La situation en Europe est inquiétante. Nous assistons à une offensive multiforme contre le droit des femmes à disposer de leur corps, sur fond de mobilisation des Eglises et des partis de droite et d’extrême droite pour promouvoir une conception traditionnelle de la famille et des rôles différenciés des hommes et des femmes. Cette offensive prend pour cible l’éducation scolaire : ainsi diverses officines se mobilisent en France contre la place de la notion de genre dans les programmes scolaires. Par ailleurs, on a vu, avec les manifestations homophobes contre le droit au mariage pour tous de l’année dernière, que ces réseaux (notamment les cercles catholiques intégristes et traditionnalistes), acquéraient une capacité de mobiliser et d’occuper la rue nouvelle pour eux, dans un contexte de relative atonie du mouvement social.
Enfin, le droit des femmes à disposer de leur corps a connu un recul majeur en décembre avec la présentation du projet de loi d’interdiction de l’avortement en Espagne par le gouvernement de droite de Mario Rajoy, qui, s’il était adopté dans deux mois, ramènerait la société espagnole quarante en arrière. Cette attaque fait suite à l’échec de la tentative pour faire adopter au Parlement européen un droit européen à l’avortement, avec le rejet, le 10 décembre, du rapport Estrela, du nom de l’eurodéputée portugaise, membre de la Commission des droits de la Femme et de l’égalité des genres, qui l’avait présenté. En effet, aucun texte européen contraignant, notamment «la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne» de 2000, n’inclut l’avortement, ce qui le renvoie au principe de subsidiarité c’est-à-dire à la seule responsabilité des Etats membres. D’où des situations comme celles de la Pologne, l’Irlande ou Malte, où l’avortement est interdit, et la possibilité de tous les retours en arrière ailleurs, sous la pression des Eglises.
En France les opposant-e-s tentent de profiter de ce climat : une manifestation de plusieurs milliers d’entre eux (16 000 selon la Préfecture) a eu lieu dimanche 19 janvier à Paris, avec le mot d’ordre d’imiter l’Espagne.
Dans ce contexte, on ne peut que se féliciter de l’adoption par les député-e-s d’un amendement réaffirmant la primauté du choix des femmes dans une décision d’IVG et supprimant la notion hypocrite de « détresse » et ce, malgré l’opposition déterminée de la droite.
Au-delà de cette avancée, que dire du projet de loi sur l’égalité femmes-hommes qui est en discussion cette semaine ? Il s’agit d’un paquet assez hétérogène où l’ont trouve évidemment des points positifs, et d’autres plus ambigus voire négatifs.
Parmi les points positifs on trouve surtout des mesures symboliques (le toilettage dans le vocabulaire administratif de certains termes sexistes), ou l’affichage de bonnes intentions mais sans les moyens budgétaires. L’aide au recouvrement des pensions alimentaires, par ailleurs provisoire et limitée à certains départements, existe déjà en théorie. Enfin les dispositions sur l’égalité professionnelle restent très peu contraignantes pour entreprises.
Parmi les points ambigus, on recense l’incitation des pères à prendre un congé parental (6 mois qui sont perdus pour le couple si l’homme ne les prend pas), qui est présentée comme la mesure phare de la loi. Mais ce dispositif ne paraît pas de nature à faire évoluer sensiblement le partage traditionnel des tâches entre les parents. En premier lieu par son montant, moins de 600 euros par mois, dont on voit bien que compte tenu des différences de salaires entre hommes et femmes, il incitera très peu les pères à prendre ce congé, et parmi les mères, continuera à s’adresser principalement aux salariées les plus précaires, occupant les postes les moins qualifiés, celles-là mêmes qui pâtiront le plus d’un éloignement durable de l’emploi. Enfin parce que cette mesure ne saurait remplacer une vraie politique d’accueil de la petite enfance, et les centaines de milliers de places en crèche publique et collective qui manquent aujourd’hui.
La question de la résidence alternée initialement prévue dans la loi a finalement été supprimée en commission et renvoyée à la future loi sur la famille. La plus grande vigilance est nécessaire face à un dispositif qui, si le gouvernement le rendait automatique en prêtant une oreille complaisante aux mouvements masculinistes et des « pères sur les grues », risquerait d’entériner l’inégalité des rapports de domination. Dans le même ordre d’idée, on ne peut que s’inquiéter de voir, dans le cadre du volet sur les violences de la loi, la médiation pénale en cas de violences conjugales, auparavant abrogée par le Sénat, être restaurée par la commission des lois.
Enfin, que dire des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises, si ce n’est qu’une telle mesure est aux antipodes des préoccupations réelles des salarié-es, des chômeur-ses, des retraité-es, et de l’immense majorité de la population !
Mais surtout, tout cela sera sans effet réel dans le cadre d’une politique gouvernementale qui donne autant de gages au patronat, qui recule l’âge de la retraite avec les effets qu’on sait sur les retraites des femmes ; instaure avec l’ANI et accords de compétitivité une extension de la flexibilité qui touche en premier lieu les femmes ; n’augmente pas le SMIC, alors que la grande majorité des salarié-es au SMIC sont des femmes, souvent à temps partiel ; ne dégage aucun moyen budgétaire sérieux dans la lutte contre les violences ; étend la possibilité pour le patronat d’instaurer le travail du dimanche ; met à mal le droit effectif à l’IVG avec la loi sur l’Hôpital et ferme des maternités de proximité1. Cette loi ne prévoit rien pour limiter le temps partiel (le plancher minimal de 24 heures qui a été en théorie instauré est fréquemment remis en cause par des accords de branche notamment dans le nettoyage, secteur massivement féminisé).
Il s’agit là de la cohérence d’une politique néolibérale qui ne peut que faire reculer les droits de toutes et tous, dégrader les rapports de force sociaux, et à côté de laquelle les effets d’annonce sont inopérants.
L’heure est donc à la mobilisation, comme en Espagne, et en France avec la manifestation unitaire pour la défense du droit à l’avortement le 1er février.
Stéphanie Treillet