Michel Warschawski est un journaliste et militant pacifiste israélien, co-fondateur et président du Centre d’information alternative de Jérusalem. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dénonçant l’occupation et la colonisation de la Palestine. Son dernier livre, intitulé Israël : chronique d’une catastrophe annoncée… et peut-être évitable est paru en 2018 aux éditions Syllepse.
Il a donné tout récemment deux entretiens, l’un à l’Humanité et l’autre à Mediapart.
Pour lui, Israël est en train de perpétrer « un crime contre l’humanité » dans la bande de Gaza. Il dénonce aussi la médiocrité du débat politique en France. Quelques extraits et les liens vers les deux articles.

Michel Warschawski : « Israël est divisé entre deux projets de société irréconciliables »
Par Benjamin König et Rosa Moussaoui. Le 2 novembre 2023.

Le 7 octobre représente plus grand massacre de juifs depuis la seconde guerre mondiale. Comment vivez-vous ce paradoxe d’un État créé pour permettre aux Juifs menacés dans le monde de trouver refuge, qui s’est ici montré incapable de protéger, d’assurer la sécurité de ses citoyens ?

Il y a une image très pertinente de l’historien juif anglais Isaac Deutscher. Un fugitif est poursuivi par quelqu’un qui le menace avec un couteau. Il rentre dans la première maison venue pour y trouver refuge. Mais au lieu de dire « Excusez-moi, dehors je risque ma vie, il faudrait que je reste chez vous pendant un certain temps », très vite, il se met à repousser les propriétaires de l’entrée vers le séjour, du séjour vers la cuisine, pour finir par les cantonner au débarras. Et à la fin il dit : « Ici, cela a toujours été à moi ».

Ce n’est pas le choix de la demande d’asile, du refuge qui a été fait, mais celui du retour et de l’idéologie qui se greffe là-dessus. J’espère aujourd’hui que nous saurons nous reprendre, faire le pari du bon sens. Nous avons hérité de nos aïeux l’expérience léguée par des siècles de vie diasporique impliquant un certain bon sens et la faculté d’échapper à des comportements suicidaires.

Des voix en Israël défendent le principe d’un échange des otages détenus à Gaza par le Hamas contre des prisonniers palestiniens. Qu’en pensez-vous ?

J’espère que nous parviendrons à un tel accord. Hélas ces voix sont isolées, alors que la classe politique et une grande partie de l’opinion sont travaillées par l’hubris, et ce n’est vraiment pas bon. Yonatan Ziegen, le fils de la militante pacifiste Vivian Silver disparue depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, répète que la vengeance n’est pas une stratégie.

Est-ce audible en Israël aujourd’hui ?

[…] Cela me semble de très bon sens… Mais le pays est à cran. Beaucoup le pensent mais se taisent pour l’instant. Pas seulement par peur de s’exprimer, mais aussi parce qu’il faut se justifier, expliquer que cela ne signifie pas un soutien au Hamas, etc.

De nombreux militants du camp de la paix en Israël disent n’avoir jamais connu une situation aussi catastrophique. Partagez-vous ce sentiment ?

Ceux qui disent cela sont jeunes, ou alors ils ont la mémoire courte. Je persiste à dire que de ce point de vue le pire est derrière nous. Nous avons connu entre 1967 et la guerre du Kippour, une période de consensus national total. Les voix dissidentes étaient ultra-minoritaires, considérées comme folles, et il a fallu attendre 1973 pour que les yeux se dessillent et que les gens disent : « Il y avait du vrai dans ce que vous disiez ». Mais c’est vrai, cela faisait longtemps que nous n’avions pas connu de tels moments d’isolement des voix « de bon sens », même pas des voix radicales.

Aujourd’hui, ces voix de la raison semblent d’abord portées par les familles, les proches des otages, des massacres perpétrés le 7 octobre par le Hamas.

Pour eux, il ne s’agit pas de slogans, c’est du concret, c’est la réalité. Netanyahou est dans le discours, celui de la vengeance. Il n’est pas seul : une partie importante de la société israélienne se rallie à ces postures de va-t-en-guerre, sur l’air de « On gagnera, on les aura », mais ce ne sont pas eux qui paient. Encore que Netanyahou, à mon avis, finira par payer.

[…]

Pour lire la suite de l’entretien publié par l’Humanité
Michel Warschawski : « Nous avons dépassé les crimes de guerre à Gaza »

Par Rachida El Azzouzi. Le 28 octobre 2023.

