Aurélien Taché, rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, confirme dans une interview à Médiapart du 28 avril 2018 ce que j’écris depuis des mois sur la réforme Macron de l’indemnisation chômage. C’est à dessein que j’utilise ce terme parce que c’est bien la fin programmée de l’assurance chômage qui est annoncée. Il sera utile de voir jusqu’où ira ce remplacement. Les résistances à ce projet sont diverses : les syndicats et associations de chômeurs qui proposent des garanties supérieures pour les personnes sans emploi, mais aussi le patronat et à ses alliés syndicaux qui voient leur domaine de compétences réduit au profit de l’Etat ( ce qui d’ailleurs oblige à réviser les approches simplistes du libéralisme comme « moins d’Etat »).
Cette volonté d’en finir avec le salariat statut social avec les garanties conquises, en le diluant dans l’ensemble plus vaste des actifs se heurte aussi à l’individualisme des indépendants et en particulier à une tradition de refus des prélèvements sociaux qui ont empêché à la Libération la protection sociale universelle.
Les limites de la généralisation sont aussi un indice de la capacité de Macron à modifier le compromis entre les fractions des classes dominantes et de leurs soutiens.
A l’heure où commence une grève des cheminots et une remobilisation sociale sur le service public, il faut comprendre que tout ce qui laissera de côté cette réforme de l’indemnisation enverra un message négatif aux millions de chômeurs et précaires, et donnera des arguments à ceux qui prétendre défendre l’égalité contre les statuts privilégiés.
Ne pas défendre les chômeurs et prendre en charge collectivement leurs revendications sera perçu par de nombreuses catégories salariales, les plus fragiles, comme une solidarité restreinte à celles et ceux qui ont un vrai emploi stable.
Laisser passer sans réagir cette réforme, c’est laisser se mettre en place une modification considérable de notre système de protection sociale qui entraînera la dégradation des droits de toutes et tous et celle de tous les droits sociaux. Il est donc nécessaire de lier la défense du statut de cheminots ou des fonctionnaires à la revendication de droits et des garanties complémentaires pour tous les salariés, les précaires et les chômeurs.
Enfin pourquoi se mobiliser, à juste titre pour une service public des transport, de la santé et ne rien faire face à la mise en cause du service public de l’emploi ? A une époque où on nous parle de mobilité professionnelle, de changement de travail et de changement du travail n’est pas là un service public essentiel ?
Face à ces enjeux, et pour en mesurer l’ampleur, il faut écouter ce que dit Aurelien Taché. Il ne fait d’ailleurs au reprendre ce que dit depuis longtemps Emmanuel Macron et que nous avons été bien peu à entendre alors.
Universaliser l’absence de droits
L’universalisation est l’argument de vente le plus fort et dans les réponses d’Aurelien Taché c’est ce qu’il avance en premier : « On va passer dans un système beaucoup plus universel qu’aujourd’hui. Tout le monde aura droit à l’assurance chômage, avec des droits nouveaux, parce que nous considérons qu’il faut sortir d’une logique de statut pour aller vers une logique de protection des individus » Voilà des propos qui veulent indiquer une avancée réelle du droit à l’assurance chômage (même si après il annonce la fin de cette assurance voir plus bas). Dans la réalité, les droits nouveaux sont réduits à la portion congrue avec à peine quelques dizaines de milliers de milliers de bénéficiaires sous des conditions draconiennes. Il est aussi significatif d’opposer protection des individus / statut comme si ce dernier terme n’était pas une modalité de la protection. Dans la suite de la réponse la notion de statut est assimilée à privilège, injustifié. L’exemple choisi est celui des cheminots . Ce n’est pas seulement un sujet d’actualité .Se mène dans les médias libéraux une campagne contre les privilèges des cheminots à coups d’informations fausses comme la prime de charbon par exemple, Taché surenchérit : »Il est anormal que certains soient complètement exclus de la protection, et ce n’est pas normal que certains aient une protection liée à un statut spécifique, comme celui de cheminot. » L’objectif affiché est d’aller vers plus d’égalité « On essaie d’aplanir les choses pour avoir un système plus égalitaire. ». Mais curieusement de la part de quelqu’un qui a défendu dans les ordonnances travail la fin des normes publiques pour faire place à la diversité des situations et des entreprises nous avons là un discours qui nie les différences et nivelle les situations. Bien sûr il prétend ne pas aller à un nivellement par le bas mais la suite ( voir plus bas) montre les limites des déclarations de bonnes intentions.
