Le mouvement sur les retraites et ses conséquences politiques
Introduction pour le Collectif national d’ENSEMBLE!
1er avril 2023
Lors du Collectif National du 12 mars puis lors de la réunion extraordinaire du 20 mars, nous avions pris la peine d’approfondir notre analyse de la situation et de définir ce que devaient être les mots d’ordre qu’il nous fallait mettre en avant. Les éléments que nous avions relevés comme marqueurs de la période se sont confirmés.
J’en ai noté six. Je les rappelle rapidement pour mémoire :
- Un mouvement profond, massif, durable et puissant qui s’oppose à la logique de société portée par Macron. Des catégories sociales nouvelles se sentent concernées, l’ensemble de la société est impactée en profondeur. La question du travail et de son sens est posée. Le soutien de l’opinion reste durablement acquis au mouvement.
- Une légitimité incontestable de l’intersyndicale qui a maintenu son unité jusqu’à maintenant. Cette unité intersyndicale ne s’était pas réalisée depuis longtemps. Des manifestations très massives ont ainsi pu avoir lieu notamment dans des villes petites et moyennes.
- L’illégitimité du gouvernement et sa fragilité. Un gouvernement doublement minoritaire minoritaire socialement et également minoritaire à l’AN ! L’ampleur et la durée de la mobilisation sociale et des manifestations a mis en évidence l’illégitimité de la contre-réforme que le président de la République et son gouvernement s’entêtent à faire passer.
- Une crise institutionnelle qui est apparue d’une façon de plus en plus évidente et profonde. L’opposition entre un président élu par défaut, soutenu par une minorité d’élu·es et en opposition avec une très grande majorité de la population était flagrante. L’obligation pour Élisabeth Borne d’avoir recours au 49.3 de façon répétée a cristallisé ce phénomène.
- Le danger de voir le Rassemblement National, absent, en tant que tel, des mobilisations sociales, profiter de la crise politique sur le plan électoral, en utilisant une éventuelle défaite du mouvement social et la frustration qui l’accompagnerait.
- L’impérieuse nécessité de contribuer à construire une alternative à Macron et son monde. Ceci suppose d’aller plus loin dans les propositions politiques et sociales que l’indispensable soutien au mouvement actuel. Cela implique de ne pas nous contenter d’attendre de la NUPES qu’elle assume ses responsabilités dans cette construction.
Une dizaine de jours après le rejet, le 20 mars, de la motion de censure, et après l’entretien télévisé d’Emmanuel Macron du mercredi 22 mars, c’est le moment de nous interroger sur l’évolution de la situation.
Des constats (il y en 7), parfois étonnants, ressortent de l’Enquête Toluna Harris Interactive pour Public Sénat et AEF à la suite de ces évènements :
- Le soutien à la réforme des retraites recule de 7 points depuis le 14 mars et s’établit au plus bas (31%). Par ailleurs, la proportion de Français qui se déclarent « pas du tout favorables » au projet progresse également de 6 points pour atteindre 47%.
- Défavorables dans l’ensemble à cette réforme, les Français expriment également des doutes plus marqués concernant son contenu et ses contours. Un peu plus d’1/3 estiment cette réforme indispensable (37%, -7 points) et moins d’1/4 estiment qu’elle est juste (23%, -5 points).
- Alors que la confiance envers différents acteurs est en recul dans l’ensemble, les organisations syndicales apparaissent comme le premier acteur de confiance (50%, +1 point). C’est le double de ce qu’obtient le Président de la République (26%, -3 points) et le gouvernement (25%, -4 points). Par contre, le Rassemblement national qui a reculé de 2 points fait toujours mieux (31 %) que la NUPES (25%).
- Alors que la réforme a désormais été adoptée, 7 Français sur 10 déclarent soutenir ce mouvement de contestation (70%), soit une hausse de 3 points ! Logiquement, plus de 6 Français sur 10 (61%, en hausse également de 3 points) souhaitent que les organisations syndicales poursuivent l’appel à la mobilisation.
- Après les affrontements violents des 25 et 26 mars à Sainte-Soline, près d’1 Français sur 5 approuvent le fait que certaines personnes recourent à la violence dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites. C’est même 1/4 des soutiens du mouvement.
- Surtout, près de la moitié des Français (45%) estiment que les forces de l’ordre ont fait un usage trop important de la force dans le cadre des manifestations et grèves précédentes.
- Toutefois, alors que la décision du Conseil Constitutionnel n’a pas encore été rendue, plus de 7 Français sur 10 (72%) estiment que la réforme des retraites sera promulguée et appliquée à l’avenir.
Partir de ces constats peut nous donner des indications sur ce que nous pouvons mettre en avant dans nos écrits ou nos réunions.
