Ou comment François Hollande et ses gouvernements participent à la construction d’une hégémonie culturelle de droite extrême…

Benoit Hamon, ministre de l’Education nationale, va probablement officialiser début juillet l’abandon des « ABCD de l’égalité »1, programme destiné à former les enseignant-e-s à la question de l’égalité filles-garçons et à leur donner des outils pédagogiques, au prétexte d’un « climat de nervosité » sur le sujet. Bien entendu, cette capitulation en rase-campagne ne sera pas présentée comme telle mais comme une réorientation des politiques sur un « sujet qui reste prioritaire ». Pourtant, il s’agit bien d’une capitulation, les « ABCD de l’égalité » étant devenu le symbole de la « soi-disant théorie du genre » pour tout ce que la France compte de Farida Belghoul et autre croisé-e-s de l’inégalité femmes/hommes. Cette nouvelle concession incite à revenir sur près de deux ans de renoncements sur les « questions de société » à travers deux séquences politiques, moments majeurs dans la construction d’une hégémonie culturelle de droite extrême en France.

Première séquence : « mariage pour toutes et tous » et PMA pour les couples de femmes.

9 octobre 20122, Jean-Marc Ayrault , alors premier ministre, annonce que le projet de loi sur le mariage et l’adoption pour tous/toutes sera présenté en conseil des ministres à la fin du mois d’octobre 2012 mais ne comportera rien sur la PMA pour les couples de femmes, repoussant d’éventuelles propositions à une éventuelle « loi famille ». Un certain nombre de parlementaires de la majorité expriment alors leur souhait de maintenir la PMA dans la loi. Le 17 novembre 2012, plusieurs dizaines de milliers de manifestant-e-s, de droite et d’extrême droite, manifestent à Paris contre le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels. Trois jours plus tard, François Hollande fait référence à « la liberté de conscience » des maires qui ne souhaiteraient pas pratiquer eux-elles mêmes des mariages de couples homosexuels. En une phrase sibylline, énoncée à l’origine dans un « souci d’apaisement » et que François Hollande s’empressera de « retirer » le lendemain face au tollé, le président de la République vient de légitimer les idées des adversaires de l’égalité des droits, les partisan-e-s de l’inégalité aux idées réactionnaires, homophobes, sexistes et bien souvent racistes. Suivront plusieurs mois de manifestations et une radicalisation du mouvement contre le mariage pour toutes et tous à partir du mois d’avril avec l’émergence du « Printemps français ». Entre temps, après plusieurs mois de tergiversations et de signaux contradictoires, la PMA sera définitivement sortie du texte de loi et renvoyée à une « loi famille » promise pour 2013. Le texte sera finalement voté le 23 avril et promulgué le 18 mai 2013.

Quelles conclusions tirer de cette séquence politique ? Cette victoire législative s’est transformée progressivement en défaite idéologique et culturelle. L’attitude incohérente de François Hollande, comme du gouvernement dans son ensemble, a ouvert une voie royale à la droite extrême et à l’extrême droite qui ont su tirer parti des faiblesses idéologiques et des divisions de la majorité sur les sujets de société, avec d’ailleurs une grande maîtrise des réseaux sociaux et de la communication. Durant cette pathétique période, une seule voix a su être à la hauteur du combat idéologique, portant un discours clair et intelligent au Parlement, ce qui se fait rare, sur l’égalité des droits comme valeur non négociable : celle de Christiane Taubira, alors confrontée à un déchaînement raciste et sexiste contre sa personne.

Deuxième séquence : « loi famille » et « théorie du genre ».

2 février 2014 : nouveau rassemblement de la « manif pour tous » à Paris qui réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes. Le lendemain, le gouvernement renonce à une grande « loi famille »3 pour 2014 et insiste tout particulièrement sur l’absence d’amendements sur la PMA. Les arguments sont toujours les mêmes : il faut jouer « l’apaisement » ; les questions de société sont secondaires et l’urgence ce sont les questions économiques. On imagine sans peine chez certains membres du gouvernement et parlementaires des raisons beaucoup moins avouables. Le 27 avril 2014, quelques semaines après sa nomination comme premier ministre, Manuel Valls enterre définitivement tout débat sur la PMA avant 2017. Après plusieurs reculades, ce qui reste de la « loi famille », centrée sur les questions d’autorité parentale, n’est toujours pas voté. Mi-juin 2014, le vote a encore été repoussé.

Parallèlement au renoncement du gouvernement sur la « loi famille », le débat va se déchaîner sur la soi-disant « théorie du genre » et son enseignement à l’école. 26 janvier 2014 : manifestation du « jour de colère »4, rassemblement hétéroclite de mouvements de droites radicale et intégriste. Le lendemain, une « journée de retrait de l’école » est organisée en France par Farida Belghoul5, une proche de Soral et Dieudonné, touchant particulièrement certains quartiers populaires. Tous les motifs sont bons pour inciter les parents à ne pas mettre leurs enfants à l’école : lutter contre l’enseignement d’une mystérieuse « théorie du genre » dans les établissements scolaires, contre la pratique de la masturbation en maternelle et contre la promotion de l’homosexualité, attaques qui se focalisent tout particulièrement sur les « ABCD de l’égalité ».

