Le 31 décembre, un nombre important de femmes a été volé et/ou agressé sexuellement. Parmi les plus de 500 plaintes enregistrées par la police de Cologne, 247 concernent des agressions sexuelles. Toutefois, au lien de discuter ces événements à la lumière des violences sexuelles ordinaires en Allemagne, le gouvernement et les médias insistent avant tout sur les origines des auteurs présumés.
A Cologne, Hambourg et d’autres villes allemandes, la nuit du 31 décembre a été marquée par des agressions sexuelles d’une ampleur considérable et au moins un viol. Dans le contexte de ces événements révoltants il est d’autant plus consternant que dans un premier temps la police n’a visiblement pas pris au sérieux les plaintes des femmes.
En Allemagne comme en France, les violences sexuelles contre des femmes sont un problème qui n’est certainement pas neuf : régulièrement lors de grands événements publics comme des festivals de musique, la fête de la bière à Munich ou le carnaval à Cologne, des femmes sont victimes d’agressions, voire de viols. D’après une étude du Ministère fédéral de la Famille, une femme sur 7 est exposée à une agression sexuelle au cours de sa vie. Une femme sur 4 – indépendamment de son éducation ou classe sociale – souffre de violences domestiques. Les responsables sont quasi exclusivement des hommes et une catégorisation probante en fonction de leur religion, origine, éducation ou classe sociale ne peut pas être établi au vu des données disponibles.
Dans une telle situation, chaque jour est l’occasion de dénoncer le sexisme et les violences sexuelles en Allemagne et de mettre en cause la vision dominante du rôle des femmes. Or, souvent ces problèmes ne sont pas pris au sérieux, ce que la réaction de la maire de Cologne Henriette Reker atteste : interrogée par une journaliste, elle avait conseillé aux femmes de respecter des « règles de bonne conduite pour des événements de masse », comme si cela changeait la détermination des agresseurs. Par contre, aucun mot sur la présentation sexuée des femmes dans les filmes, publicités et médias. Le sexisme reste structurellement ancré dans la société allemande comme le montrent de nombreux indicateurs comme les différences de salaires et de postes dans les entreprises, la répartition du travail domestique etc.
Politique et médias instrumentalisent les violences sexistes à de fins islamophobes
Plutôt que de connecter les événements de Cologne et d’autres villes au sexisme ordinaire, les médias, la droite et le SPD discutent surtout de sécurité et des origines des auteurs présumés. Il semble donc que le caractère structurel du sexisme ne concerne que d’autres « cultures ». Dans un argumentaire raciste classique, on attribue en bloc aux musulmans ou aux réfugiés la violations de « nos valeurs ». Puisque les Allemand-e-s sont amenés à penser que le sexisme viendrait de l’extérieur, Angela Merkel (CDU) et Hannelore Kraft (SPD), la présidente du Land Rhénanie-du-Nord-Westphalie, pensent que des délinquants étrangers doivent être expulsés. Sur SAT1, une des chaînes de télévision principales, on entend des appels à défendre « nos valeurs, notre manière de vivre et nos convictions“ contre les « hommes musulmans ». Inversement, personne ne relève que les agressions sexuelles du 31 décembre pouvaient avoir lieu malgré la présence d’à peu près 100 policiers dans les environs de la gare de Cologne. De quoi nous interroger sur la pertinence de réponses répressives face à des problèmes sociaux.
L’extrême-droite se frotte les mains
Dans ce contexte, une alliance se forme entre les néo-nazis, l’Alternative pour l’Allemagne qui a obtenu 7 % lors des dernières élections européennes et les organisations islamophobes PEGIDA et ProNRW afin de revendiquer la fermeture des frontières et de protéger « nos femmes ».
