Une première mobilisation unitaire des chômeurs, chômeuses, précaires, salarié-es est prévue mercredi 14 février en Ile de France et aussi dans d’autres villes (Caen, Sète…). Elle s’est construite à l’initiative des quatre organisations de chômeurs : AC !, APEIS, CGT chômeurs, MNCP, qui ont pris l’initiative d’un front unitaire réunissant syndicats (Solidaires, SUD, SNU-FSU, UL CGT), associations et forces politiques.  Il est en effet urgent d’agir.
Il faut bien le reconnaitre : les droits des chômeurs restent tragiquement « oubliés » dans les agendas des « grandes » organisations, syndicales ou politiques. Le Comité confédéral national de la CGT (CCN), tenu le 8 février, prend à juste titre position pour préparer une convergence des luttes dans les prochaines semaines- et les thèmes sont très nombreux !- mais les droits des chômeurs sont absents de la déclaration. Seule l’Union syndicale Solidaires est partie prenante nationalement du front unitaire pour le 14 février, même si des unions locales CGT vont aussi s’y associer, notamment en Ile de France. Ensemble !, comme mouvement politique, a pris l’initiative en décembre 2017 de créer les conditions d’une prise de position commune des forces politiques de gauche opposées aux desseins de Macron, et nous espérons vivement que cela se traduise prochainement : conférence de presse, initiative à l’Assemblée nationale, etc. Ce serait un signal positif contre l’isolement, et pour mettre cette question sur la place publique. Tôt au tard les forces politiques devront prendre position (et les députés inévitablement, car il s’agit d’une loi), car il y a un enjeu de société.
Dès mai 2017, après l’élection de Macron, le refonte complète de l’assurance-chômage était mise dans la feuille de route donnée aux « partenaires sociaux », avec une mise en œuvre en 18 mois. Il y avait trois grandes questions : les ordonnances Code du travail, une assurance dite « universelle » pour le chômage, et un chamboulement lui aussi « universel » du droit à la retraite. Or, si tout de suite des mobilisations ont été annoncées contre les ordonnances, aucune date nationale, aucune riposte, notamment syndicale, n’a été programmée dans l’agenda des luttes jusqu’à l’initiative récente des organisations de chômeurs. Or celles-ci, à force d’être isolées et souvent ignorées, se sont affaiblies et ont des moyens réduits. Le soutien actif est indispensable.
Une baisse généralisée des salaires
Rien ne peut justifier une passivité face à la plus grande « contre-réforme » annoncée de l’assurance-chômage depuis sa fondation en 1958. Cette question dépasse les seuls chômeurs ou privés d’emploi, c’est une question pour tout le salariat et la société.
En effet le projet s’accompagne d’une attaque en règle contre les bases fondatrices de la Sécurité sociale, et cela en dépit du fait que l’UNEDIC créée en 1958 ne faisait pas partie de la Sécurité sociale de 1946. L’UNEDIC a même été créée contre certains de ses principes. Cependant, cette attaque contre la Sécurité sociale est particulièrement vraie pour les ressources de celle-ci, puisque le gouvernement fait semblant de redonner du « pouvoir d’achat » aux salarié-es en supprimant dès janvier 2018 la part salariale des cotisations chômage et maladie (ou ce qu’il en restait), tout en choisissant d’augmenter plus qu’en proportion la CSG, y compris pour les retraités au-dessus de 1200 euros. Le signal envoyé aux salarié-es et retraité-es est donc très clair : les cotisations socialisées dans une caisse commune, qui étaient les ressources de la Sécurité sociale, c’est terminé. Le gouvernement aura la haute main sur tout le dispositif, qui ne sera plus du tout une institution des travailleurs-euses (certes en recul depuis longtemps), mais une technique étatique hors du contrôle populaire.
En réalité, il s’agit finalement d’une baisse très importante du salaire indirect, prélevé collectivement sur la richesse économique née du travail dans les entreprises. Le salaire net semble augmenter, mais il sera taxé par la CSG ! Certes, la CSG est aussi payée par les autres « revenus » monétaires (12% de son montant total). Mais les entreprises sont de plus en plus débarrassées du financement de la sécurité sociale. C’est « tout bon » pour les profits et la finance, mais celle-ci ne produit rien d’autre que de la spéculation et en aucun cas de la richesse réelle.
Vous avez dit : « droits universels » ?
Macron essaie de frapper l’opinion publique en parlant de « droits universels » à l’assurance-chômage (et à la retraite). « Droits universels » : quelle belle expression ! Mais qu’insinue-t-elle ? Elle laisse entendre que l’assurance-chômage des « salarié-es » et donc aussi des « privé-es d’emplois » ne serait qu’un droit catégoriel d’un groupe social dépassé : le salariat. En effet, le projet Macron vise à étendre l’indemnisation à des travailleurs dits « indépendants », et aux « démissionnaires ». N’oublions pas que Macron a tout fait sous Hollande pour promouvoir les plates-formes numériques de type Uber ou Deliveroo, dont les travailleurs-euses sont très…dépendant-es, même s’ils aspirent à juste titre à une liberté du travail. Ces plates-formes sont par contre des machines de guerre contre le droit social universalisé, soumis aux lois prédominant des entreprises (ordonnances).  Ces travailleurs choisissent « librement » de travailler quelques heures dans la semaine, en fonction du marché et des appels reçus sur leur application. Avec quelques heures travaillées (ou parfois au contraire 50 heures par semaine payées au SMIC), la catégorie de chômeurs disparait !