Figure du mouvement pacifiste et de la gauche israélienne, engagé contre l’occupation et la colonisation, l’écrivain et journaliste Michel Warschawski dénonce dans un entretien à Mediapart « le crime contre l’humanité » perpétré par l’État hébreu contre les civils gazaouis.

Mediapart : En riposte aux massacres du Hamas sur son sol, Israël bombarde depuis le 7 octobre de manière indiscriminée la bande de Gaza, tuant et blessant des milliers de civils. Cette nuit de bombardements a été l’une des plus intenses dans l’enclave palestinienne, qui a été coupée du monde (Internet et télécommunications) par l’État hébreu. Comment qualifiez-vous ces violences ?

Michel Warschawski : Nous avons dépassé les crimes de guerre, nous sommes face à un crime contre l’humanité à Gaza. La Cour pénale internationale doit s’en saisir. La population de Gaza paye une nouvelle fois le prix cher, sans pour autant que ce carnage, ces milliers de morts gazaouis ne calment l’opinion publique israélienne, qui se sent très menacée.

Je suis très inquiet devant la folie de notre gouvernement d’extrême droite sur lequel les pressions internationales et les discours pour calmer le jeu accrochent très peu. Nous sommes face à des jusqu’au-boutistes extrémistes qui sont en plus des incapables et des voyous. Nétanyahou [le premier ministre israélien – ndlr] est leur otage. Et ça fait peur.

La barbarie et la vengeance aveugle sont-elles de part et d’autre les nouvelles boussoles d’un conflit encalminé depuis des décennies ?

D’abord, je refuse la symétrie entre les deux parties. Il y a un occupant et un occupé. Même si l’occupé peut utiliser des méthodes intolérables qu’il faut dénoncer. N’oublions jamais : Israël est l’occupant, il a les clés de la solution. Les Palestiniens sont poussés à bout, par le désespoir, mais aussi par un sentiment de dignité : « Puisqu’on doit crever, crevons en nous battant pour notre terre. »

J’ai été assez sonné et je le suis encore aujourd’hui par les massacres commis par le Hamas. On a tous en nous une grosse lourdeur, quelque chose qui nous pèse. Ma fille et ses copines ont commencé à pleurer le 7 octobre et nous, les hommes, quelques jours après. Ce qui m’a le plus sonné, c’est bien sûr la violence, même si je peux comprendre d’où elle vient, d’une direction politique, d’une population qui vit à Gaza dans une cocotte-minute qui, à un moment, explose.

Mais ce qui m’a aussi sonné, c’est l’absence de l’État, de Benyamin Nétanyahou et de ses alliés d’extrême droite. Celle qui a pris les choses en main, c’est la société civile. Et jusqu’à aujourd’hui, par exemple, l’accueil des réfugiés des localités juives qui entourent Gaza se fait par des associations, des groupes de citoyens, pas par l’État. À tel point que Nétanyahou, pour la première fois, a dit : « Quand la guerre sera finie, il faudra faire un bilan. » L’État a été en dessous de tout.

Vous dites qu’« Israël a les clés de la solution ». Quelle est cette solution ?

Se retirer des territoires occupés. Et ne pas provoquer une nouvelle nakba [« catastrophe » en arabe, en référence à la fuite ou à l’expulsion de leurs maisons de près de 760 000 Palestiniens et Palestiniennes pendant la première guerre israélo-arabe, qui a coïncidé avec la création de l’État d’Israël – ndlr]. Un ministre du gouvernement israélien a déclaré qu’il fallait finir le boulot de 1948. Cette idée, selon laquelle, nous aurions gardé beaucoup trop de Palestiniens sur notre territoire, obsède notre gouvernement, qui entend créer l’occasion pour nettoyer Israël et en faire un État juif démographiquement, c’est-à-dire un État composé uniquement ou quasi uniquement de juifs.

C’est dans la continuité de la loi fondamentale qui a été votée il y a deux ans : Israël comme peuple-nation, comme État-nation du peuple juif. C’est totalement contraire aux engagements du jeune État d’Israël pour être accepté à l’ONU en 1949. Il s’agit non seulement de ne plus reconnaître les droits nationaux palestiniens, mais aussi de s’en débarrasser le plus vite possible. C’est terrifiant.

[…]

Pour lire la suite de l’entretien (réservé aux abonné·es) publié par Mediapart