Avec la NUPES, « Un autre monde est possible »
« Pouvoir d’achat » ? Dès sa formation, le gouvernement Macron-Borne annonce une loi de « mesures sociales » pour répondre à la crise dite du « pouvoir d’achat » et aider à faire élire ses député-es.
Nous y opposons ici une cohérence alternative basée sur le salaire et des mesures urgentes pour l’action et pour une majorité politique basée sur les député-es de la Nouvelle Union populaire écologiste et sociale (NUPES).
POUR UNE COHERENCE ALTERNATIVE : LE SALAIRE
Mesures sociales ? Les économistes sont sollicités pour en analyser l’équation pleine d’inconnues.
Des milliards d’euros sont en jeu s’ajoutant aux presque 30 milliards déversés depuis quelques mois pour faire face à la crise du « pouvoir d’achat », au cœur de l’élection présidentielle. La situation est réputée « grave » : on a beaucoup dépensé pendant la crise COVID, pour maintenir l’économie en vie (« quoiqu’il en coûte »). Mais rien dans le monde ne vient apaiser les mauvaises prévisions. Nous vivons dans un tumulte de crises à rebondissements : les chaînes de production mondialisées ont déraillé avec le COVID, renchérissant les biens intermédiaires indispensables aux entreprises occidentales ; la guerre en Ukraine est effrayante par ses violences et ses crimes, mais s’y ajoutent une fermeture des robinets énergétiques russes (gaz, pétrole) et des risques de famine (crise des céréales dans les pays émergeants). Ajoutons que rien ne peut et ne doit redémarrer comme avant, car l’économie structurée par les énergies fossiles et l’agriculture productiviste est une impasse mondiale pour l’avenir humain. Le GIEC et d’autres instituts scientifiques ne cessent de le démontrer : il reste trois ans pour inverser la courbe vers un réchauffement à 1,5° (objectif acté en 2015). Autant dire que c’est déjà trop tard.
« Un autre monde est possible » (comme le disent les altermondialistes et le Jean-Luc Mélenchon), mais il nécessite une rupture très forte avec les méthodes libérales-autoritaires des Etats. C’est ce que propose le programme de la NUPES, qui peut arriver première au premier tour des élections législatives de juin 2022. Mais il convient d’en débattre les enjeux. Il faut argumenter sur une autre société, pour des mesures alternatives au macronisme et au capitalisme néolibéral.
Le salaire : un pouvoir sur la richesse
Or le projet de Macron- Borne s’illustre par une panoplie de mesures qui visent à noyer la place des salaires dans l’imaginaire de la société.
Amorcée sous le quinquennat de Sarkozy (mentor de Macron), et réaffirmée dans les campagnes de Macron et de Pécresse, on a entendu une ritournelle : « Il faut que le travail paye ». Mais il s’agit surtout de contourner l’exigence de hausse des salaires et du salaire socialisé. On l’a presque oublié : sous Macron, les cotisations sociales chômage, maladie, sont remplacées par la hausse de la CSG, et donc des systèmes pilotés par le pouvoir politique, devenu un manager du circuit économique. Marine Le Pen avait trouvé la martingale, soutenue par le MEDEF : supprimer carrément les cotisations patronales pour en reverser le montant en salaire net (et l’Etat comblera les déficits de la Sécurité sociale !). Au-delà des aspects électoralistes, si on veut que l’économie reparte, l’idée libérale est d’alimenter la circulation marchande au nom du « pouvoir d’achat ». Certes, cela répond à la colère populaire devant la hausse permanente des prix. Mais cela ne permet nullement à cette colère de déboucher sur une force collective et le sentiment d’être respecté.
En quelques mois, la liste des expédients du gouvernement pour calmer l’angoisse sociale est impressionnante. Un paquet de mesures parfois non ciblées et sans doute de nouvelles pour l’été : « bouclier tarifaire » sur le gaz et l’électricité, ristournes essence de 18 centimes, primes pour les grands « rouleurs », prime Macron multipliée par trois (6000 euros possibles), appelée significativement un « dividende salarial », dégel (enfin !) du point d’indice des fonctionnaires, indexation des retraites sur les prix (mais pas les salaires), un panier alimentaire mystérieux, la suppression de la redevance télé, etc. Bloquer certains prix est juste, mais pour combien de temps ? L’argent semble facile, sans compter les promesses au patronat et aux plus riches : impôts de production encore allégés, baisses de cotisations des indépendants, fiscalité allégée des successions, etc.