Face à cette mobilisation nouvelle d’une extrême droite aux relents « néofacsistes », le ministre de l’Education d’alors réagit par le renoncement le plus lâche : censure du mot « genre » dans les textes officiels, annulation de conférences portant sur le genre en milieu scolaire6. Mais surtout, M. Peillon dit « refuser la théorie du genre » en pleine Assemblée nationale et assure les parents qu’elle n’est pas enseignée. Plutôt que de combattre pied-à-pied les élucubrations de Mme Belghoul en réaffirmant l’ignorance crasse de celles et ceux qui font campagne sur une inexistante « théorie du genre » et la nécessité de lutter contre les stéréotypes de genres, le gouvernement a donc décidé, une fois encore, de légitimer les mots et donc le combat des adversaires de l’égalité.

Pierre Tevanian a bien montré comment le renoncement s’était opéré dans un acte politique à la distribution des rôles savamment genrée7 : des caciques du PS, des hommes « blancs » évidemment et d’un certain âge, qui rappellent quelques femmes, parfois jeunes, moins « blanches » et un peu trop sûres d’elles, au « bon sens bien d’chez nous » : ainsi Julien Dray et son mémorable « on n’est pas des Nordiques ! » qui lui permet, dans une interview8 qui mériterait une analyse approfondie, d’expliquer que « le père et la mère, ces choses là », c’est quand même important et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi.

Et enfin, pour achever cette séquence politique, véritable modèle de ce qu’il ne faut pas faire, les « ABCD de l’égalité » vont être enterrés, là encore parce que face à la « nervosité » il faut jouer l’apaisement, nouveau nom donné au renoncement dans le langage gouvernemental du « hollandisme ». Aujourd’hui , Farida Belghoul crie victoire contre les ABCD de l’égalité sur son site9, clame avoir eu leur peau grâce à la mobilisation et appelle à des ABCD de la complémentarité !

Depuis maintenant près de deux ans, François Hollande et ses gouvernements successifs ont accumulé les renoncements et les reculades idéologiques dans le domaine de la lutte pour l’égalité des droits. Les débats, discours et décisions autour du mariage pour toutes et tous, de la PMA, de la « loi famille » ou des stéréotypes de genres sont des modèles de capitulation idéologique sur les questions de société. Tout aussi symptomatiques sont les reculades progressives qui enterrent la promesse présidentielle sur le droit de vote des étranger-e-s aux élections locales aux motifs, là aussi, de jouer l’apaisement pour ne pas diviser les français-es et de se concentrer sur ce qui est réellement urgent. Tant de renoncements qui participent à la construction d’une hégémonie culturelle de droite extrême basée sur l’inégalité entre les sexes, entre les cultures, entre les « races » pour certain-e-s. Tout cela rend encore plus urgent de prendre à bras le corps la question de la construction de l’hégémonie de la gauche de transformation de la société et d’un imaginaire collectif qui sache faire rêver en proposant un projet commun centré autour de l’idée de l’égalité de toutes et tous.

Florence Ciaravola et Arthur Leduc

1Voir l’article de Lucie Delaporte sur Mediapart, du 21 juin 2014 : http://www.mediapart.fr/journal/france/210614/abcd-de-legalite-les-obscurantistes-ont-gagne

2La chronologie a été établie à partir de l’excellent dossier de Mediapart « Le Mariage pour tous » : http://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/le-mariage-pour-tous-enfin

3Voir l’article de Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix sur Mediapart du 3 février 2014 : http://www.mediapart.fr/journal/france/030214/la-droite-reac-fait-plier-le-gouvernement

4Voir l’article d’Ellen Salvi, Nicolas Serve et Marine Turchi sur Mediapart du 26 janvier 2014 : http://www.mediapart.fr/journal/france/260114/ultras-racistes-et-xenophobes-defilent-paris

5Voir l’article de Lucie Delaporte et Rachida El Azzouzi sur Mediapart du 31 janvier 2014 : http://www.mediapart.fr/journal/france/310114/farida-belghoul-itineraire-dune-marcheuse-perdue

6Voir l’article de Lucie Delaporte sur Mediapart du 6 février 2014 : http://www.mediapart.fr/journal/france/060214/circulaires-manuels-livres-les-ministeres-censurent-le-mot-genre?page_article=2

7Voir l’article « On n’est pas des nordiques ! » de Pierre Tévianan sur le site du collectif « Les mots sont importants » : http://lmsi.net/On-est-pas-des-Nordiques

8Voir la vidéo de l’interview du 4 février 2014 sur BFMTV : http://www.youtube.com/watch?v=d0ptLIYr8xA

9Voir le site des « journées de retrait de l’école » : www.jre2014.fr