C’est le titre des Etats généraux des migrations qui auront lieu les 16 et 17 décembre 2017 à Briançon. Trois grands débats : « Mineurs isolés étrangers : le déni d’innocence » ; « Devoir d’hospitalité : comment mieux accueillir sur son territoire » : « En montagne comme en mer on ne laisse personne en détresse ».
Comment en est-on arrivé là ? Lorsque la vallée de la Roya a été cadenassée par la PAF, l’armée, la police, que toutes les gares ont été bloquées, que les militants ont été arrêtés, nous nous étions dit : « par où vont passer les migrants ? » Et bien maintenant nous le savons : par le col du Montgenèvre d’abord, puis par le col de l’Échelle depuis le début de l’année 2017. Contrairement à la première migration qui venait essentiellement des pays en guerre (Érythrée, Soudan, Syrie…) et qui se composait plutôt d’adultes, de familles, aujourd’hui ce sont essentiellement des mineurs qui viennent de l’Afrique de l’Ouest (Guinée Conakry, Cameroun, Ghana…) qui arrivent. Pour ceux qui parlent français, ils pensaient arriver dans le pays des droits de l’homme, du droit d’asile et y être accueillis correctement après leurs périples affreux par les déserts, les geôles de la Libye, les canots de la Méditerranée…Mais comme l’a affirmé aux Restau du Cœur, Emmanuel Macron : « On ne peut pas prendre toute la misère du monde» reprenant une phrase malheureuse de Michel Rocard. Et il rajoute « je ne suis pas le Père Noël » : ça dépend pour qui !
Alors quel est « l’accueil » des pouvoirs publics français ?
Une chasse à l’homme dans les montagnes.
Le col de l’Echelle, situé à 1746 m d’altitude se franchit par une petite route de montagne non déneigée l’hiver et donc fermée à la circulation, qui relie la Vallée de la Clarée et la Vallée Étroite et débouche en Italie à Bardonecchia, dans le Haut Val de Suze.
Or c’est par ce col qu’arrivent les migrants : il commence à être cadenassé par les forces de l’ordre (application de l’état d’urgence), obligeant les jeunes à prendre des chemins de plus en plus périlleux. Ne pas oublier qu’ils ne sont pas équipés du tout pour affronter le froid et la neige !
Au cours de la dernière période enneigée, ces passages se limitaient à quelques personnes par semaine malgré ou en raison des difficultés manifestes (froid, neige…).
Depuis la fonte des neiges au printemps dernier, les passages sont devenus quotidiens et se sont multipliés avec un pic de 45 personnes en une seule journée, et une fréquentation moyenne de 10 à 20 personnes. (Par exemple, dimanche 3 septembre, une quarantaine de personnes sont arrivées à Briançon, dont 23 mineurs). Au total, plus de 900 exilés ont été accueillis dans le Briançonnais pour au moins une nuit depuis le début de l’année.
La frontière étant de plus en plus militarisée (les forces de l’ordre utilisent des techniques de repérage, de camouflage et de ruses pour les intercepter notamment la nuit), les migrants tentent donc d’échapper à ces interceptions par tous les moyens : en tentant de se dissimuler ou en s’enfuyant à la vue des forces de l’ordre, en franchissant la montagne de nuit, en empruntant ou en tentant d’emprunter des passages plus difficile d’accès, se mettant ainsi toujours plus en danger pour échapper à la police.
La méconnaissance de la montagne et de ses dangers ne fait qu’aggraver ces risques. Ceux-ci peuvent se combiner, se multiplier et s’aggraver fortement et rapidement selon les conditions climatiques et météorologiques. À ce jour une amputation et deux chutes extrêmement graves sont dues à cette politique.
Des interpellations et des reconduites à la frontière illégales.
Comme les derniers reportages l’ont raconté, les voitures ayant à leur bord des jeunes migrants sont arrêtées : les forces de l’ordre invitent les conducteurs à se présenter au commissariat en leur précisant qu’ils sont considérés comme passeurs. Alors qu’ils font de l’aide humanitaire et du sauvetage en montagne. Et les jeunes interpellés, après un tour au commissariat ou dans le camion de la gendarmerie, sont ramenés sur la route, parfois de nuit et sans avoir été nourris, avec pour ordre de rejoindre à pieds l’Italie ! Précisons qu’on leur fait signer un papier de 4 pages dans lequel il y a deux cases à cocher : « je n’accepte pas de retourner en Italie » ou « j’accepte de retourner en Italie » : c’est cette case qui est pré-cochée ! Rappelons que ces jeunes ne sont absolument pas équipés pour marcher dans la montagne l’hiver…
On assiste ici à une notion de frontière élastique : les Points de Passage Frontaliers (PPF) une ligne frontière prolongée de 20 km par les accords de Schengen. Et les Points de Passages Autorisés (PPA) : la procédure de non-admission, instaurée en novembre 2015, permet de considérer qu’un étranger en situation irrégulière contrôlé à l’un des points de passage autorisés (PPA) du département n’est pas entré en France et peut donc être remis directement aux autorités du pays dont il provient, en l’occurrence l’Italie. Il semblerait qu’il y ait un seul PPA dans les Hautes-Alpes au col du Montgenèvre (et donc pas au col de l’Échelle). Ils sont donc maintenant posés à la PAF de Montgenèvre qui peut ainsi les renvoyer en Italie. Ceci permet aux forces de l’ordre d’interpeller les bénévoles ou les jeunes migrants sans qu’ils soient au courant de l’endroit où ils se trouvent et de cette situation. Question existentielle dans la vallée de la Clarée : suis-je en France ou ne le suis-je pas ?