Certes, l’inflation monte en flèche : près de 5% (en France, bien plus en Europe). Et cela risque de continuer dans le contexte mondial où tout se répercute quasi instantanément d’un bout de la planète à l’autre. Si bien qu’un spectre hante à nouveau les banques centrales et les économistes patentés : la hausse inconsidérée des salaires et une spirale prix/salaires, impensable il y a encore quelques mois. Vite ! disent la Banque centrale américaine et la BCE : il faut hausser les taux d’intérêts, pour briser le cauchemar inflationniste (quitte à casser « la reprise »). C’est la priorité, disent Olivier Blanchard et l’ancien conseiller de Macron Jean Pisani-Ferry (Le Monde du 19 mai 2022) : « il ne faut pas laisser d’installer des mécanismes pérennes d’indexation des salaires sur les prix ». Voilà donc ce qui serait le pire : que la pression à la hausse des salaires devienne forte, surtout si comme ils le répètent, les statistiques du chômage (de catégorie A seulement : « on » oublie les CDD et autres contrats courts en catégorie B) baissent. Ainsi le pouvoir de négociation salariale se renforce. Aux Etats-Unis, devant le choc des sales boulots mal payés, des millions de personnes ont quitté le « marché du travail » ou exigent de meilleures rémunérations.
L’indexation des salaires, contre celle des dividendes
Comme le dit le député LFI François Ruffin : il faut « rétablir l’indexation des salaires sur les prix » (supprimée par Delors en 1983). C’est-à-dire en réalité modifier le partage de la valeur ajoutée produite par les salarié-es. Vendredi matin sur France Inter, le président du Medef Roux de Bézieux expliquait de manière quasi « marxiste » : « seule la quantité de travail crée de la richesse ». Quel aveu ! Mais problème : qui s’empare de cette richesse ?
Or nous avons appris récemment que les entreprises du CAC 40 ont encore battu des records, en profits et en dividendes distribués (et salaires faramineux, comme celui de Carlos Tavares, patron de l’ex-PSA devenu Stellantis : 66 millions !). L’Observatoire des multinationales montre que pour l’année 2021, les profiteurs du CAC 40 ont fait merveille : « Record de bénéfices, records de dividendes, records de rachats d’actions, records de rémunérations patronales ». Soit 57 milliards de dividendes, plus 23 milliards de rachat d’actions, soit en tout 80 milliards : + 57% (L’Humanité du 11 mai 2022). Au moins ces entreprises-là peuvent payer, au lieu de supprimer encore des emplois tout en touchant des aides structurelles (baisses de cotisations, CICE…).
Face à ce tableau, sur le site des « Economistes atterrés », Jonathan Baudoin (maître de conférence à l’Université Sorbonne Paris) explique : « Le choc inflationniste actuel, qui suscite une baisse de la part des salaires dans le PIB, survient alors que la part des salaires a déjà baissé de 10% depuis les années 1970… ». A cette époque, il y avait « restriction des profits » avec l’indexation. Mais « les choses se sont inversées aujourd’hui. Les salaires sont étouffés ». Et de signaler cependant des « signaux encourageants » en Allemagne où le syndicat IG Metal entame des « négociations pour obtenir une hausse des salaires de plus de 8% dans la sidérurgie » (en Allemagne l’inflation est à 7%), ce qui entrainerait une « généralisation en Europe ».
La socialisation des salaires peut aussi se matérialiser par des droits gratuits pour un volume de biens de consommation prioritaires : mètres cubes d’eau alloués, consommation électrique, transports quotidiens, à commencer par les jeunes, les chômeur-euses.
Le déni de valeur du travail des femmes
On le sait, à une échelle globale, l’inégalité des rémunérations femmes/hommes avoisine toujours les 25%. Notamment parce que les métiers les plus valorisés et/ou l’accès aux qualifications sont genrés, ainsi que la durée du travail (80% des temps partiels sont occupés par des femmes). Toute chose égale par ailleurs, l’inégalité reste incrustée à 10%, c’est-à-dire sexuellement discriminée. Les mêmes mécanismes ont cours pour les migrants et migrantes, les sans-papiers (carrément non payés parfois). Cela fait 50 ans qu’une première loi a été votée en 1972 pour rétablir l’égalité. Déjà la Constitution de 1946 proclamait l’égalité des droits femmes/hommes dans tous les domaines.
Le droit au salaire égal des femmes est donc nié par la société. L’accès aux pleins droits du salariat demeure masculin, par les métiers exercés, le droit de faire valoir sa qualification, l’accès aux postes hiérarchiques, la durée ou l’occupation considérée comme légitime du temps de travail quand on est amené à accoucher, s’occuper des enfants, etc. Et lorsqu’il y a emploi, sa valeur « vaut » moins en moyenne pour les femmes.
