La lutte des intermittents contre le MEDEF nous concerne tous : les luttes juridiques des intermittents contre Pôle Emploi ont anticipé la lutte contre la « loi Travail » !
Dans les cortèges ou dans des actions particulières, ils et elles sont bien visibles dans cette mobilisation. Celles et ceux qui n’ont pas suivi de près les mouvements des intermittent-e-s peuvent en être surpris. Pourquoi un groupe professionnel qui paraît individualiste, dont les champs d’activité et les lieux d’exercice sont éparpillés, dont l’emploi est discontinu, dont les professions sont diverses (du musicien au technicien du son en passant par le théâtreux) est-il capable de former un collectif et de mener des actions ensemble ?
Car les intermittent-e-s sont, dans ce mouvement sur la « loi Travail », des actrices et des acteurs de première importance : ils sont actuellement les plus mobilisés au niveau national (avec les associations de chômeurs et de précaires : AC !, APEIS, CGT chômeurs, MNCP, ainsi que les syndicats qui les soutiennent : CGT, SNU-FSU, Solidaires) pour porter la question de la gestion actuelle du chômage ; ils rappellent que se déroule parallèlement au débat sur la « loi Travail » une négociation pour un nouvel accord UNEDIC.
Le mouvement des intermittents (Coordination des intermittents et précaires-CIP- CGT, SUD) s’explique par son auto organisation comme sujet collectif agissant en permanence depuis 2003, j’y reviendrai.
Mais de même que la « loi Travail » est un « heureux événement » qui a largement contribué à la mobilisation actuelle, les attaques permanentes du MEDEF (mais aussi de ministres, des médias, de la Cour des comptes …) ont contribué à construire une identité « intermittent-e-s », une conscience d’intérêts collectifs. Les intermittents sont victimes de la haine du MEDEF. Pourquoi le MEDEF mais aussi ses alliés « syndicaux » s’attaquent-ils avec autant de constance et aussi brutalement aux intermittent-e-s ?
Gattaz défendrait-il les intérêts des salariés ?
Malgré les discours, la propagande déversée à longueur d’antennes et de colonnes, le régime des intermittents n’est pas un problème économique.  Le souci de gestionnaires de l’UNEDIC qui voudraient équilibrer les comptes n’est pas ce qui guide le MEDEF.
Les intermittent-e-s ne représentent que 3,7 % des chômeur-euse-s indemnisés, à un niveau semblable à celui de la moyenne des chômeurs, et même si on demande à ces 3 % de faire 25 % des économies à réaliser on reste encore loin du compte. Rappelons que 38 % seulement sont indemnisés. Les collectifs d’intermittents ont mis en évidence l’absurdité des calculs sur le prétendu déficit du régime (un régime qui n’existe pas, le seul existant est le régime interprofessionnel).
Pourquoi ne pas avoir les mêmes « exigences d’économie » vis-à-vis de tous les emplois précaires qui se sont considérablement développés et qui « creusent le déficit » de l’UNEDIC : « l’évolution du marché du travail, marquée par une augmentation des emplois courts et une diminution des emplois longs, exerce un effet défavorable sur l’équilibre global du régime d’indemnisation » disait en septembre 2013 la Cour des comptes qui ne préconisait pourtant que la pénalisation des chômeur-euse-s. Elle a été écoutée par les partenaires sociaux qui ont mis fin en 2014 « aux conditions d’indemnisation plus favorables des intérimaires », mesure qui n’a servi à rien qu’à aggraver la vie des intérimaires! Dans le même temps, les partenaires sociaux dispensaient les boites d’intérim du versement d’une sur-cotisation pour les contrats courts, les marchands de chair à patron s’engageaient alors à créer des emplois en CDI : cette promesse n’a pas été tenue et pourtant personne ne parle de remettre en cause ce cadeau, la place de ce secteur dans le MEDEF, la place des intérimaires dans la gestion des ressources humaines l’explique.
Quand le MEDEF soutient les assistés (riches !)
Bien en peine pour justifier économiquement leur haine, les patrons avancent un second argument : le régime des intermittents serait une subvention déguisée à la culture, imposé aux salariés et aux patrons alors que ce devrait être à l’Etat de payer (c’est-à-dire aux salariés contribuables, ce qui dispenserait les entreprises des cotisations patronales). Mais les grands patrons ont-ils le même comportement vis-à-vis de la culture quand il s’agit de mettre en place des « fondations culturelles » qui leur permettent une évasion fiscale. A-t-on entendu Gattaz, le pourfendeur des intermittents, dire un seul mot pour dénoncer la fraude fiscale considérable dans le très lucratif « marché de l’art » (appropriation privée des créations transformées en marchandises ou en outil de spéculation financière). Pourtant le « Panama Paper » vient rappeler l’importance de ces pratiques !
Et pour parler des subventions déguisées pourquoi ne pas dénoncer les exonérations de cotisations sociales ou plus précisément les nombreuses aides à ces grands assistés que sont les industriels de l’armement comme Dassault qui bénéficie en plus de VRP présidentiels ou ministériels pour vendre ses rafales à notre ami le roi d’Arabie saoudite ?
