Gilbert Achcar a donné un entretien à un média libanais. Il y revient sur le « retour de la question palestinienne ». Pour lui, la solidarité avec le peuple palestinien s’est développée malgré l’opération Déluge d’Al-Aqsa. Il dit son espoir que ce mouvement populaire se poursuive, en particulier aux États-Unis.

Déluge d’Al-Aqsa, Occident et Shoah
un entretien avec Gilbert Achcar

Par Megaphone (Beyrouth). Publié le 9 octobre 2024. Traduit de l’arabe. Interview de Gilbert Achcar1Professeur, SOAS, Université de Londres mise en ligne dans le Club de Mediapart le 11 octobre 2024.

1. L’opération Déluge d’Al-Aqsa a ramené » la question de Palestine » au centre de l’attention du monde et a exposé les préjugés inhérents à la position officielle et institutionnelle de l’« Occident », qui a non seulement soutenu Israël, mais a sacrifié également des valeurs, telles que l’objectivité journalistique, la liberté d’opinion et autres, afin de protéger le récit du gouvernement israélien, même lorsque ce dernier s’effondrait.

Par position « occidentale » ici, nous n’entendons pas tous les pays occidentaux, ni qu’il y ait une position sans objection interne ou diverses versions. Nous entendons plutôt une position qui s’est elle-même définie comme « occidentale » et a justifié ses limitations sous cet angle.

Comment les attitudes médiatiques et culturelles à l’égard du génocide en cours peuvent-elles être évaluées et expliquées ? Y a-t-il eu des changements dans ces attitudes entre l’année dernière et aujourd’hui ?

Permettez-moi d’abord de préciser ce que l’opération Déluge d’Al-Aqsa est censée avoir accompli.

Si par retour de la Palestine au « centre de l’attention mondiale », on entend la vague montante de condamnation de la guerre génocidaire menée par Israël et de solidarité avec le peuple palestinien, il serait plus exact de dire que cela s’est produit en dépit de l’opération Déluge d’Al-Aqsa plutôt que grâce à elle.

En effet, le premier impact de l’opération a été que la sympathie mondiale pour la population israélienne a atteint son paroxysme, avec une exploitation médiatique intense de ce qui s’est passé le 7 octobre – non sans exagération et même fabrication de mythes.

Toutefois, c’est la brutalité de l’assaut sur Gaza qui, en dépassant ce qui avait été observé dans toutes les guerres sionistes contre le peuple de Palestine, y compris la Nakba de 1948, a provoqué l’indignation d’une partie importante de l’opinion publique dans les pays occidentaux.

Quant aux pays du Sud mondial, la majorité de leurs populations soutiennent la cause palestinienne, à l’exception de l’Inde, dominée par un gouvernement néofasciste et antimusulman qui partage l’état d’esprit du gouvernement néofasciste d’Israël.

 

Le cœur du sujet est l’exceptionnalité de la guerre génocidaire que l’État sioniste mène à Gaza. Cela a exacerbé le fossé dans les médias occidentaux entre ceux qui ruminent le mythe de l’État d’Israël comme rédemption de l’Holocauste nazi, de sorte que qui conque s’y oppose est renvoyé à une généalogie qui le place dans la même catégorie que les nazis, et ceux qui dénoncent ce qui est en train d’être fait par un État aujourd’hui gouverné par une coalition de néofascistes et de néonazis, dont le comportement envers le peuple palestinien rappelle le comportement des nazis allemands.

Le mouvement de solidarité avec la Palestine est nettement plus fort en Grande-Bretagne que dans des pays comme la France ou l’Allemagne. L’une des principales raisons en est la différence évidente entre le complexe de culpabilité des Allemands et des Français, dont les ancêtres ont été impliqués dans l’extermination des Juifs et l’absence d’un tel complexe chez les Britanniques, qui voient leurs ancêtres, bien au contraire, comme des sauveurs des Juifs.

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Notes
  • 1
    Professeur, SOAS, Université de Londres