Le groupe Auchan veut construire au sud-ouest de l’aéroport de Roissy, le long de l’autoroute A1, dans le Triangle de Gonesse (95)  « EuropaCity ». Ce gigantesque espace commercial s’étendrait sur 80 hectares de terres (qui ne seraient plus cultivées) et comprendrait 230 000 mètres carrés de commerces, 150 000 de surfaces pour les loisirs (piste de ski, centre aquatique, etc.) et 50 000 dédiés à la « culture » (salles de spectacle, halls d’exposition, etc.), mais aussi des hôtels, des restaurants, des espaces de congrès, etc. Ce projet dépasse toutes les limites dans l’inutilité et la fatuité.

Comme la loi l’impose, une commission particulière du débat public (CPDP) a, du 15 mars au 13 juillet 2016, organisé le débat et fait en sorte que tous les avis s’expriment. À son issue, la commission publie un rapport qui fait la synthèse de la procédure. Pour le promoteur, il lui reste à décider s’il continue et dans quelles conditions. C’est fait. Le 12 septembre, jour de la publication du rapport de la commission, le directeur du projet EuropaCity faisait part de sa volonté de poursuivre et de présenter une nouvelle mouture en décembre prochain. Il affirme vouloir prendre « acte de la richesse des points de vue exprimés lors de ce débat, qu’ils soient positifs ou négatifs, favorables ou critiques » et « faire évoluer ce projet, l’adapter à ce qui a été dit pendant quatre mois. » On verra bien…
Ce qu’il y a d’intéressant dans les conclusions du rapport de la commission c’est qu’elles expriment d’une manière particulièrement limpide les clivages économiques et sociaux attachés à ce type de projets inutiles et imposés.
Et le président de la CNDP Christian Leyrit d’expliquer que le débat suscité par EuropaCity a amené « beaucoup de questions relatives au modèle de société qu’il représente […] De nombreuses personnes ont été frappées par le gigantisme du projet : pour certains, c’était une raison de s’y opposer, mais pour d’autres, parmi lesquels le maître d’ouvrage, c’était au contraire l’enjeu de sa réussite. » Quand Auchan avance un projet « en phase avec la révolution des modes de vie, qui permet d’offrir en un même lieu des activités commerciales, culturelles et de loisirs, des participants dénoncent le développement d’un consumérisme effréné ».

Les conclusions du rapport enfoncent le clou.

« Il [ce débat] a mis face à face deux visions de la société aux antipodes l’une de l’autre : en forçant un peu le trait, d’un côté une société qui s’affranchirait de la course à la consommation pour aller vers davantage de sobriété et s’engagerait vers une transition écologique et énergétique, de l’autre une société attachée aux modes de vie urbains ou aspirant à y avoir accès, mais taraudée par le chômage, et pour laquelle seul un modèle plus classique de croissance et de développement économique permet d’apporter des solutions durables.

Ces deux philosophies sont apparues d’autant moins conciliables que les très importants montants financiers en jeu, apportés par une entreprise privée aux filiales multiples, associée à une entreprise chinoise, fournissaient l’occasion d’ouvrir des polémiques opposant, selon certains, l’intérêt collectif qui ne devrait pas être contraint par des préoccupations d’équilibre financier (au moins en ce qui concerne la culture) et la recherche du profit, qui serait structurellement incompatible avec une utilité sociale. »

La commission note enfin que les « rapports publics/privés » participent à ce clivage. Ce projet « privé » se situe dans une ZAC publique (portée par l’établissement public Plaine-de-France) et va bénéficier d’aménagements financés par le contribuable : voirie de la ZAC, échangeur avec l’A1, gare sur la ligne 17 du réseau Grand Paris Express, mise à disposition du foncier viabilisé, etc. La commission s’étonne à ce sujet du refus des signataires de rendre public le contenu du protocole signé en septembre 2015 entre l’aménageur (l’EPA) et le maître d’ouvrage (Auchan) : il serait couvert par le « secret des affaires ». D’où l’impossibilité de connaître le montant des fonds publics mis en œuvre (estimés pourtant à 1 milliard d’euros) ainsi que les obligations (ou leur absence) qui lieraient les deux partenaires. Ce qui laisse penser que l’on est loin « d’un projet entièrement privé contrairement à ce qu’affirmaient le maître d’ouvrage et certains partisans… »

Effectivement, dans ce type de projet et de débat qui l’encadre (et quels qu’ils soient, hier CDG-Express, aujourd’hui EuropaCity), systématiquement deux visions s’affrontent. Une, libérale, où la course aux profits est le moteur, la mise en compétition un moyen et l’enrichissement une vertu, mais qui va droit dans le mur, en raison des limites mêmes des ressources de notre terre et des dégâts sociaux qu’elle engendre. L’autre, plus respectueuse, mettant en avant une société plus sobre, plus solidaire, où l’homme et la planète ne sont plus des variables d’ajustement du système.

René Durand