Lundi 9 novembre à la Bourse du travail de Paris, près de deux cents personnes ont répondu à l’appel de la Fondation Copernic et de l’intersyndicale nationale CGT, FSU, Solidaires et CFTC de l’inspection du travail, afin de poser les jalons d’une riposte au rapport de Jean-Denis Combrexelle (ancien Directeur général du travail), missionné par Manuel Valls.  Un appel  (voir ci-dessous) était paru dans l’Humanité le 5 novembre, signé par un grand nombre de juristes, d’économistes et d’intellectuels, appelant à « expliquer, à mobiliser, à empêcher par toutes les actions utiles que le patronat et le gouvernement liquident un siècle de combat ».
Il s’agissait donc ce lundi  d’amorcer la contre-offensive. En effet, un  bombardement  médiatique de plusieurs mois (et plusieurs autres « rapports » qui tous se donnent la main pour taper sur le même clou, depuis l’opuscule de Badinter-Lyon-Caen en juin 2015 jusqu’aux think tank libéraux qui s’en donnent à cœur joie) a précédé la publication de ce rapport destiné à jeter les bases d’une réécriture du Code du travail. Celui-ci serait devenu tellement lourd et « complexe » (dit le dossier de presse de la ministre du travail Myriam El Khomri) que les salariés seraient maintenant insécurisés, angoissés, à l’idée de s’en servir. Les patrons seraient bien sûr « découragés » à embaucher…
Depuis plusieurs semaines, des réunions préparatoires se sont succédées à l’initiative de la Fondation Copernic, avec des inspecteurs du travail, des juristes, des associations, des organisations politiques. Il fallait réunir les conditions d’un vaste rassemblement unitaire. Il fallait aussi attendre que le gouvernement commanditaire de ce projet dévoile ses intentions, ce qui fut fait dans une conférence de presse le 5 novembre. Aujourd’hui nous sommes fixés : le gouvernement semble vouloir aller encore plus vite que Combrexelle ! Si celui-ci préconise une loi dès 2016 pour remettre à plat la négociation collective sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail, avec dérogations à l’appui, et ensuite de réécrire le Code du travail en quatre ans, Manuel Valls et la ministre El Khomri ramènent cet échéancier à deux ans ! Il est donc décisif de réagir au plus vite.
Les débats de la soirée du 9 novembre
Les échanges de la soirée furent intéressants et prometteurs pour la suite.
En introduction, Willy Pelletier (fondation Copernic) explique qu’il ne s’agit pas (pas encore) d’un meeting (qu’il faudra organiser), mais d’une réunion de débat pour jeter les bases d’une action unitaire et solide. Julien Boildieu (au nom de l’intersyndicale de l’inspection du travail) dénonce un gouvernement qui « n’a pas de limite dans sa volonté réformatrice », depuis la loi dite de « sécurisation de l’emploi », la réforme des retraites, la loi Macron puis Rebsamen, et la casse du Code du travail.  Avec ce projet, le « socle impératif » des droits deviendrait le plus réduit possible. Judith Krivine présente les raisons de l’engagement du Syndicat des avocats de France (SAF) dans cette action : il est faux de prétendre que ce projet viserait à « simplifier, sécuriser, négocier ». Il est normal que le Code du travail paraisse complexe, puisque (par exemple sur l’application des 35h) le patronat n’a pas cessé d’exiger des dérogations à la loi.  De plus, moins de règles précises, cela implique plus de jurisprudence : est-ce un progrès ? Aujourd’hui, il est demandé de négocier avec le chantage à l’emploi en permanence, et donc on aboutit à des régressions. Karl Ghazi intervient au nom du CLIC-P, l’intersyndicale CGT, CFDT, UNSA et Solidaires du commerce parisien, en bataille depuis plus d’un an contre le système Macron. Il replace le projet Combrexelle dans l’histoire de la « refondation sociale » du MEDEF, lancée au début des années 2000, qui voulait déjà faire sauter la hiérarchie des normes entre lois, code du travail, conventions collectives, négociations d’entreprise.