Ce qui doit impliquer des mesures légales et coercitives pour rétablir l’égalité : revalorisation des grilles de salaires dans les métiers dits « féminins », valorisation des qualifications dans les métiers de soins, de contacts humains (ou care), obligation de résultat dans les négociations, sanctions (par exemple dans l’accès aux marchés publics), renforcement de l’inspection du travail…
Abolir les lois et ordonnances Khomri-Macron
Face aux appétits financiers, il faudrait installer des mécanismes de responsabilité des plus puissants donneurs d’ordre pour leurs sous-traitants tenus en laisse, qui répercutent violemment les exigences de compétitivité sur les conditions de travail et de basses rémunérations. En d’autres termes, il faut donner une priorité à la loi sur les accords de branche, aux accords de branches sur les accords d’entreprises, ce qui implique l’abrogation de la loi El Khomri et des ordonnances Macron. Comme le demandent les forces politiques de la NUPES. Et en revenir à la hiérarchie des normes.
Face à la pauvreté, prolonger le salaire
La plupart des libéraux sont prêts à « aider les pauvres ». Mais aux frais de l’Etat. En langage macronien, on appelle cela le socle de protection « universelle ». Tellement universelle que par exemple, 30 ou 40% des ayant-droit ne réclament pas le minimum vieillesse ou le RSA (selon le Comité d’évaluation du RSA). La Sécurité sociale s’étant fortement dégradé en matière d’indemnisation du chômage, le RMI puis le RSA ont propulsé dans le débat public la catégorie des « pauvres », les personnes expulsées des droits du salariat. Le projet Macron envisage trois choses : indexer le RSA sur les prix, conditionner son versement à une « activité », et enfin le verser à la source. La lutte contre l’automaticité des droits faisait rage chez les libéraux au 19ème siècle. Avec Macron 2, le « péché » du versement automatique « à la source » (mesure bienvenue) serait donc contrebalancé par une obligation d’activité, pas forcément rémunérée au SMIC.
Or la pauvreté ne se combat pas par des mesures de pauvreté. La pauvreté est globale, comme le dit depuis longtemps ATD-Quart Monde. Elle ne peut se combattre dignement que par le rattachement aux droits du salariat, donc une prolongation du salaire en cas de suppression d’emplois. Cela implique donc une hausse graduelle mais continue des cotisations d’entreprises (chiffrée dans le programme de la NUPES à 0,25 point par an), sur cette question comme sur la garantie des droits à la retraite dès 60 ans. C’est parce que le patronat ne veut plus cotiser que la Sécurité sociale est commentée comme perpétuellement en déficit. La sécurité sociale est une distribution socialisée, donc « à la source », de la valeur économique. Il n’y a pas d’autre source, sauf à taper dans le portefeuille des contribuables.
L’impératif écologique
Le choc inflationniste mondial nécessite d’autant plus un tournant majeur dans la réorganisation des filières de production, qu’il faut détacher de l’emprise des multinationales. « C’est un impératif écologique », explique l’économiste Jonathan Baudoin. Cela passe par des relocalisations et un contrôle politique et citoyen sur la manière de produire. Cela s’appelle « planifier » c’est-à-dire délibérer et choisir, avec une sécurité sociale professionnelle pour les travailleurs et travailleuses appelées à participer aux débats et décisions.
La Sécurité sociale devrait s’étendre aussi à l’alimentation, avec des cotisations dédiées, comme le préconisent l’association Réseau salariat, le collectif Plus jamais ça (comprenant syndicats et associations) et le programme de la NUPES. Une filière alimentaire agroécologique pourrait se mettre en place avec des réseaux de producteurs proches des agglomérations (des AMAP, ou Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, généralisées). La formation des prix serait aussi sous le contrôle des producteurs et consommateurs.
Tout cela demande du temps, mais il est impératif de donner immédiatement une direction. Comme l’explique un document récent de la Fondation Copernic, « la crise climatique nous oblige à repenser les échelles et à agir pour la relocalisation des productions au plus près des besoins, dont la définition et le périmètre d’utilité doivent être revus. La remise à plat des échelles, traduite par le terme générique de « circuits courts », pose la question de l’autonomie des territoires en termes de production des biens nécessaires à la satisfaction des besoins de base évoqués précédemment. »
Des mesures d’ensemble cohérentes sont donc nécessaires, pour répondre à Macron 2. Ces exigences résumées ci-dessous rassemblent ce que pourra être la transition vers un monde nouveau, vivable, solidaire, démocratique. Où les travailleurs et travailleuses auraient à la fois la dignité des droits acquis et le pouvoir de décider. Tout le contraire du macro-libéralisme autoritaire et méprisant.
