La défense des libertés est devenue le sujet le plus brûlant de la période (1)

Il est à craindre que le temps des émotions passé (en particulier les déclarations de Darmanin et Borne s’en prenant à la LDH), l’urgence de cette lutte ne se perde dans l’actualité. Les forces qui luttent pour l’émancipation devraient prendre en compte cette dimension essentielle du combat pour un changement de monde.

Pourtant, le sujet continuera d’être « brûlant » comme le dit cette tribune « La défense des libertés est devenue le sujet le plus brûlant de la période » – signée du président de la LDH, Patrick Baudouin, et de ses présidents et présidente d’honneur : Henri Leclerc, Jean-Pierre Dubois, Pierre Tartakowsky, Françoise Dumont et Malik Salemkour – qui est parue dans Le Monde du 3 mai 2023. Faire des libertés et de la démocratie un axe central, c’est répondre à la fois au néolibéralisme autoritaire et aux fascistes tout en prenant en compte les aspirations démocratiques de la société.

Combattre la répression au nom de la démocratie

Aujourd’hui, défendre les libertés et les victimes de la répression, lutter contre les discriminations et les mesures racistes, combattre l’extrême droite et la progression de ses idées dans le débat public, tous ces combats sont encore trop peu reliés à celui pour la démocratie. Au gré des initiatives de nos adversaires, nous dénonçons à juste titre la violence policière ou les lois contre les migrant·es, comme si c’étaient des problèmes particuliers qui n’ont pas de lien avec la citoyenneté et la démocratie.

Pourtant, la stratégie du maintien de l’ordre reposant sur les interdictions préfectorales et sur la militarisation dessine un rapport des citoyen·nes à l’État fort peu conforme à la démocratie.  Il existe bien peu de contrôle sur des dispositions auxquelles les citoyen·nes passif·ves sont contraint·es « d’obéir » ; l’arbitraire des actes des pouvoirs publics échappant largement au débat démocratique.

Les migrant·es sont réduit·es à leur étrangeté qui justifie des mesures d’exception telles que l’internement administratif. Les restrictions au droit d’aller et venir ne sont pas soumises à un débat public, l’Europe forteresse non plus. La vision du monde véhiculée par le « danger migratoire » n’a jamais été débattue. Une majorité refuse pourtant l’intolérance et est prête à décider le droit de vote pour les étrangers. Cependant, la politique mise en œuvre s’appuie sur des discours minoritaires. C’est ce que montre « Les Essentiels du Rapport 2021 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ». Ce déni de démocratie n’est jamais mis en avant.

Contre la répression des mouvements sociaux, des migrant·es, le premier principe à évoquer est celui de l’exigence d’un contrôle citoyen des agents de l’État, en s’appuyant sur les principes édictés par les déclarations des droits. Ceux-ci sont trop largement qualifiés de formels  : les droits fondamentaux ne seraient que des éléments « décoratifs » de l’État démocratique bourgeois et leur place serait la même dans chaque période historique. Même si cette « illusion démocratique » est réelle, on ne peut réduire les droits fondamentaux à cet aspect.

Ainsi, la Déclaration de Philadelphie de l’OIT en 1944 « d’après laquelle une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale » et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 sont des textes issus de l’expérience du fascisme et du nazisme et de la nécessité de les combattre. Il y a derrière ces déclarations une visée démocratique.

Bien sûr, les guerres coloniales et autres ont montré que les États signataires de cette déclaration ont été les premiers à ne pas les respecter.

Bien entendu, ces textes sont de plus en plus ignorés par les politiques parce que les principes qu’ils portent sont un obstacle pour un gouvernement. C’est ainsi qu’aujourd’hui, Wauquiez affiche la primauté de la loi française (y compris des lois de circonstances foulant au pied les droits fondamentaux) sur les normes européennes ou internationales. Il nous explique même qu’il faut priver la Cour européenne des droits de l’homme de sa compétence en France.