Ce d’autant plus que le droit ouvert aux indépendants se limite dans ses exemples à donner une protection aux faux indépendants et vrais salariés comme ceux des plates formes numériques « comment justifier encore le statut des cheminots au regard de celui des travailleurs des plateformes ou des auto-entrepreneurs ? » Il est possible de garantir à ces salariés les mêmes droits qu’à tous les salariés en modifiant le code du travail. Mais ceci suppose de réécrire un code du travail protecteur pour les salarié-e-s. Et d’abroger les ordonnances de l’automne dernier. En guise de nouveaux droits pour les uberisés ou autoentrepreneurs ces dispositions dites « d’universalisation » entérinent une coupure accentuée entre ceux ci et le salariat : en ouvrant à l’indemnisation chômage ces catégories Macron cherche à les rendre plus acceptables socialement et à gérer avec un zeste de social des conditions d’emploi, de rémunération et de droits sociaux très dégradées. Et ceci au bénéfice des ces gagnants que sont les plates-formes numériques.
L’accompagnement : un flic derrière chaque chômeur ?
Le renforcement du contrôle qui -les chômeu-euse-s le savent bien- signifie d’abord sanction suspension d’allocations, radiation, est assumé par notre rapporteur au nom des prétendues avancées nouvelles : « où l’on ouvre plus de droits pour les démissionnaires et sur la formation, où l’on veut faciliter des parcours non linéaires, où l’on va demander au service public de l’emploi de faire beaucoup plus qu’aujourd’hui et d’avoir un accompagnement renforcé, il doit y avoir un peu plus d’efforts demandés à ceux qui recherchent » Mais là encore les dispositions concrétes prévues démentent cette vison optimiste : le service public de l’emploi fera t’il plus pour les chômeurs quand on sait qu’il reste à moyens constants ?Moyens qui sont notoirement insuffisants et qui le seront encore plus demain avec les nouveaux bénéficiaires dont le gouvernement se glorifie ? Rien n’est prévu pour faire bénéficier Pôle Emploi des fonds économisés, sur le RSA par exemple. Les démissionnaires « méritants » dont l’autorité aura accepté le projet de reconversion mobiliserons un suivi particulier au détriment des autres. Comment parler d’une renforcement renforcé pour toutes et tous quand la ministre prévoit de multiplier les seul postes de contrôleurs, dont la mission exclusive est de contrôler et non d’accompagner ? Comment oser dire qu’en échange d’un service moindre, il est légitime de demander aux chômeur-euse-s « un peu plus d’efforts » comme si aujourd’hui les demandeurs d’emploi ne faisaient rien ? Comme si la crainte des sanctions pouvait créer des emplois ou même seulement obliger (moralement?)les patrons à répondre aux demandes d’emploi ?
Ignorant des réalités de la vie des chômeurs , de la crainte de la sanction qui fait déjà accepter n’importe quoi, Aurelien Taché minimise ainsi les dégâts des sanctions et réintroduit la notion du chômeur fraudeur (puisqu’il peut faire, facilement semble t’il, un petit effort c’est qu’il n’en fait pas aujourd’hui).
