Les sans papiers et leurs soutiens en lutte dans la cadre de la campagne « Contre le Travail dissimulé – Pour la régularisation de tous les sans-papiers »
En décembre 2014, plusieurs collectifs de sans papiers ( Coordination des sans papiers du 93, Collectif des travailleurs sans papiers de Vitry, Collectif des sans papiers du 75), l’association Droits devant !! et l’intersyndicale du ministère du travail (CGT, SUD, FSU) font les constats suivants sur l’application de la circulaire Valls de novembre 2012 qui encadre la régularisation des sans papiers :
Cette circulaire, même si elle permet des régularisations, contraint les sans papiers et leurs soutiens à se battre au cas par cas auprès de leur préfecture respective et ce au détriment d’une lutte collective
La politique migratoire de Hollande est dans la continuité de l’immigration choisie de Sarkozy et le nombre de régularisations est immuable : autour de 30000 par an
Chaque organisation de sans papiers a arraché des régularisations mais la situation du plus grand nombre (300 à 400000 sans papiers) n’a pas changé. L’objectif d’une régularisation massive n’est plus porté concrètement par le mouvement des sans papiers
Forts de ces constats et conscients de l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement, les sans papiers et leurs soutiens souhaitent fédérer le plus grand nombre de sans papiers au travers d’une campagne qui ouvre à nouveau un espoir et une perspective crédibles en vue de la régularisation globale des sans papiers.
Quelle campagne ?
Dans le cadre de la circulaire Valls du 28 novembre 2012, un sans papier pour obtenir sa régularisation par le travail doit fournir des fiches de paye et un contrat de travail ou une promesse d’embauche sous la forme d’un document administratif tamponné par un employeur. La délivrance d’un titre de séjour est donc soumis au bon vouloir d’un patron lequel voit son pouvoir sur le salarié sans papier étendu au-delà la simple relation de travail, exerçant un contrôle sur sa liberté de circulation sur sa capacité à se loger, à se soigner… De plus, les sans papiers contraints de travailler sans être déclarés sont dans l’incapacité de fournir des fiches de paye pour obtenir leur régularisation. Ils sont pourtant de plus en plus nombreux à subir cette situation du fait de la crise et du comportement peu scrupuleux de certains patrons. L’objectif de la campagne intitulée « Contre le Travail dissimulé– Pour la régularisation de tous les sans-papiers» est de faire connaître et dénoncer cette situation, de créer un rapport de forces suffisant pour imposer aux pouvoirs publics la prise en compte de cette situation inique et d’y trouver les solutions, ce qui passe par la régularisation des concernés.
Comme dans les autres luttes, gagner sur ce terrain créera une nouvelle dynamique et rouvrira un champ de perspectives aux autres sans papiers.
Cette campagne concerne donc tous les sans papiers qu’ils aient ou pas des fiches de paie et quelque soit leur temps de présence en France.
C’est en repassant a l’offensive, tous ensemble, que le mouvement des sans papiers peut à nouveau s’imposer dans l’agenda du gouvernement.
Les sans-papiers entre surexploitation et racisme.
La question des sans papiers est emblématique des enjeux de classe, comme rapport salarial soumis à une forte exploitation et de « race », du fait des métiers particuliers très pénibles (BTP, nettoyage, restauration,..) auxquels ceux-ci sont cantonnés et à la réglementation d’exception à laquelle ils sont soumis du fait de leur statut d’immigré extra-européen très majoritairement post-coloniaux.
Les sans-papiers sont un cas d’école du racisme institutionnel dont ils sont victime à travers les textes législatifs particuliers qui régissent leur situation administrative (Ceseda + mesures discriminatoires insérées dans le code du travail) , et bride leur liberté de mouvement dans l’espace public, en plaçant leur employeur déjà détenteur du pouvoir patronal à leur égard, en rouage clé de la procédure de régularisation administrative.
Conduite de la campagne « travail dissimulé »
En février 2015, la plateforme commune des organisations de la campagne adopte une stratégie claire en exigeant du Ministère du Travail qu’il agisse pour mettre un terme au travail dissimulé auquel sont contraints les sans papiers, afin que ces travailleurs rentrent dans leurs droits.
Le 6 mars 2015, un rassemblement devant le ministère du travail est organisé et une délégation de la campagne est reçue.
Le 17 avril 2015, plus de 500 sans papiers manifestent à la Confédération Générale Des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME) pour dénoncer leur maintien dans l’illégalité ce qui permet à des patrons peu scrupuleux de les exploiter par le travail dissimulé et leur interdit tout espoir de régularisation.
Le 23 octobre 2015, les sans papiers manifestent au syndicat national des hôteliers, des restaurateurs, des cafetiers et des traiteurs (SYNHORCAT). Une délégation de la campagne est reçue qui exige de ce syndicat l’envoi d’une directive à toutes ses entreprises adhérentes pour que les patrons concernés délivrent une promesse d’embauche à tous les travailleurs sans papiers qui se seront déclarés. Le SYNHORCAT rédige bien une circulaire mais « oublie » de parler de la réalité des sans papiers en situation de travail dissimulé !