Droits et libertés sont des outils essentiels – issus de la lutte contre le fascisme, donc d’un rapport de forces entre classes différent – à ne pas réduire à l’état de souvenirs glorieux, à un sujet de dissertation philosophique ou à un vague supplément d’âme démocratique. Leur défense, pied à pied, impose des limites à l’autoritarisme et à la dérive autoritaire d’aujourd’hui qui ne peut politiquement les balayer. Nous n’avons pas suffisamment travaillé sur ce qu’est le néolibéralisme autoritaire. Il faut continuer à débattre de ses outils, de ses rapports avec l’extrême droite autrement que par des amalgames. Il faut aussi analyser ses faiblesses et ses contradictions, son incapacité à assurer une hégémonie, même sur le bloc bourgeois.

Dans l’immédiat, deux campagnes peuvent être mises en œuvre
DARMANIN DÉMISSION !

Le ministre de l’Intérieur doit vite devenir la cible de l’action contre la dérive autoritaire. Il est responsable du maintien de l’ordre, il cautionne les violences policières, il est depuis longtemps le soutien des syndicats de police, y compris dans leurs demandes factieuses contre les juges. Il s’est disqualifié par sa gestion de Sainte-Soline où il a manqué son coup médiatique. Pire, par ses attaques contre la LDH, il s’est distingué par une dérive contre les droits fondamentaux.

Son action et ses projets de loi contre les immigré·es marquent ses convergences avec l’idéologie d’extrême droite. Son discours sécuritaire discrimine des secteurs entiers de la population des quartiers populaires. Il se substitue au ministère de la Justice et à la justice pour dire le droit.

Autour de l’exigence de sa démission peuvent se rejoindre différentes luttes jusqu’à présent séparées. Mener campagne contre Darmanin c’est affaiblir la logique répressive et travailler les contradictions de la majorité présidentielle. L’autre axe (ci-dessous) participe de cette campagne.

IMPOSER LE DÉBAT SUR LE MAINTIEN DE L’ORDRE

La mise à jour des violences policières et de l’arbitraire des arrêtés préfectoraux pour interdire les manifestations, la dénonciation de consignes du parquet avalisant les actions de police, est de nature à gêner, entraver et surtout politiser dans le débat public la stratégie de maintien de l’ordre néolibérale.

Malgré les partis-pris des grands médias dans ce domaine, le pouvoir compte sur le silence pour faire rentrer dans les mœurs ce recul nécessaire des libertés. Nous avons les moyens de casser le consensus mou sur ce sujet. Le manque de proportionnalité des actions de la police – par exemple l’usage d’armes de guerre ou le nombre de grenades – est largement perçu. Il fait suite au bilan des gilets jaunes pour accréditer l’idée d’un usage trop fort de la violence.

Comme le propose la LDH, il faut mettre en place, avec le maximum d’organisations, des « observatoires du maintien de l’ordre » qui surveillent le maintien de l’ordre dans le maximum de villes, participent à la défense des victimes, à l’élaboration de revendications immédiates. Il faut agir, y compris quand nous avons affaire à des faits « mineurs » qui doivent donner lieu à dénonciation et éventuellement à plaintes.

Il faut écouter la LDH : Stop violences policières : mobilisez-vous ! Quant aux outils et aux buts de l’observatoire, ils sont explicités dans cet article sur l’Observatoire des libertés et des pratiques policières : agir pour la défense des libertés publiques. 

Ne nous faisons pas d’illusion : cela ne suffira pas à venir à bout des appareils répressifs d’État, mais c’est garder des forces, sauvegarder des personnes contre l’entreprise de démoralisation et garder des positions dans le rapport des forces. C’est aussi un moyen pour préparer le terrain d’une alternative sur laquelle il faut déjà travailler dans des assemblées citoyennes. C’est l’objet de l’article suivant.

Le 15 mai 2023
Étienne ADAM