Devant le Congrès des maires de France, le 19 novembre, Jean-marc Ayrault n’a pas remis en cause la réforme des rythmes scolaires. Les grèves, les manifestations, l’opposition des enseignants et des parents d’élèves, le Premier ministre n’en a cure. Le lendemain de la journée de grève du 14 novembre, il déclarait : «Le bon sujet ce sont les horaires de cours. En 2008 ont est passé d’une semaine de 4,5 jours à 4 jours. Tout le monde a dit : l’apprentissage des fondamentaux en 4 jours, cela ne marche pas. Donc le retour à la semaine de 4,5 jours, c’est ça le cœur de la réforme. Le seul but de cette réforme, c’est l’intérêt de l’enfant. Je ne vois pas pourquoi on abandonnerait cette ambition».

La semaine de quatre jours

En 2008, la réforme Darcos avait de fait supprimé une demi-journée d’école tout en alourdissant les programmes – programmes marqués par l’inadaptation des contenus, par un affaiblissement de leur dimension culturelle et par une conception mécaniste des apprentissages.
Les deux heures d’enseignement supprimées étaient transformées en deux heures de soutien scolaire. Mais ce soutien, s’il pouvait être utile, alourdissait encore la journée d’enfants déjà en difficulté et surtout avait permis au précédent gouvernement de faire disparaître petit à petit les réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (Rased), bien plus efficaces.
En outre, la suppression du samedi matin rendait beaucoup plus difficiles les relations entre les parents et les enseignants qui trouvaient là un moment pour se voir. Car de nombreux parents, qui laissent leurs enfants au centre de loisir le matin et à l’étude le soir, ne voient jamais le professeur.
Enfin, la France, avec 144 jours de classe par an, devenait l’un des pays de l’OCDE avec le moins de « journée de classe »- cependant le nombre d’heures de cours reste parmi les plus élevé.
Il y avait donc semble-t-il matière à changer, à travailler à de « nouveaux rythmes ».
Alors pourquoi cette opposition ?

Intérêt de l’enfant

Contrairement à ce que clament Peillon et consorts, la réforme a peu à voir avec l’intérêt de l’enfant.
Outre que face au défi de réduction de l’échec scolaire, la question des rythmes n’est certes pas négligeable mais pas prioritaire: programmes, effectifs, Rased, formation… autant d’exigences qui nécessitent une rupture avec la politique éducative de Darcos/Sarkozy. la réforme Darcos, les quatre jours – était insupportable parce qu’elle aggravait des inégalités scolaires/sociales croissantes.
Le retour à 4,5 jours s’est fait dans les plus mauvaises conditions: maintien des conditions de travail détériorées (pas de retour effectif des 80 000 postes), perte de sens d’une « éducation
nationale » au nom d’un traitement territorial encore plus inégalitaire.
Les nouvelles charges qui vont peser sur les collectivités territoriales ne sont pas minimes puisque cela peut représenter plusieurs points d’impôts locaux supplémentaires. Ces activités périscolaires seront au final payées par tous. Cela peut se comprendre dans la période d’austérité généralisée, mais cela n’a rien à voir avec l’intérêt de l’enfant. Par ailleurs, l’égalité entre les enfants s’en trouve bafouée, puisque certaines communes auront les moyens de proposer des activités intéressantes quand d’autres ne feront qu’organiser une garderie.
Sans compter que même pour la garderie, cela signifie éventuellement embaucher du personnel d’encadrement… 45 minutes par jour ! Quant à l’encadrement périscolaire, cette réforme est l’occasion d’en aggraver les conditions (de travail pour les personnels et de qualité d’accueil pour les enfants) puisque les taux d’encadrement vont être revus à la baisse par l’augmentation du nombre d’enfants par adulte. Et là encore, Ayrault prévoit même d’aggraver ce qui était prévu dans le décret. En effet, il a déclaré aux maires, que des assouplissements seraient possibles !