Les interventions suivantes ont apporté des éclairages et des propositions supplémentaires. Jean Gersin, pour la FILPAC CGT, souligne les destructions déjà avancées et appelle à « expliquer le Code du travail aux jeunes salariés, en terme simples». Eric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, annonce la participation de son organisation à cette campagne et insiste vivement sur la nécessaire unité syndicale, et sur la nécessité de « prendre le temps » d’y parvenir.  Noel Daucé, pour la FSU, annonce une position d’observation de la FSU à ce stade pour la signature de l’Appel, mais note favorablement la qualité du débat et le souci d’élargir le plus possible. Le Syndicat de la magistrature (SM) annonce également son implication. Une personne au chômage depuis des années  interpelle l’assistance : que m’apporte à moi le Code du travail tel qu’il est ?
D’autres insistent sur la nécessité de ne pas apparaitre uniquement comme tirant le signal d’alarme des futures « catastrophes », mais de réfléchir à des alternatives pour un Code du travail plus protecteur. Il ne s’agirait pas non plus, pour la juriste Josépha Dirringer, de laisser entendre que la négociation collective serait par nature négative, alors qu’elle est un « droit fondamental » qui va de pair avec « l’exercice de la liberté syndicale ». Il convient donc de « construire une plate-forme revendicative précise ».
Sylvie Guinand de la Fédération des services publics CGT explique que les activités régies par le statut de fonctionnaire (collectivités territoriales) n’échappent pas aux offensives régressives sur le Code du travail, ne serait-ce que parce que de plus en plus de postes de travail sont régis par des contrats privés. Christophe Delecourt, pour l’UGFF CGT, propose d’être « ambitieux » dans la rédaction d’une « réécriture du Code du travail » dans la perspective de remettre en cause « le lien de subordination ».
Ont également pris la parole des représentants de forces politiques : Ensemble, NPA, PG.
Vers de nouvelles initiatives
Le calendrier opérationnel du gouvernement débutera en 2016 par une loi visant à « dynamiser la négociation collective », pour en faire « un outil d’adaptation réciproque de l’économique et du social », en quittant « les logiques d’affrontement et de postures » (document du ministère). Les choses sont donc très claires !  Leur moyen est d’abord d’accentuer la professionnalisation des négociateurs syndicaux (accords de méthode, durée des accords, accords de groupes, réduction du nombre de branches…). L’indépendance et la fonction même du syndicalisme sont mises en cause par le gouvernement.
Willy Pelletier a signalé que l’Appel rendu public était d’ores et déjà signé par un très grand nombre de syndicalistes (à titre individuel), mais aussi de syndicats et de fédérations syndicales CGT et Solidaires, avec un début dans la FSU. L’espoir est d’élargir au  plus niveau et dans la diversité du mouvement syndical. Prochainement, les signataires seront rendus publics, de même qu’un collège de personnalités et d’organisations politiques.
Par ailleurs, des juristes proposent aux organisations syndicales de réfléchir à un travail approfondi sur les enjeux de cette contre-réforme qui touche au socle centenaire du droit social, afin de construire des outils communs. La confédération CGT s’est déclarée favorable.
Il convient donc de construire un grand mouvement qui fédèrera sans doute plusieurs initiatives : appel signé très massivement, réunions publiques de décryptage, travail approfondi des juristes confrontés à un clivage dans leur profession, initiatives syndicales multiples, engagements politiques. Le gouvernement fait de cette destruction des garanties sociales élémentaires son étendard pour 2017. Nous pouvons nous organiser pour le faire perdre car cette mise au rebut des droits concerne tous les salarié.e.s et les précaires.
Pierre Cours-Salies, Jean-Claude Mamet
Site de la campagne avec le texte de l’Appel à signer : https://cqfddutravail.wordpress.com/
Note de la Fondation Copernic sur le Code du travail : https://cqfddutravail.wordpress.com/2015/10/07/decryptage/
APPEL : Pour un droit du travail protecteur des salarié-e-s, non au rapport Combrexelle !
La construction du Code du travail en France est issue d’un siècle entier de grèves et de négociations. Les lois et les conventions internationales concernant les durées légales, le Smic, les conditions de travail, les institutions représentatives du personnel, la santé, l’hygiène, la sécurité, et les droits attachés aux licenciements sont le fruit des combats passés. Il en est de même de la construction du statut de la fonction publique.