Faute de reconnaître l’importance des liens entre rapports sociaux de race, genre et classe dans les luttes pour l’émancipation, le racisme se répand aussi dans le mouvement féministe : ainsi, Alice Schwarzer, une des féministes allemandes les plus connues, dénonce le « trop de tolérance envers les musulmans ». Toutefois, les sympathisants de ces organisations et individus ne se limitent pas aux paroles. Malgré un mouvement de solidarité avec les réfugié-e-s d’ampleur en Allemagne, l’année 2015 a été particulièrement marqué par les agressions contre des réfugié-e-s. D’après les statistiques officielles de l’Office fédéral de police criminelle, 817 attaques contre des centres d’accueil, dont 121 incendies criminelles, ont été enregistrés, le chiffre ayant quadruplé par rapport à 2014. De plus, tandis que les statistiques officielles indiquent 1610 agressions contre des réfugié-e-s effectués par des militant-e-s d’extrême-droite, le chiffre réel est sans doute bien plus élevé. A cela s’ajoutent des violences contre le mouvement de solidarité avec les réfugié-e-s. La semaine dernière le responsable des jeunes de Die Linke à Schwerin a échappé de justesse à une tentative d’assassinat. Il a été poignardé 17 fois par des militants d’extrême-droite.
Il est pour le moins curieux que l’extrême-droite revendique de protéger les femmes. A l’instar de l’Alternative pour l’Allemagne, les organisations post-fascistes défendent la famille hétérosexuelle comme norme naturelle, s’opposent au mariage gay et enferment les femmes dans un rôle très étroit de mère. Par ailleurs, ils militent contre le droit à l’IVG, la discrimination positive et le féminisme. Officiellement plus modérés, les conservateurs de la CSU – parti au gouvernement – proclament que « lorsqu’on ne respecte pas les femmes on n’a rien à faire dans la société allemand ». Pourtant, il suffit de regarder les positions de ce parti sur le viol conjugal dans le passé récent pour s’apercevoir que leur discours sur l’égalité n’est qu’une apparence.
Lutte contre le sexisme, lutte contre le racisme
Il semble légitime de considérer les agressions de Cologne comme l’expression de la polarisation de la société allemande. D’un côté, cette ville incarne l’Allemagne libérale et bénéficie d’une gauche radicale, anticapitaliste et antifasciste organisée, de l’autre côté, l’année dernière, une manifestation de l’organisation de supporteurs de foot islamophobe HOGESA a rassemblé 4000 personnes.
Cette polarisation se reproduit également suite aux agressions du 31 décembre. Samedi dernier, une manifestation raciste sous la bannière « PEGIDA protège », demandant l’interdiction de l’islam, a réuni 1700 racistes pour tenter de récupérer les violences faites aux femmes. Face au comportement violent des participant-e-s à cette initiative, la police a bloqué la marche après seulement 500 mètres. Le même jour a eu lieu un « flashmob des femmes contre les violences masculines » auquel environ 1000 femmes ont participé. Celles-ci ont ensuite grossi les rangs d’une manifestation contre le sexisme et le racisme, organisée par le collectif antifasciste « Cologne contre la droite ». Ce collectif rassemble des organisations de jeunesse allant de la branche locale des jeunes socialistes jusqu’aux antifascistes autonomes, en passant par les jeunes de Die Linke. Ce collectif témoigne de l’existence d’un mouvement anti-sexiste et anti-raciste réactif et jeune dont la force n’est pas seulement l’unité autour d’un anti-fascisme conséquent mais également un consensus d’action impliquant la variation des moyens employés allant de la simple distribution de tracts jusqu’aux actions de blocage et sabotage. Malgré les conditions difficiles d’organisation – elle avait été décidée seulement trois jours auparavant – les organisateurs se félicitent du succès de cette mobilisation qui a réuni 4000 personnes. Cette manifestation constitue la première tentative par en bas de changer le terrain du débat en Allemagne : au lieu de montrer du doigt les réfugiés et immigrés, elle clarifie, pour citer l’association Feminismus im Pott, que la « violence faites aux femmes est sans frontières ».
Benjamin Birnbaum