Nous devons impérativement profiter du fait que 25 % seulement de la population trouve juste la contre-réforme de Macron. Nous devons nous saisir de ces questions au moment où elles émergent et, là aussi, faire connaître et diffuser nos propositions alternatives (voir le site, brochures, tracts, etc.). En ce qui concerne les retraites et plus généralement la protection sociale, les questions de son financement et de ses modalités (la cotisation opposée à l’impôt) ainsi que celle du contrôle des salarié·es sur les sommes déposées ne peuvent plus rester des angles morts.
Révélateur de ces phénomènes contrastés au sein de la population et du rejet suscité par le mépris exprimé par Macron, le 23 mars a marqué une colère, un rebond de mobilisation qui a amené les manifestations presque au niveau de celles du 7 mars.
Mais, malgré le soutien de la population, certaines actions de grève et de blocage se sont poursuivies sans toutefois se diffuser largement. La jeunesse ne s’est pas assez mobilisée, en tout cas pas autant que nous l’espérions. Ce sont deux des limites du mouvement.
Je l’avais signalé le 20, mais j’insiste : nous devons vraiment travailler davantage sur les évolutions du salariat. Celui d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec ce qu’il était en 68 ni même en 95. La précarité fait des ravages et divise les salarié·es. Au-delà du court terme, se poser la question d’une révolution démocratique, construire un bloc social et politique à vocation majoritaire ne peut se faire sans reprendre nos réflexions sur le salariat d’aujourd’hui. L’Université d’automne peut nous en donner l’occasion.
De plus, confronté·es à une inflation dont on ne voit pas la fin, combien de travailleurs et travailleuses pauvres peuvent envisager de perdre une journée voire même une heure de salaire ? Dans ce cadre, populariser et soutenir la mise en place de caisses de grève (sous contrôle syndical) s’avère toujours nécessaire.
De fait, la mobilisation du 28 mars, encore forte, a montré un fléchissement malgré le renfort d’un nombre de jeunes trop limité. Les taux de grévistes fléchissent. De plus, des secteurs cruciaux reprennent peu à peu le travail (éboueurs, par exemple).
Une nouvelle journée de mobilisation est fixée au 6 avril. Mais la rencontre de l’intersyndicale avec Borne qui se tiendra la veille est source d’incertitudes sur la capacité de l’intersyndicale à rester unie. Difficile de dire, aujourd’hui, si la mobilisation sera, une fois encore, au rendez-vous. Difficile d’imaginer la forme que pourra prendre la suite.
La question des mobilisations m’offre l’occasion pour revenir sur les récentes événements de Sainte-Soline. Que ce soit lors de manifestations contre sa contre-réforme des retraites ou lors des mobilisations sur les enjeux écologiques ou pour la défense de biens communs tels que l’eau, le pouvoir n’a qu’une seule réponse politique : l’usage de plus en plus brutal et délibéré d’une violence totalement disproportionnée et de procédures illégales ! Son objectif est clair. C’est briser, par la violence et la peur, toute contestation de sa politique au service exclusif de la finance et du patronat.
Il y a donc urgence à soutenir, à construire, partout, des groupes d’observateur·rices des manifestations pour documenter les dérives répressives.
Sans nous contenter de dénoncer les violences policières illégales, nous devons exiger au plus vite la dissolution des Brigades de répression des actions violentes motorisées (BRAV-M). Le succès de la pétition en cours montre que c’est devenu une exigence populaire.
Qui plus est, Darmanin ne cesse de mentir pour couvrir les exactions des forces de répression : mensonge sur le délit que constituerait le fait de participer à une manifestation non déclarée, mensonge sur l’utilisation d’armes de guerre, mensonge sur les tirs de LBD en quad, mensonge sur le refus de laisser intervenir le SAMU. Son comportement le rend insupportable et le fragilise. Le moment est propice : Nous devons exiger la démission de Darmanin !
Même si l’avenir de Macron et de son monde n’est pas encore compromis, la perte de légitimité de la majorité actuelle va peser, de toute façon, sur la fin du quinquennat. Macron est fragilisé au Parlement, sa base électorale s’effrite et l’avenir de Borne comme 1re ministre est compromis. Jamais chef du gouvernement n’aura eu autant de motions de censure déposées à son encontre. En dix mois à Matignon, Élisabeth Borne a vu son poste remis en jeu par l’Assemblée nationale seize fois. La crise politique risque bien de durer. Toutefois, la bourgeoisie ne manque pas de remplaçants volontaires…
Le gouvernement s’est trouvé particulièrement fragilisé au moment du 49.3 et de la motion de censure rejetée à 9 voix près. Mais il profite de la situation d’incertitude dans laquelle nous nous trouvons depuis quelques jours. Il fait son possible pour reprendre la main en affichant toujours sa fermeté sur la mise en œuvre de la loi. Parallèlement, il joue sur la brutalité pour faire peur et ressouder son électorat autour de l’ordre. Sur le plan politique, il tentera de saucissonner les lois, à l’image de la loi « immigration » de Darmanin, dès que leur vote risque de poser problème.