Le 9 novembre 2015, est organisée à la bourse du travail une journée d’échanges entre les agents du ministère du travail et les sans papiers qui n’ont pas l’habitude de se rencontrer. Beau succès avec environ 130 personnes dont 40 agents de l’inspection du travail.
Le travail de l’année 2015 permet aux organisations de la campagne de consolider le cadre unitaire et d’aboutir à des revendications partagées pour les actions futures :
Tout travailleur sans papier doit être régularisé sur simple preuve de relation de travail, sans condition de durée, ni de séjour, ni d’emploi
L’inspection du travail doit être dotée d’un pouvoir de régularisation sur simple constat d’une relation de travail
Abrogation de la taxe OFII
Les organisations de la campagne constatent que les premières actions ont permis de relancer une dynamique des sans papiers mais ne sont pas suffisantes pour imposer une véritable négociation avec les pouvoirs publics. Des modalités d’action plus « musclées » sont donc décidées :
Le 27 janvier 2016, 300 sans papiers et leurs soutiens occupent un site de l’inspection du travail, Quai de Jemmapes pour exiger une rencontre avec le ministère du travail. 8 heures d’occupation permettent d’obtenir un rendez vous le lendemain avec le cabinet de la ministre du travail qui refuse d’ouvrir des discussions avec les organisations de la campagne.
Le 29 mars 2016, près de 400 sans papiers occupent les locaux de la Direction Générale du Travail durant presque 48h. Suite à cette action, le directeur de cabinet de la ministre du travail ouvre un cycle de discussions de 4 réunions du 30 mai au 13 juin sur la base de nos revendications.
Dans un point de situation écrit du 23 juin, le représentant du ministère du travail nous fait savoir qu’il n’accède à aucune de nos revendications.
Une assemblée générale regroupant les organisations de la campagne décide de continuer la lutte et de monter de nouvelles actions dès la rentrée de septembre.
En septembre/octobre, les collectifs de sans papiers lors de discussions fraternelles mais tendues envisagent de déposer une liste d’environ 600 travailleurs sans papiers qui se sont investis depuis le début de la campagne. Ce dépôt de liste a pour objectif de procéder à la régularisation de ces sans papiers à partir des 3 revendications portées depuis 2 ans par notre campagne contre le travail dissimulé.
Le 23 novembre 2016, environ 600 sans papiers et soutiens occupent la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. Le 14 décembre 2016, un meeting à la bourse du travail de Paris est organisé par la campagne réunissant environ 250 personnes avec notamment le soutien du GISTI, Solidaires Finances, Femmes en lutte 93 et de nombreuses forces politiques (Ensemble !, PG, PCF, NPA, LO).
Suite à ces mobilisations, une délégation de la campagne est reçue au ministère du travail le 20 janvier. Le chef de cabinet du ministère nous annonce que les acteurs de la campagne seront invités très prochainement à une première réunion de travail autour de la régularisation des travailleurs sans-papiers, avec ou sans fiches de paye, en présence des 5 confédérations syndicales CGT, FO ,CFDT, CFTC, CGC. En attente de l’ordre du jour de cette réunion, la délégation fait connaître son accord. La délégation dépose la liste d’environ 600 sans papiers pour laquelle nous demandons un examen rapide en vue d’une régularisation de ces personnes sans perdre de vue nos 3 revendications centrales.
A ce jour, le ministère du travail joue la montre dans la perspective des présidentielles. Un prochain rassemblement est programmé au ministère du travail le jeudi 2 mars pour accélérer le calendrier.
Bilan provisoire
La campagne contre le travail dissimulé a permis à des sans papiers, de construire un cadre unitaire dans la durée. Les nombreuses actions menées dans le cadre de cette campagne ont redonné une visibilité politique au mouvement des sans papiers. A ce stade, dans un contexte où le rapport de forces est très défavorable aux sans papiers ( gouvernement réactionnaire, climat raciste, désunion du mouvement des sans papiers, élections présidentielles,..) aucune revendication n’a abouti. Pour autant, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder la question de la régularisation des sans papiers car ces derniers leur font savoir qu’il ne lâcheront rien et que leur lutte va continuer.
Sur le plan revendicatif, des convergences s’amorcent avec la CGT confédérale. Néanmoins des convergences fortes sur le terrain des luttes seront également nécessaires pour assurer un rapport de force susceptible de faire bouger les lignes. Il faut souligner que les grèves des sans-papiers notamment à Paris (salariés des salons de coiffure du Boulevard de Strasbourg en 2014/2015 et du chantier de l’avenue de Breteuil en 2016) ont mis à jour les même impasses que la campagne dans des cas limites (traite des êtres humains, accident du travail grave). Dans ce cadre, seule la mobilisation collective a permis de faire régulariser les grévistes.
Pierre Gayral