Et il y a là une imposture de plus, parce que la Sécurité sociale, dès l’origine, visait l’universalité des droits, y compris pour les chômeurs et les indépendants. Son fonctionnement basé sur les ressources nées du travail général le permettait, pour peu que le régime général intègre les cotisations interprofessionnelles de tout le patronat, de toutes les entreprises, grandes ou petites, y compris les dites « indépendantes » (possiblement aidées par d’autres mécanismes). Or après 1946 les indépendants n’ont pas voulu rejoindre le régime général et aujourd’hui Uber ne veut pas payer au régime des salariés ! Voilà le défi.
Le salariat et ses organisations ne doivent donc pas craindre l’universalisation des droits. Mais à condition de prélever les ressources… à la source : la seule richesse possible vient des entreprises, dans des caisses salariales socialisées à développer. C’est pourquoi il y a nécessité d’une prise de position actualisée des mouvements politiques. Ensemble se prononce pour une Sécurité sociale universelle.
Une mise sous tutelle étatique ?
Au cours de sa campagne électorale, E. Macron avait laissé entendre que l’assurance-chômage, aujourd’hui gérée par un système dit paritaire entre patronat et syndicats, serait quasiment « nationalisée ». Ce qui était cohérent avec son slogan d’universalisme.  Il a reculé quelque peu et il a distribué aux « partenaires sociaux » en décembre 2017 une feuille de route en cinq points, à charge pour les syndicats et le patronat de négocier entre eux sur ces thèmes. Le gouvernement ramasse les copies après le 15 février 2018 et dira alors s’il tient compte ou non des accords passés. Le plus grand mystère règne sur ces négociations hebdomadaires, et il n’est pas du tout exclu que des surprises inattendues en sortent (un deal avec le gouvernement pour certains).
Les cinq questions mises en débat sont les suivantes : inclusion des « indépendants » dans le régime, inclusion élargie des « démissionnaires », contrôle accentué et sanctions des chômeurs qui refuseraient des « offres valables d’emploi », gestion tripartite de l’ensemble du système en incluant les pouvoirs publics (au lieu du paritarisme pur), et pour faire bonne figure « sociale » : menaces d’un système de pénalités de type bonus-malus pour les entreprises qui emploient un trop grand nombre de contrats CDD très courts (moins d’un mois par exemple, ce qui coûte cher à l’UNEDIC). Le patronat refuse bien sûr ce dernier point au profit de vagues négociations par branches. Les contrats de moins d’un mois sont évidemment un scandale. Il faudrait les interdire totalement. Et augmenter toutes les cotisations patronales, parce que tous les types de chômage doivent être indemnisés correctement (avec le SMIC comme référence) et parce que la précarité du travail est une offensive stratégique du patronat et du libéralisme européen depuis les années 1980 : temps partiels, contrats courts, intérim, licenciements sans cause, ruptures conventionnelles personnalisées et maintenant collectives…C’est bien à tout le patronat de payer collectivement l’insécurité sociale qu’il fabrique.
Une lourde loi en prévision
L’habileté cynique du gouvernement est de mettre dans le paquet global d’une très lourde loi (déposée fin mars) non seulement l’assurance-chômage, mais aussi la formation professionnelle et le régime d’apprentissage. Il veillera ainsi à installer dans l’opinion publique l’idée que si les chômeurs le demeurent, c’est faute d’une formation adéquate. Ce sera donc de leur faute…
Et sur l’apprentissage, le gouvernement est en train de dévoiler (depuis le 9 février) des mesures démagogiques aptes à faire croire aux plus fragiles sortis sans qualification du système scolaire que l’apprentissage sera aidé par des aides ciblées. Comme par exemple une prime de 500 euros pour passer son permis de conduire. Quant on est jeune et sans le sou, cela peut éblouir quelque peu. Mais le fond de son projet est cohérent avec la politique de sélection accrue des jeunes en fonction des besoins du marché. On sait ce qu’il en est pour l’accès filtré à l’université. Pour l’apprentissage, le projet est d’en remettre la maitrise aux mains du patronat et des branches, limitant au passage les prérogatives des régions (avec quelques tensions à prévoir).
Pour une mobilisation sociale et politique
Contre les ordonnances, le front syndical a peiné à se construire. Des rapports polémiques se sont aussi installés entre syndicalisme et forces politiques, sur leurs rôles respectifs. Des rendez-vous manqués ont compliqué le débat public. Cela n’a pas aidé le rapport des forces.
Il convient donc pour les nouvelles étapes de la résistance au système Macron de tout faire pour que les convergences se construisent et qu’elles s’épaulent mutuellement. Cela concerne les initiatives syndicales et associatives des semaines à venir. Mais cela concerne aussi les organisations politiques qui devraient chercher à faire un front commun tourné vers l’action, sur le plan national comme partout sur le territoire. De même, partout où cela est possible, multiplions les assemblées citoyennes ouvertes et pluralistes pour mener les débats nécessaires sur les alternatives.  C’est ce que propose le mouvement Ensemble !
Jean-Claude Mamet