À peine les lois Macron et Rebsamen votées, le gouvernement compte engager, en suivant les préconisations du rapport Combrexelle, une réforme qui peut changer la nature du Code du travail et transformer la fonction de la négociation collective. La volonté affichée de simplification dissimule un projet de déréglementation qui vise à affaiblir les droits des salarié-e-s en élargissant les possibilités pour la négociation d’entreprises de déroger au Code du travail en défaveur des salarié-e-s.
Ne nous y trompons pas. L’ensemble des salarié-e-s est visé. Le premier ministre préconise le même breuvage pour la fonction publique : « Il faudrait un rapport Combrexelle pour la fonction publique. » D’ores et déjà un agent sur cinq est soumis au système du contrat. Et Macron affirme que le statut des fonctionnaires n’est plus ni « adéquat » ni « justifiable ».
En réalité le droit du travail n’a jamais été aussi complexe que depuis que se sont multipliées les dérogations à la loi en faveur du patronat. Le but du Medef et du gouvernement n’est pas de simplifier le droit du travail. Il est de mettre en cause la légitimité de la loi, de liquider définitivement le principe de faveur, qui prévoit que les accords d’entreprises ne peuvent déroger aux accords de branche ou au Code du travail que s’ils sont plus favorables aux salarié-e-s. Le but est de mettre la négociation collective au service de la compétitivité et des employeurs et d’aboutir à un Code du travail facultatif pour sa plus grande partie. Le rapport Combrexelle va même jusqu’à prévoir qu’un accord collectif puisse primer sur « l’intérêt individuel » du salarié-e concrétisé par son contrat de travail. Sont donc remis en cause par ces propositions tant les acquis collectifs des salarié-e-s que les avantages individuels des contrats de travail.
Le respect des droits des salarié-e-s est un choix politique qui concerne toute la société, il doit donc faire l’objet de décisions s’appliquant à toutes les entreprises. La négociation collective est nécessaire pour prendre en compte les situations diverses. Elle doit rester un complément au service des salarié-e-s et non pas se substituer à la loi. Le droit du travail, hélas, est le moins enseigné, le moins connu, le plus dénigré, le plus fraudé, alors qu’il est le plus essentiel, le plus vital pour 18 millions de salarié-e-s. Réduire les droits des salarié-e-s, c’est aussi par contrecoup s’attaquer aux chômeurs-euses, aux retraité-e-s, aux jeunes qui débutent une activité professionnelle.
La justification première du droit du travail, contrebalancer le pouvoir patronal, reste plus que jamais d’actualité. Face aux tenants d’une simplification du droit du travail au travers d’un droit avec le moins possible de lois, de juges, de sanctions, nous défendons un droit du travail avec davantage de droits pour tous et toutes les salarié-e-s, leurs représentant-e-s, les comités d’entreprise (CE), les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), des médecins du travail non soumis au patronat, et davantage d’inspecteurs-trices du travail avec une garantie d’indépendance. Nous voulons un droit du travail plus accessible, plus effectif, avec un accès au juge facilité, des sanctions réelles et rapides des violations aux règles qu’il prévoit.
Nous refusons tout ce qui renforce la soumission des salarié-e-s à l’exploitation patronale. Ensemble, nous appelons à faire campagne contre les projets annoncés par le gouvernement, visant à réduire et à subordonner les droits des salariés aux exigences des entreprises. Nous appelons à expliquer, à mobiliser, à empêcher par toutes actions utiles que le patronat et le gouvernement liquident un siècle de combats. Pour un droit du travail protecteur des salarié-e-s ! Que le progrès social l’emporte au travail, pas l’exploitation féroce !
La campagne unitaire, à l’initiative de la Fondation Copernic et de syndicalistes du ministère du Travail, sera lancée lundi 9 novembre, salle Croizat, Bourse du travail République, à 19 heures, avec les syndicalistes, les personnalités, les partis et élus, les salarié-e-s, qui se mobilisent ensemble pour défendre le droit du travail. Venez nombreux.