MESURES d’URGENCES POUR L’ACTION
*L’augmentation des salaires, c’est une prise de pouvoir sur la richesse ! Il faut réhabiliter les salaires, et pas des primes de « pouvoir d’achat ». Le droit au salaire confère un statut et un pouvoir sur l’économie. Avec des « primes », des rabais, des artifices, le sentiment d’appauvrissement ne s’arrête pas : celles et ceux qui produisent la richesse sont réduits à des agents économiques, donc méprisés. Le salaire étendu à la part socialisée, structure le monde du travail comme force collective.
* Nous exigeons donc un SMIC digne, tel que revendiqué par le syndicalisme de lutte : 1500 euros nets (ou 2000 euros bruts). C’est plus qu’un « coup de pouce », pratique disparue depuis qu’une commission technocratique, mise en place par Sarkozy et chargée d’éclairer le gouvernement, conclut à chaque fois : pas de coup de pouce ! C’est donc une vraie décision politique.
* Mais cela entraine une réforme : toutes les grilles de salaires de toutes les branches doivent débuter avec ce minimum. Or ce n’est pas le cas de 85% de celles-ci, avec la hausse légale du SMIC en mai 2022.
* Tous les salaires doivent être revalorisés. Objection entendue : un gouvernement n’a pas ce pouvoir légal. Certes. Pourtant on s’est trop habitués à ce que les gouvernements, depuis des décennies, subventionnent les cotisations sociales, c’est-à-dire le salaire social qui devrait être payé par les entreprises, et qui l’est par l’impôt (exonérations) ou par la CSG (devenu un quasi-impôt). Donc les pouvoirs publics peuvent agir. Ils pourraient par exemple conditionner toutes les aides, à l’emploi garanti, mais aussi au relèvement des grilles de salaire.
* Le syndicalisme doit être respecté et écouté. Il représente le monde du travail. L’élection politique ne peut pas tout. La démocratie est aussi sociale, citoyenne, populaire.
* Pour une conférence sociale entre pouvoirs publics, syndicats, entreprises, précédée d’un droit de réunion des salariés-es pour mettre à jour les exigences en salaire et conditions de travail. Ainsi cette conférence sociale aurait un poids politique, sous pression populaire.
* Egalité salariale femmes/hommes : revalorisation des grilles de salaires dans les métiers dits « féminins », valorisation des qualifications dans les métiers de soins, de contacts humains (ou care), obligation de résultat dans les négociations, sanctions (par exemple dans l’accès aux marchés publics), renforcement de l’inspection du travail…
* Le gouvernement a un pouvoir direct sur les salaires de la fonction publique : Etat, hôpitaux, territoires. Cela donne une direction générale. Les services publics doivent devenir une propriété commune de toute la population. Or les salaires y sont totalement bloqués depuis 10 ans. Les syndicats réclament au moins 10% d’augmentation pour rattraper les pertes.
* Retour à l’indexation des salaires sur les prix, ce qui consolide le pouvoir salarial. Et nécessite des négociations régulières entre pouvoirs publics et syndicats, ainsi qu’un instrument de mesure des prix et du niveau de vie associant une pluralité d’acteurs : INSEE, ministère, expertise syndicale.
* Rétablissement du « principe de faveur » et de la « hiérarchie des normes » dans les négociations. Primauté de la loi et des branches sur les entreprises. Abrogation de la loi El Khomri et des ordonnances Macron.
* Abrogation de la contre-réforme d’assurance-chômage, refusée par tous les syndicats et associations de chômeurs.
* Pour des allocations sociales basées sur les salaires : un RSA indexé, étendu aux 18- 25 ans, une indemnisation des chômeurs et un droit à la retraite indexés sur l’évolution des salaires (et pas seulement les prix).
* Mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation, financée par des cotisations, ouvrant un droit à un panier alimentaire équilibré, directement en lien avec des marchés paysans, des zones de maraichages urbains.
* Accès gratuit à un volume de biens communs de première nécessité : mètres cubes d’eau, alimentation électrique de base, blocage des loyers, transports gratuits pour les jeunes, les chômeur-euses, l’accès au travail.
* Planification de la bifurcation écologique assise sur des droits collectifs solides : pour un plan de transformation de la production, en circuit court, déconnectée progressivement des marchés mondiaux, agriculture agroécologique avec création massive d’emplois attractifs et bien rémunérés (avec des prix garantis), protection thermique des bâtiments, infrastructures massives de transports publics pour limiter le « tout automobile », encouragement aux transports doux (vélo, pistes cyclables sécurisées) et au covoiturage.
* Vers une consommation d’énergie 100% renouvelable, incitant aux productions autosuffisantes en zones rurales, économes en zone urbaine (suppression des publicités agressives par exemple), et visant la sortie du nucléaire.