D’autre part, la question du travail (ses conditions, son organisation mais aussi le sens qu’il a) est désormais posée largement dans la société. Encore un angle d’attaque que nous devons utiliser pour mettre en cause les rapports sociaux de production au sein de notre société.
Enfin, la crise institutionnelle que nous connaissions déjà ne peut que s’approfondir après cet épisode. Il est évident que l’écart entre la majorité de la société et la minorité présidentielle à l’AN renforce les interrogations sur la démocratie représentative. Le danger évident, c’est que l’abstention augmente encore lors des prochaines élections. Par contre, c’est certainement le bon moment pour faire connaître nos réflexions sur la démocratie et donc diffuser notre brochure sur ce thème. La parution de la tribune de Dominique Rousseau et de celle d’Alain Supiot sont des indicateurs de l’intérêt pour ces sujets. Mais, ces discussions s’invitent aussi dans les manifestations. À nous de nous en saisir !
Une aggravation de l’abstention, lors de prochains scrutins, aura bien entendu une conséquence : faire monter mécaniquement les scores du RN dont il ne faut pas oublier que son ex patronne apparaît, pour nombre de Français·es, comme la meilleure opposante à la politique de Macron ! L’enquête Harris Interactive x Euros Agency pour LCI – Baromètre de confiance politique – Mars 2023 – le confirme. La progression de 7 points du RN en Ariège au premier tour, est un signal de plus. L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir semble donc de moins en moins improbable !
C’est ce contre quoi nous devons mobiliser toutes nos forces. L’idée d’un front contre les idées d’extrême droite que nous avions évoqué est une nécessité ! De plus, la multiplication des agressions de divers groupes d’extrême droite, renforce l’urgence de nous en donner les moyens.
Dans tous les cas, après la défaite de Macron au Parlement, il est toujours possible de gagner car la partie n’est pas jouée. Le mouvement peut encore obtenir deux choses qui me semblent devoir toujours être les mots d’ordre des jours à venir : la démission de Borne et la non promulgation de la loi.
D’autre part, la demande d’une consultation citoyenne, faite par l’intersyndicale le 11 mars, semble avoir de l’écho et peut déboucher sur un referendum d’initiative partagée. Le cadre est défini par l’article 11.3 de la Constitution introduit en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Pour l’obtenir, plusieurs conditions : « l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement », soit au moins 185 des 925 parlementaires (577 députés, 348 sénateurs) – cela semble acquis – ; la validation par le Conseil constitutionnel ; le fait que la loi ne soit pas promulguée – c’est le cas – et « le soutien d’un dixième des électeurs » soit 4,87 millions de personnes, dont les signatures doivent être recueillies dans un délai de 9 mois.
Le nombre d’électeurs nécessaires à atteindre semble particulièrement élevé (1,1 million avait signé contre la privatisation d’ADP et à peine plus de 1,1 million pour la pétition intersyndicale contre le projet Macron-Borne). Mais, au vu de la force de la mobilisation, rien n’est impossible. Comme l’intersyndicale, avec sa légitimité acquise, semble disposée à se lancer dans cette voie, il est clair qu’il faudra soutenir l’initiative et en profiter pour développer nos idées alternatives.
Surtout, cela nous laisserait 9 mois pour tenir des meetings, des réunions, constituer des collectifs qui inciteraient la population à signer. Utiliser, somme toute, la technique qui avait si bien fonctionné en 2005 contre le traité constitutionnel. La NUPES devrait y jouer tout son rôle et cela pourrait favoriser la recomposition nécessaire.
Il nous reste à attendre le 14 avril, date où le Conseil constitutionnel dira si la loi est constitutionnelle ou doit être retoquée en tout ou partie. Il dira également, à cette même date, si le RIP pourra se tenir.
N’oublions pas que la politique anti-sociale de Macron va continuer, d’autant qu’il n’a plus rien à perdre. Déjà inscrite dans la « réforme » de l’assurance chômage, elle se poursuivra dans les prochaines lois, en particulier, dans le cadre du projet de loi Darmanin.
Quelle que soit la suite du conflit, nous sommes entré·es dans une période de crises politique et sociale rampantes qui vont être un élément essentiel de la période qui s’ouvre.
Jean-Marie Fouquer
le 1er avril 2023