Comme tout le monde les macronistes ont fait le constat que l’ORE ( offre raisonnable d’emploi) ne permet pas aujourd’hui de sanctionner les chômeur-euse-s ? Trop vague, trop contestable, elle n’est pas un outil pour prononcer des radiations : c’est un pourcentage minime qui est victime du refus de 2 offres. Bien tôt le chômeur, la chômeuses définira ce qui permettra de suspendre sa propre allocation avec plus d’efficacité. On veut lui donner l’impression que c’est lui qui décide pour rendre toute contestation difficile : « Demain, l’idée sera de dire : vous définissez avec votre conseiller vraiment ce que vous voulez, quel type d’emploi vous cherchez, où vous êtes prêt à aller travailler géographiquement. Et sur la base de ce projet personnalisé, il y aura un accompagnement, un suivi renforcé. Attention à ne pas résumer trop vite le contrôle à quelque chose qui serait seulement d’ordre idéologique. C’est bien une réforme d’ensemble. » Est ce vraiment associer chacune et chacun à son projet de sortie du chômage, ce que demande les associations de chômeurs ? C’est oublier qu’il n’y a pas d’égalité dans la négociation du projet personnalisé entre le chômeur qui subit le traumatisme du licenciement,puis une désorientation liée à la durée dans le chômage et une institution qui prétend maîtriser les données du marché du travail et s’abrite derrière un jargon pseudo scientifique comme les métiers en tension pour parler des boulots de merde. Ce sont des « compétences » qui sont demandées et non des qualifications, compétences dont la définition est entre les mains de ceux qui décident, de ceux qui ont tout pouvoir sur l’organisation du travail, qui peuvent user et abuser de ce dont ils sont propriétaires. In fine les fonctionnement de institution Pôle Emploi est de moins en moins uns service public au service des chômeur-euse-s . Pôle Emploi est une institution étatique au service des besoins de gestion de la main d’œuvre du Capital dont le fonctionnement au gré des conventions avec l’Etat dominé par les grands groupes : de plus en plus disparaissent les dimensions d’un service public de l’emploi s’appuyant sur des répertoires de métiers et de qualifications reconnus socialement ainsi que la dimension de protection sociale solidaire de l’assurance.
Bien sur les chômeur-euse-s sont absents de ce fonctionnement, leurs besoins, leurs demandes ne sont pas entendues. Quant aux représentants syndicaux des salariés quel est leur pouvoir décisionnel dans cette institution quand une partie d’entre eux s’aligne sur le patronat dans un paritarisme mortifère ? Mais même cette petite satisfaction d’amour propre -avoir l’impression de décider – va même leur être enlevé.
Pas de pitié pour les vaincus : Vers une baisse de l’indemnisation chômage
Bien avant la présidentielle Emmanuel Macron avait annoncé la couleur, il ne voulait plus d’un système d’assurance où n salarié pouvait dire j’ai cotisé j’ai droit. Ce qui est visé c’est de substituer à un système basé sur le salaire et les cotisations (salaire différé) un système d’Etat. C’est ce que subissent déjà de nombreuses personnes avec l’ASS ( Allocation de Solidarité Spécifique ) ou le RSA qui n’est pas officiellement une allocation chômage mais un minimum social : elles sont accordées sous conditions, d’un faible montant, et les revenus d’un couple sont pris en compte. Pour nombre de personnes c’est le passage de la dignité de salarié-e privé-e d’emploi – au sous statu de « cas social » . Depuis peu tout le monde fait semblant d’oublier les annonces de Macron et fait semblant de continuer à négocier comme avant. Les déclarations de Taché viennent rappeler que la perspective reste inchangée vers « un système plus universel et moins assurantiel qui soit basé sur le niveau du revenu. ». C’est l’Etat qui va désormais piloter parce que c’est un dispositif ouvert à tous et toutes : les 20000 démissionnaires nouvellement indemnisables et les 300000 indépendants nouveaux indemnisables vont ainsi justifier les reculs que vont connaître les quasiment 10 millions de chômeurs et de chômeuses mais aussi de précaires (dont celles et ceux qui subissent les contrats de courte durée et qui vont bientôt bénéficier d’un nouveau statut celui de permittent-e-s ).
Nos libéraux adversaires acharnés de l’Etat utilisent cette nationalisation surprenante pour mettre en œuvre un vieux projet patronal : faire baisser le coût du chômage pour les entreprises (la suppression des cotisations salariales au 1er janvier permet une augmentation des salaires nominaux qui ne coûte rien aux entreprises) mais aussi à terme la baisse de l’indemnisation chômage rendue possible par les contraintes budgétaires et la fameuse dette publique qui justifie l’austérité. Procès d’intention ? Les journalistes M Jardinaud et M Goanec demandent« Mais en passant d’un système assurantiel à un système dit « universel », comment pouvez-vous garantir que le niveau de protection et des indemnités ne diminuera pas ? à Taché qui répond sans rire : « Par la démocratie. Ce modèle, qui est dit béveridgien, comporte deux versions. L’une très minimale, très libérale, à l’anglaise. Et une version maximale, à la scandinave. Dans les deux cas, c’est l’impôt qui finance la protection sociale, ce ne sont plus les cotisations – ce qui permet de baisser le coût du travail et à l’emploi de repartir. Le niveau de protection est fixé chaque année dans le projet de loi de finances, le PLF. Ce sont les députés qui auront été élus qui fixeront le niveau. » Pour ceux qui pensent encore que cette réforme est un plus social, Taché fait deux aveux inquiétants.