Une mise en œuvre impossible

Autant dire que dans cette situation, recruter du personnel qualifié, y compris dans les mairies suffisamment riches pour se permettre cette dépense, est mission impossible.
C’est pourquoi, à Paris, la mise en œuvre c’est traduite par deux jours d’école aux horaires antérieurs 8h30-16h30 et deux jours où les enfants finissent l’école à 15 heures puis participent à 1h30 d’activités périscolaires. Il faut bien chercher pour trouver l’intérêt de l’enfant dans cette organisation.
Mais d’autres communes ont d’autres idées. Par exemple, allonger la pause méridienne, l’heure du déjeuner, d’une demi-heure en avançant l’heure de sortie d’un quart d’heure. Et comme il est quasi impossible de faire une activité en une demi-heure, les enfants seraient dans la cour ou dans le préau s’il existe. Intérêt de l’enfant ?
Enfin, l’aide personnalisée est supprimée. C’est d’ailleurs vrai dès cette année, même dans les communes qui n’appliquent pas encore la réforme. Elle est remplacée en partie (une heure au lieu de deux) par des activités complémentaires pédagogiques (APC) pour tous. Cela peut être à peu près n’importe quoi, mais dans la plupart des écoles, les enseignants l’utilisent pour faire du soutien scolaire. Car les Rased n’ont pas été rétablis et il n’existe plus aucun mécanisme aujourd’hui pour aider les enfants en difficulté.

Pour une vraie réforme des rythmes scolaires

En octobre, 419 directeurs et directrices d’écoles de la Ville de Paris, sur les 663 rédigeaient une lettre au directeur académique pour expliquer la situation depuis la rentrée : «  Depuis le 2 septembre, l’essentiel de nos préoccupations et de notre temps est consacré au périscolaire municipal décidé par la Ville de Paris. Sa qualité, par ailleurs très inégale, les conditions dans lesquelles il s’exerce, ses modalités d’organisation, les périmètres de responsabilité des uns et des autres dans cette nouvelle organisation de l’école, sont les sujets qui envahissent nos journées ». Concernant les activités périscolaires, ils insistent sur « les conditions de sécurité mal assurées pour nos élèves aux différentes sorties de l’école, un niveau d’hygiène des locaux scolaires dégradé, des personnels enseignants exclus des locaux des classes où ils préparaient leur travail pédagogique après 15 heures deux fois par semaine. Il en résulte une perte de motivation des équipes et une interrogation sur les finalités de leur métier, des personnels d’animation, souvent plein de bonne volonté, mais désemparés devant l’ampleur de la tâche confiée : animer des ateliers sans matériel, dans des locaux impropres à leur exercice, parfois sans formation… ». Ils terminent : « Nous vivons douloureusement le fait qu’une expérience mal préparée, sans consensus trouvé entre les différents acteurs, vienne mettre à mal les valeurs de l’école de la République en laquelle nous continuons de croire. »
Le 14 novembre, de nombreuses écoles étaient fermées dans toute la France et 150 pour la seule ville de Paris avec 70 % des enseignants en grève. Des grèves ont également eu lieu chez les personnels municipaux.
Et si la FCPE nationale défend la réforme Peillon, de très nombreux parents d’élèves y compris engagés dans la FCPE ont soutenu ces grèves et font signer des pétitions contre l’application de la réforme.
Il est certes difficile d’avancer une proposition de rythmes scolaires qui fassent facilement accord et qui puisse prétendre répondre à l’intérêt de l’enfant in abstracto. Car l’intérêt de l’enfant c’est aussi d’avoir des enseignants et des personnels qui travaillent dans des conditions correctes, qui soit formés et reconnus.
Pour qu’un retour au 4,5 jours soit possible, défendu par les enseignants notamment, il faut que cela s’accompagne d’améliorations des conditions d’enseignement tangibles, pour chercher à relever le défi de la réussite de tous.
Ainsi, il faut revenir à des effectifs d’élèves par classe qui ne dépasse pas les 25 et moins en zone d’éducation prioritaire, une première étape d’un maître supplémentaire pour dix classes, l’arrêt des APC, un nouveau développement des dispositifs d’aide aux élèves en difficulté et des critères contraignants et nationaux pour le périscolaire en journée (locaux, encadrement, contenus…).
Outre la cinquantaine de maires de droite qui ont déclaré que même l’an prochain, ils ne mettraient pas en place la réforme, le maire communiste de Vitry-sur-Seine et celui de Bagnolet ont déjà assuré qu’ils ne l’appliqueraient pas.
Le gouvernement est dans le rapport de force. Il recule face aux pigeons, aux Medef, aux transporteurs bretons mais quand ce sont les salariés, les enseignants ou les parents d’élèves, il ne veut rien entendre.
Cependant la colère continue de s’amplifier et des actions sont organisées chaque semaine, le Snuipp appelle à une grève dans les écoles le 5 décembre. Peillon aurait tort de penser que cela va s’arrêter.
Angèle Mondini