Alors que la société française connaît une crise économique, sociale et politique majeure, la recherche de boucs émissaires et le rejet de l’autre apparaissent comme autant de solutions de facilité, notamment pour des forces politiques qui évitent de s’en prendre à la racine des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Les tensions et le climat sécuritaire produits par l’attentat contre Charlie Hebdo et les meurtres antisémites commis à l’Hypercasher ont accentué cette tendance.
Le Front National de Marine le Pen s’est fait une spécialité de désigner les immigré-e-s et les musulman-e-s comme des menaces qu’il faudrait combattre. L’agitation d’une dangereuse « islamisation » est devenue une la forme « acceptable » du racisme pour la plupart des forces d’extrême droite dans toute l’Europe. La droite française s’efforce depuis des années de concurrencer le FN sur son propre terrain. Nicolas Sarkozy en particulier est revenu à la tête de l’UMP en multipliant les déclarations contre les repas de substitution à la cantine ou les propos islamophobes (« Nous ne voulons pas de femmes voilées dans République »). Au sein de certaines forces de gauche, notamment au Parti Socialiste et chez les Radicaux de gauche, la tentation existe de suivre la droite sur ce terrain. Ainsi, la Secrétaire d’État aux Droits des Femmes, Pascale Boistard s’est prononcée récemment contre le port du voile à l’université, reprenant ainsi une proposition de certain-ne-s député-e-s UMP. Les Radicaux de gauche ont de leur côté déposé une proposition de loi visant l’interdiction du port du voile dans les crèches privées (dont l’examen au Parlement a été reporté de mars à mai 2015).
Ces propositions de nouvelles mesures législatives ne peuvent que renforcer la stigmatisation des musulman-e-s et encourager les actes islamophobes, qui aujourd’hui frappent en particulier les femmes qui portent le voile. L’interdiction du port du voile à l’université serait une mesure discriminatoire visant des personnes en fonction de leur religion et priverait d’accès à l’enseignement, et donc à une plus grande autonomie, de nombreuses femmes. L’interdiction du port du voile pour les personnels des crèches privées constituerait une stigmatisation supplémentaire des musulmans et ne ferait qu’entraîner une multiplication des conflits dans les structures associatives concernées. De plus la conséquence d’une telle interdiction serait d’encourager la création de crèches confessionnelles musulmanes et d’affaiblir le service public de la petite enfance. L’effet inverse de ce qui est annoncé ! Plutôt que de légiférer sur ce sujet, il faut s’appuyer sur la capacité des personnels des crèches privées de répondre au mieux aux besoins des enfants dont ils et elles ont la charge. Pour cela le gouvernement ferait mieux de dégager des moyens suffisants pour assurer les besoins de formation des personnels, la création d’un véritable service public de la petite enfance (comme le réclame depuis des années le collectif « Pas de bébé à la consigne »). Mais cela suppose de sortir du carcan de l’austérité… Ce qui nécessite un peu plus de courage politique que d’agiter la peur de l’islam. De plus le fait que les interpellations politiques et les violences physiques ou symboliques aient pour même cible les femmes musulmanes est notable. Ces projets ne sont pas seulement islamophobes, ils sont de fait sexistes et discriminatoires envers les femmes.
Ces projets islamophobes prétendent s’appuyer sur le principe de laïcité. Or, la laïcité qui s’appuie sur la loi 1905 organise la liberté de conscience et la coexistence pacifique des croyant-e-s et des non-croyant-e-s. Elle est l’une des conditions rendant possible une société réellement égalitaire. Elle contribue à surmonter les tentatives de division entre les différentes catégories d’opprimé-es et d’exploité-es. Elle suppose la neutralité de l’État et des services publics afin de garantir l’égalité de traitement des citoyen-ne-s et des usagers, mais elle ne doit pas viser à mettre les religions « hors de l’espace public ». Les enseignant-e-s et d’autres agents des services publics dans l’exercice de leurs fonctions, ont un devoir de neutralité religieuse (qui implique l’absence du port de signes religieux). Ils doivent traiter chacun-e de façon égale quelles que soient les opinions religieuses des publics auxquels ils et elles font face.
Il faut sortir de la spirale mortifère qui empoisonne les débats en France depuis des années. Il faut apaiser les questions religieuses pour redonner toute leur place aux questions démocratiques et sociales. Les pressions sociales ou d’institutions religieuses exigeant des femmes qu’elles portent le voile constituent un moyen de perpétuer des rapports de domination entre hommes et femmes que nous combattons. Mais il est loin d’être le seul, tant aujourd’hui les droits des femmes sont menacés par le sexisme et le machisme « décomplexés », la montée en puissance des discours réactionnaires et la marchandisation du corps de femmes. Et ce n’est pas en stigmatisant les femmes qui portent le voile que ce combat nécessaire progressera.
Antiraciste et féministe, Ensemble! défend l’émancipation de toutes les femmes contre toutes les politiques d’exclusion et d’enfermement, contre l’exploitation, le patriarcat, les assignations de genre et entend contribuer à un front large contre l’islamophobie et tous les racismes
L’Equipe d’Animation Nationale d’Ensemble, le lundi 20 avril 2015