Alors qu’Emmanuel Macron fait sa rentrée politique en annonçant du « sang et des larmes » pour la société française, en volant comme à son habitude des expressions et des imaginaires glanées dans les réflexions de l’émancipation collective (comme par exemple le livre : « Abondance et liberté » de Pierre Charbonnier), il est nécessaire de faire le point sur la situation.

L’automne 2022 se présente possiblement sous la forme d’un possible emballement généralisé de toutes les menaces destructrices de l’humain et de la vie.

Nous vivons dans un contexte où les tensions climatiques, sanitaires, sociales, démocratiques, et maintenant militaires, peuvent s’enchaîner et s’intriquer pour aboutir à la dégradation de ce qui fait la condition humaine : la capacité de maintenir et développer la vie par une action émancipatrice appropriée. Cette action n’est pas du tout synonyme de progrès technique, économique (non au PIB !), ni même exclusivement scientifique. Elle exige une concertation démocratique visant l’universalisation des échanges de connaissances, de cultures, de valeurs d’égalité réelle (droits sociaux, féminisme, antiracisme), d’accueil, pour tous les peuples et toutes les nations (cela n’inclut pas le nationalisme).

Or un processus d’emballement multicrise est en route et à ce stade aucune digue ne semble en mesure de le stopper. Cela demanderait une mobilisation trans-continentale ou altermondialiste, dont les prémisses existent, mais à l’état encore trop embryonnaire.

Sur le plan socio-économique, le retour de l’inflation, qui donne le sentiment d’une « société économique » hors de contrôle, est le corollaire de la sophistication atteinte par la mondialisation des chaînes productives, où se draine la valeur pour les possédants. On parle beaucoup des pipelines de gaz russes, mais le monde entier est quadrillé dans tous les sens par les pipelines de matières et de marchandises. Un virus totalement imprévu a interrompu les circulations, créé des bouchons, amplifiés par la guerre et par les spéculations. Les prix flambent. Les libéraux craignent une lutte générale pour les salaires et la socialisation du salaire. Les banques centrales veillent.

La pandémie a mis sens dessus-dessous les promesses exorbitantes de la mondialisation. Celle-ci prétendait se jouer des frontières et mettre le monde entier, ses techniques et ses produits « révolutionnaires » à portée de toutes et tous (sauf pour les migrants et les droits sociaux). La pandémie prouve que l’humaine condition n’est pas réductible à l’homo-économicus, que la chaine du vivant dans sa complexité microscopique peut faire dérailler une société de la finance hypertrophiée. La science a été capable de trouver rapidement des parades efficaces, mais non absolues. Il est essentiel que les populations s’emparent du débat (parfois avec des contradictions assumées) sur les bonnes pratiques collectives de santé publique, si on veut éviter des accidents démocratiques (été 2021 en France, jeunesse en détresse) en plus des pertes humaines.

La chaleur étouffante dans l’hémisphère nord, ainsi que les brusques évènements atmosphériques, prouvent que le climat suit inexorablement la trajectoire tracée par le système technico-économique, fabriqué par la domination du capitalisme et la production sans fin et sans but véritable, hormis l’appropriation des valeurs économiques. Mais cette forme d’accumulation nous concerne aussi comme êtres humains responsables d’agir. Pas seulement parce qu’elle est inégale, injuste, violente, voire dictatoriale. Mais aussi parce qu’elle repose sur un aveuglement civilisationnel, sur la mauvaise articulation de nos espoirs avec l’oubli du monde matériel et vivant dont nous sommes issus. Ce sont les types de productions de nos agricultures, de nos industries, de nos énergies, de nos travaux, et de notre rapport à la création matérielle et immatérielle qu’il faut accepter de revoir, bien qu’ils aient imprégné nos manières de vivre, d’habiter et de travailler. Cette révolution d’un nouveau type est impossible sans partage démocratique et sans sécurité sociale universelle. Luttes sociales, politiques, et redéfinition de notre rapport au monde s’imbriquent.

Ainsi : climat déréglé, biodiversité en péril et pandémies possibles s’installent dans nos vies, avec des multiples rebondissements. Mais un accident « 100% humain » s’ajoute au tableau : la guerre. Une guerre qui est d’abord un effet différé des catastrophes du 20ᵉ siècle. Celles-ci ont transformé en monstre étatique, impérialiste et despotique, une bureaucratie maffieuse défigurant depuis des décennies l’espoir émancipateur post-1917. La guerre froide des États nucléaires après 1945 et Hiroshima, gagnée par l’occident impérialiste, s’est muée en guerre chaude, pour le moment par des armements conventionnels, mais qui peut muter et se propager. Nous sommes avec le peuple ukrainien parce qu’il est agressé par l’État russe pour des raisons d’hégémonie nationaliste brutale. Mais aussi parce que nous ne voulons pas que des régimes fonctionnant selon des systèmes institutionnels, dictatoriaux, illibéraux (voire fascisants) puisse gagner une puissance accrue sur la scène internationale. Mais nous ne sommes pas dupes non plus des dangers issus d’autres puissances impérialistes, dont les fondations démocratiques sont vermoulues, comme l’a montré l’épisode Trump aux États-Unis (dont nous ne sommes pas immunisés).

Le défi est donc multiple : social, biens publics, menaces sanitaires, climat, biodiversité, guerre.

Pour une Assemblée des assemblées
  • Face à ce défi, la reconstruction d’une gauche écologiste rassemblée et pluraliste est absolument décisive. C’est l’objectif à atteindre pour la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES). Il y a des mesures à défendre sur chacun des fronts que la situation met à l’ordre du jour. La construction démocratique et ouverte de la NUPES sur tous les territoires peut être un préparatif ou une ébauche pour faire advenir un nouvel âge démocratique.

  • Des mobilisations sont à préparer en lien et dialogue avec les organisations de lutte. Celles-ci ont également besoin de se refonder dans une perspective de rapprochements unitaires et de partage des analyses (notamment entre les syndicats, associations, collectifs Plus jamais ça et Pacte pour le pouvoir de vivre, mouvements féministes et antiracistes).

  • Au-delà, la nécessité existe d’une cohérence de propositions qui fassent sens pour l’ensemble de ces questions et pour toute la société. Ce qui met l’enjeu démocratique au premier plan. Les dernières élections de 2022 montrent qu’une large partie de la société, particulièrement les jeunes et les couches populaires, ne se sent plus concernée par les institutions représentatives. Le mal est profond. La politique parlementaire n’est pas suffisante, il faut mobiliser la société sur les enjeux politiques centraux.

  • Dans toutes les entreprises, localités, institutions publiques, services publics, dans les quartiers et lieux de vie, il est impossible de s’en tenir seulement à des exigences additionnées ou mises bout à bout. Une innovation démocratique s’impose pour mettre ensemble les citoyens-nes et leurs réflexions, leurs exigences, incluant les remises en cause de pratiques, et des solutions expérimentées. Ce qui signifie aussi mettre côte à côte les associations, syndicats, forces politiques, dans des Assemblées ou Parlements populaires du monde à venir. Sur chaque territoire, avec les élu-es locaux, avec les député-es, ces nouvelles institutions doivent être imaginées en fonction des expériences déjà accumulées (appel au volontariat, tirage au sort, collectifs thématiques, etc.). La NUPES peut être le fer de lance de cette innovation, qui ne doit pas être laissée au pouvoir présidentiel.

  • Une Assemblée des assemblées, comme l’ont imaginé et pratiqué des Gilets jaunes, devrait être envisagée au plan national.

Le 25/08/2022

Jean-Claude Mamet