D’abord l’objectif du passage à l’impôt est bien un outil pour baisser le coût du travail, nous sommes toujours dans une course au moins disant social. Dans ce cadre, la gestion du marché du travail au service du Capital ira dans le même sens : faire accepter aux chômeurs des conditions d’emploi encore plus dégradées. Dès lors pour quoi ne pas utiliser la baisses des allocations pour rendre le travail « plus attractif » ?
La garantie fondamentale du niveau de protection sociale c’est le débat parlementaire, nous affirme t’il . Les élus empêcheraient la baisse de l’indemnisation parce « Demain, on aura un système plus universel, plus démocratique, mieux contrôlé par le citoyen. » C’est bien sur faire l’impasse sur la crise du système actuel de représentation, sur la domination de l’exécutif et de la haute noblesse d’Etat sur les parlementaires : quelle est la maîtrise de l’élaboration des lois par les élus ? De plus la crise de représentation – malgré le renouvellement du personnel politique (ou à cause de ce lui) – éloigne encore le citoyen des élus et rend illusoire un meilleur contrôle citoyen : Pour défendre cette fiction démocratique,Tache n’a qu’un argument: le citoyen consommateur peut tous les 5 ans rejeter un produit qui ne lui convient pas.
Plus concrètement il faut faire le bilan de la lente mais inexorable étatisation de la sécurité sociale pour les usagers. Ceci s’est traduit par une baisse des cotisations patronales, la prise en charge a baissé et oblige à avoir recours à des complémentaires et il reste encore des restes à charge. Le service public de santé – pris dans un logique comptable- est au bord du gouffre. Taché qui nous vante la Suède ou le compromis social démocrate a beaucoup étét mis en cause : sait il qu’aujourd’hui des malades s’exilent en Norvège pour le soins que les hôpitaux suédois ne peuvent plus leur offrir
Ce changement radical d’un système d’indemnisation financé par l’impôt sera soumis aux choix budgétaires du gouvernement (tant pour les recettes que pour les dépenses). Dans une logique d’austérité et de baisses des charges des entreprises, le risque est grand que le niveau d’indemnisation soit soumis à des pressions à la baisse. Ce qui s’est passé avec le RSA – transmis aux départements- a de quoi inquiéter : un niveau faible qui décroche par rapport aux salaires et un taux considérable de non-recours (surtout pour ceux qui cumulent RSA et rémunération, le RSA activité).
Que restera t-il des beaux discours ?
Les beaux discours sociaux de Taché se déconstruisent à l’épreuve des faits et il ne reste qu’une contre réforme qui est un grand retour en arrière.
L’interview d’Aurelien Taché derrière un verbiage rassurant, social et moderne (adapter notre modèle social aux nouvelles réalités économiques) dit clairement l’ampleur de la transformation qui demain se poursuivra avec les retraites puis sans doute avec des mesures accentuant davantage la mise en cause de la Sécu.
Bien qu’il récuse ce terme – « ne pas résumer trop vite le contrôle à quelque chose qui serait seulement d’ordre idéologique » – c’est bien une conception idéologique de la société , un économisme, une vision du monde qui est celle des classes dominantes qui ressort de son discours. Loin de ce qu’est quotidiennement le chômage et la précarité pour près d’un tiers de la population active dans ce pays. Compte tenu de l’importance de ce chiffre c’est bien l’ensemble des classes populaires qui sera impacté.
Les mouvements sociaux ont produit des réponses, des alternatives concrétés qui n’ont pas accès au débat public. Il est temps de change les termes de ce débat et d’offrir la perspective d’abolir le chômage : ce n’est pas là faire œuvre « caritative » d’aide aux personnes les plus en difficultés mais défendre une conception solidaire de la société pour toutes et tous.
Etienne Adam