrairement à la déclaration de Philadelphie de 1944, le travail était une marchandise.

Au-delà de ces dernières dispositions, c’est l’ensemble des contre-réformes qu’il faut remettre en cause. Il ne pourra y avoir « une bonne nouvelle » pour les chômeur·euses et précaires tant qu’elles resteront applicables.

Il faut aussi s’attaquer à ce qui s’expérimente avec la mise au travail forcé des personnes au RSA. Il s’agit là d’un autre projet pour peser sur ce fameux marché de l’emploi.

Il faut enfin mettre l’accent sur l’absence de bilan des mesures prises. On sait, par exemple, que l’augmentation de la période travaillée nécessaire à l’ouverture de droits est un facteur qui aggrave la crise de l’emploi saisonnier. Mais, le gouvernement n’a procédé à aucune étude d’impact de ces mesures avant d’en prendre d’autres. Il s’est contenté de relativiser celles de l’UNEDIC sur la chute du nombre des chômeur·euses indemnisé·es et la baisse du montant des allocations.

Pressé de complaire au patronat effrayé par la crise du travail, le gouvernement accumule les mesures dans une fuite en avant irraisonnée. Il le fait, au mépris des études, y compris celles de ses propres services. Il sous-estime gravement les dangers pour la société de la montée de la pauvreté. En fait, contrairement à ses discours, il ne mène aucune lutte conséquente contre la pauvreté. Au contraire, il l’aggrave et multiplie les pauvres.

Recul provisoire d’un an

Dans ses propos, Borne n’a pas abandonné la réduction de 40 % de la durée d’indemnisation : « Notre intention est transparente : si le chômage est à moins de 6 %, alors on pense que c’est la bonne règle d’indemnisation ». En d’autres termes, dès que le chômage sera à 6 %, un décret viendra réduire la durée d’indemnisation.

Nous avons un an pour mener la bataille sur une définition du chômage différente de celle des pouvoirs publics qui ne prend en compte que le chômage « à temps plein » (les catégories A = absence totale de travail) ((Voir la brochure Abolir le chômage, la précarité, la pauvreté de la commission « chômage, précarité, pauvreté, travail » d’ENSEMBLE! https://ensemble-mouvement.com/brochures/ qui montre l’importance de ce chiffre au-delà du chiffre officiel.)). Ce qui se prépare, c’est la baisse de ce chômage au profit des emplois précaires, des formes dégradées d’emploi pour une grande partie du marché du travail. Nous devons refuser l’idée qu’un emploi fixe puisse être un CDD de plus de 6 mois et non un CDI. Il faut que découragement ((Dans celles et ceux qui sont classés dans la catégorie « absence au contrôle » dans les sorties de Pôle Emploi, on ne sait pas combien sont des personnes découragées qui renoncent devant la complexité des procédures pour « pas grand-chose »)) et non recours soient réellement pris en compte ((Jusqu’ 40 % de précaires ne demandent pas l’ouverture des droits auxquels ils ou elles ont droit.)).

Il nous faut exiger une réforme de l’assurance chômage qui prenne en compte toutes les formes de sous-emploi, y compris chez les « faux indépendants », avec un revenu de remplacement suffisant pour de bonnes conditions de recherche d’emploi ou de formation.

En attendant le début de 2024, Borne propose « la concertation pour les futures règles de l’assurance-chômage » (début 2024) aux « partenaires sociaux ». Ceux-ci auront auparavant été invités à négocier sur leurs pouvoirs de plus en plus restreints dans l’UNEDIC. On évoque même la possibilité de donner au parlement un rôle dans la définition des règles d’indemnisations sur le modèle du PLFSS (loi de financement de la sécu).((On ne peut qu’être surpris·e de voir des député·es de gauche s’associer à cette demande d’étatisation. Il s’agit là d’un désaccord stratégique qu’il faut discuter.))

Quand on sait les conséquences négatives de la gestion étatisée de la Sécu et de l’abandon de sa gestion par les usager·ères salarié·es, il y a de quoi s’inquiéter ; sans pour autant cultiver la nostalgie de la gestion CFDT-MEDEF.

Banderole : Dinde aux patrons chômeurs marrons

Banderole : Dinde aux patrons chômeurs marrons

Contre le vol de nos cotisations par un État libéral autoritaire au service du Capital, nous devons défendre une autre gestion – par les usagers – de l’assurance chômage dont les modalités concrètes sont à débattre largement dans des assemblées populaires ouvertes à celles et ceux qui sont les plus concerné·es.

Son financement peut être assuré par des cotisations sociales dont l’assiette doit être discutée. Il faut faire payer les entreprises qui, par leur place dans les chaînes de valeur, font le plus de profits, mais payent le moins grâce à « l’optimisation sociale » permise aujourd’hui.

Nous avons un an pour modifier les termes du débat public sur l’assurance chômage et mettre en échec la « révolution macroniste » qui en fait une pièce centrale de sa société.

 

Étienne ADAM

5 janvier 2023