Les derniers mois ont montré la volonté d’EDF d’accélérer la fuite en avant du nucléaire. L’entreprise a arraché de justesse un accord avec le gouvernement britannique pour construire deux EPR à Hinckley Point en collaboration avec le constructeur chinois China General Nuclear Power (CGNP) d’ici à 2025. Coût estimé : 18 milliards de livres (23 milliards d’euros), afin de fournir 7 % de l’électricité britannique. Le prix d’achat fixé de l’électricité dans cet accord est de 92,5 livres (108 euros) le mégawatt pendant 35 ans, soit un prix supérieur à toutes les sources de production électrique dans ce pays. Cela est un élément clé de la tentative de réorganisation de la filière nucléaire, les profits générés étant censés éviter la faillite du nucléaire français.

Cela ouvre également la voie à l’accord entre EDF et Areva de façon à ce qu’EDF rachète le pôle « réacteurs et services » d’Areva, autrement dit qu’il devienne l’opérateur essentiel dans la construction des réacteurs et recapitalise Areva pour lui éviter la faillite totale.

L’Etat contribue directement à recapitaliser ces entreprises dont il est actionnaire : 3 milliards pour EDF, 5 milliards pour Areva, payés par les contribuables.

Du côté des salariés, l’austérité se traduit par 3500 suppressions de postes au minimum pour la période 2016-2018 et l’entreprise cherche à faire d’autres économies, en rognant sur les salaires et en réduisant les effectifs, accentuant d’autant plus les risques d’accident.

L’EPR est le symbole de cette faillite : après la dizaine d’années de retard sur le chantier du 1er EPR, en Finlande, celui de Flamanville accuse un retard de 6 ans. Se lancer dans de nouvelles constructions en Grande Bretagne est un pari plus que risqué. Les problèmes sur les autres chantiers montrent la non-rentabilité de tels choix et les dangers afférents : à Flamanville, le coût initial était estimé à 3,3 milliards pour une durée de 5 ans. On en est aujourd’hui à une évaluation de 10,5 milliards d’euros, pour un démarrage au plus tôt en 2018. L’ambition d’obtenir un kwH bon marché grâce à l’EPR de Flamanville apparait de plus en plus comme une chimère ; les dirigeants d’EDF ne peuvent désormais plus se cacher derrière l’argument économique.

Les problèmes économiques de l’entreprise sont d’autant plus accentués par le vieillissement du parc. Si se manifeste la volonté de les faire perdurer le plus longtemps possible, EDF, bien que criblée de dettes, doit néanmoins investir près de 100 milliards d’euros dans les années à venir pour assurer ce prolongement de vie des réacteurs, alors qu’à la fin de 2016, trois quarts des réacteurs français auront atteint la limite d’âge d’exploitation prévue initialement.
Par ailleurs, le rapport de 2015 de l’Autorité du Nucléaire en 2015 a montré les risques dus à la capacité de résistance aux chocs du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville.

La situation d’EDF et sa fuite en avant dans le nucléaire est dénoncée y compris dans ses propres rangs. En juillet dernier, un membre du conseil d’administration nommé par l’État, Gérard Magnin, démissionne en expliquant qu’alors que « la diversification énergétique est partout à l’ordre du jour dans le monde et que les entreprises énergétiques opèrent des changements parfois radicaux, le centre de gravité d’EDF se déplace encore davantage vers le nucléaire. Depuis les décisions imminentes relatives au projet très risqué d’Hinkley Point à la reprise d’AREVA NP qui fera d’EDF un fabricant de réacteurs, de la poursuite sans questionnement de la coûteuse stratégie de retraitement des déchets à l’affirmation que tous les réacteurs du palier 900 MW verraient leur durée de vie prolongée à 50 ans ou plus, tout semble aller dans le même sens. ». Au début de l’année, c’était le directeur financier d’EDF qui avait lui aussi démissionné pour marquer son opposition au projet d’Hinckley Point.

Le gouvernement confirme la vision partagée avec EDF de la poursuite du nucléaire. La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) censée traduire les objectifs de la loi de transition nucléaire montre à quel point il s’agit surtout de maintenir en l’état le parc existant. L’objectif officiel de 50 % de nucléaire dans la production total d’électricité en 2025 nécessiterait de planifier la fermeture d’un certain nombre de réacteurs ; la Direction Générale de l’Énergie et du Climat avait d’ailleurs signalé en 2014 qu’à l’horizon 2025, une vingtaine de réacteurs ne seraient pas nécessaires. Or jusqu’à maintenant, seule la fermeture de Fessenheim semble envisagée, bien que des certitudes pèsent encore sur la date à laquelle pourrait intervenir cette fermeture. De plus raisonner en part du nucléaire à faire réduire est absurde car en cas d’augmentation de la production de consommation énergétique, la quantité produite par le nucléaire ne diminue pas. Bien entendu, le gouvernement ne se prononce jamais sur la diminution de la puissance installée et envisage de parvenir à réduire la production électrique d’origine nucléaire grâce aux arrêts ponctuels de réacteurs pour réparation, c’est-à-dire sans n’en fermer aucun.

Autant dire que face à ce soutien sans faille du gouvernement au nucléaire et aux orientations d’EDF, le camp antinculéaire, dans toute sa diversité, ne peut que se remettre en marche. On a vu cet été les points marqués à Bure par les opposants au projet Cigeo. En octobre, c’est à Flamanville que la mobilisation se déplace les 1er et 2 octobre pour exiger l’arrêt du chantier de l’EPR, l’arrêt des centrales de plus de 30 ans et défendre la sortie du nucléaire (Voir l’appel)

Le succès de la mobilisation de Flamanville, préparée par un collectif regroupant des groupes membres du réseau Sortir du Nucléaire et des groupes qui n’en sont pas membres, peut aussi contribuer à la reconstruction d’un mouvement antinucléaire unitaire, indispensable pour vaincre ce lobby tentaculaire, à un moment de crise de l’industrie nucléaire.

Vincent Gay