Rappelons par ailleurs que les migrants se déclarant mineurs doivent obligatoirement (d’après le droit international) être accueillis en France et pris en charge par le Conseil Départemental. C’est la même chose pour les mineurs et les majeurs qui demandent le droit d’asile.
Heureusement l’accueil des bénévoles du briançonnais est lui remarquable.
Il commence dans la vallée de la Clarée où de nombreuses portes sont ouvertes pour un premier accueil : se réchauffer, manger, dormir.
Puis Briançon prend le relais.
Les premières initiatives locales en matière d’accueil remontent à l’automne 2016. Les réseaux Welcome et Hospitalité ont d’abord permis un accueil long dans des familles (une trentaine) et plusieurs prêts de logement. Puis un réseau d’accueil d’urgence a été ajouté pour être en capacité d’apporter une réponse immédiate à des personnes arrivant très éprouvées par le franchissement de la montagne. Il implique désormais plus de 70 familles. Il accueille pour quelques jours entre une vingtaine et une trentaine de personnes, principalement aujourd’hui les personnes plus vulnérables du fait de leur situation (très jeunes mineurs, jeunes filles, femmes enceinte et/ou avec de jeunes enfants, personnes nécessitant des soins…).
Mais depuis le début de l’été cela ne suffisait plus !
Dans un premier temps un logement d’une capacité de 6 à 8 lits a été mis à la disposition des bénévoles par la Ville de Briançon : y logent désormais des personnes dont la situation administrative est claire.
À la mi-juillet, un bâtiment a été mis à la disposition des bénévoles par la communauté de communes du Briançonnais (CCB) pour une durée de 4 mois. Une association a été constituée parmi les bénévoles pour conclure une convention avec la CCB à laquelle Médecins du Monde s’est associé. La convention prévoit un accueil d’urgence, limité à quelques jours et pour une capacité de 15 places la nuit. En pratique, les effectifs quotidiens moyens se situent autour d’une quarantaine de personnes (la majorité d’entre elles sont des mineures). Ce lieu va devoir retrouver sa capacité d’occupation d’origine et il faudra donc trouver d’autres solutions.
Depuis l’été, une maison à l’abandon, la Maison de Marcel, est investie par un collectif de jeunes et constitue un lieu d’accueil et de solidarité supplémentaire.
S’ajoutent des formes diffuses d’hospitalité et d’entraide de proximité dans plusieurs villages du Briançonnais, ainsi que des gestes de solidarité à l’initiative de personnes en vacances, en résidences secondaires ou de passage.
L’organisation et le service des repas reposent sur les bénévoles. La paroisse a encouragé cette implication et a prêté ses locaux au cours de la période estivale. Des communes, des commerçants, des associations et des citoyens apportent également leur aide en fournissant des dons en nature (produits alimentaires, petits matériels…). Plusieurs milliers de repas ont été servis depuis la mi-juillet, avec une moyenne d’une quarantaine de convives par jour, et des pics allant de 70 à 120 personnes.
Depuis un mois environ des maraudes sont organisées dans différents coins de la montagnes : dépôts de couvertures dans des cabanes, passage régulier de bénévoles pour recueillir ceux qui appellent au secours (et oui des n° de téléphones circulent…Et c’est tant mieux pour la solidarité et courageux de la part de ceux qui le font).
C’est pour répondre aux questions posées par cette immigration et par la gestion de l’urgence que Briançon a donc décidé de tirer la sonnette d’alarme partout où cela était possible.
Les associations ont d’abord lancé un SOS aux ONG.
Elles travaillent avec les militants et les avocats des Alpes Maritimes, confrontés aux mêmes problèmes.
De nombreux journalistes se sont saisis du sujet : Médiapart, « Le Temps » en Suisse, France Culture, Le Monde…
Et aujourd’hui ces « États Généraux des migrations ».
Les associations veulent que cette réflexion dépasse le briançonnais et s’inscrive dans une dynamique nationale et européenne impliquant la société civile, les élus et collectivités locales solidaires pour parvenir à faire bouger les lignes de la politique étrangère des états membres et de l’UE notamment, en partie responsable de l’exil.
Des milliers de personnes ont fait l’expérience de la rencontre avec des personnes de culture différente à mille lieux des préjugés ambiants, les relations humaines ont été enrichies, le tissu associatif a été renforcé, des liens multiples se sont créés…
Il s’agit donc d’encourager l’hospitalité citoyenne au niveau de la société civile, avec le soutien autant que possible des collectivités locales, à une taille humaine qui pourra se diffuser progressivement dans toute la société jusqu’à contraindre le pouvoir à changer de politique.
Cécile Leroux, Ensemble 05-PACG (Pour une Alternative Citoyenne à Gauche)