Le MEDEF ne se contente pas de fermer les yeux sur certaines subventions déguisées à des secteurs économiques ou à des entreprises, il organise lui-même des subventions des PME et des artisans vers ses amis des assurances, par exemple l’ANI de janvier 2013 a créé une obligation de la complémentaire santé pour toutes les entreprises qui est un transfert ( de 4 milliards d’euros , chiffre avancé par le MEDEF) des petites boîtes, contraintes de payer les complémentaires,  vers les multinationales de l’assurance.
Les arguments financiers, gestionnaires, baptisés « économiques » par le MEDEF pour supprimer le régime des annexes 8 et 10 ne tiennent pas. Il s’agit donc d’un autre enjeu !!
L’enjeu de la liquidation de l’intermittence : garantir la contrainte sur des précaires de plus en plus nombreux
Pour le MEDEF, il faut que la précarisation reste un outil de contrainte, que la peur du chômage, de la « déchéance sociale » empêche les salariés, de se servir de la demande d’implication personnelle accrue dans leur travail pour acquérir plus d’autonomie et donc un rapport de force, vis à vis de l’employeur ? Ce dernier doit garder le bénéfice que lui donne le droit de propriété, droit d’user et d’abuser de sa propriété. La force de travail doit être achetée aux meilleures conditions. D’où la nécessité de contrôler l’indemnisation chômage et le marché du travail le plus librement possible des contraintes sociales.
Dans cette stratégie de la gestion précaire de la main d’œuvre, le régime particulier de prise en charge de l’emploi discontinu des intermittents est un mauvais exemple pour les autres emplois précaires dont il cherche à réduire les garanties et les coûts (suppression de l’annexe particulière des intérimaires et aujourd’hui précarisation du CDI avec la « loi Travail »).
J’écris ton nom : Liberté
Face à ce modèle du capitalisme se libérant des contraintes et de celles de l’Etat social pour mieux soumettre un salariat qui voit son statut s’affaiblir, le régime des intermittents est un contre-exemple : il montre un autre gestion possible du travail salarié en discontinu. Il donne à voir ce que pourrait être une libération du travail, en prenant en compte des périodes intermédiaires entre deux emplois.
Ce régime est né en 1936 pour répondre aux besoins du cinéma qui éprouvait des difficulté à recruter pour la période de confection des films des ouvriers qualifiés, des techniciens (menuisiers, peintres, décorateurs, ensembliers…) Le régime est donc né pour offrir une compensation qui évite que ces salariés préfèrent des conditions d’emploi normales à l’année chez un patron : ils pouvaient travailler pour des films quelques mois et le reste du temps une caisse leur donnait une indemnité pour continuer à vivre et surtout rester disponibles pour des films.
Les salariés des spectacles non permanents sont inclus progressivement dans ce régime devenu une annexe de l’UNEDIC jusqu’en 1969 avec l’intégration des artistes interprètes, puis les techniciens du spectacle vivant.
Ce régime est resté longtemps marginal puisqu’en 1984, il ne garantissait que 9000 personnes. Il a connu une croissance importante par la suite jusqu’à 100 000, mais si le nombre de cotisants sous contrat d’annexe 8 & 10 a augmenté ces dernières années, le nombre d’intermittents indemnisés est resté stable depuis 10 ans. Par contre, ce type d’indemnisation est devenu visible partout et de ce fait dangereux dans la mesure où il s’agit pour une grande part d’un travail discontinu choisi (bien que ce choix devienne de plus en plus contraint avec la dégradation du régime). C’est ce choix assumé par les intéressé-e-s du droit à ne pas dépendre sans arrêt d’un employeur en bénéficiant de garanties qui permettent de vivre, de se former, de perfectionner son savoir-faire hors travail salarié, de faire des prestations bénévoles qui donnent des cauchemars au MEDEF. C’est une conception de la liberté dans et hors le travail qui s’exprime et s’oppose avec force avec la logique disciplinaire de Pôle Emploi.
Une résistance qui ne s’est jamais éteinte s’appuie sur une alternative.
Depuis 2006, date des grands mouvements qui ont bloqué les festivals, les intermittents se sont donné une organisation pour défendre leur régime. A diverses reprises, ils ont su créer un rapport de forces : par exemple suite à la mobilisation générale (notamment sur les festivals et dans toutes les régions), Manuel Valls annonce le 24 juin 2014 quatre tables rondes de concertation : elles ont eu lieu tous les jeudis de juillet et se sont prolongées ensuite… Tout ceci a conduit Valls à annoncer la pérennisation du régime contre les pressions du MEDEF : c’est une victoire non négligeable qui s’accompagne de la reconnaissance officielle du mouvement et de ses propositions (nouveau modèle d’indemnisation).Les luttes ont engrangé d’autres acquis, et, malgré la durée, la démobilisation a été limitée ; Car loin de rester sur du défensif – sur des objectifs immédiats limités- les coordinations d’intermittents ont élaboré un projet d’indemnisation qui traduit leurs aspirations et elles s’essayent à l’adapter aux réalités nouvelles. Sans remettre en cause les droits antérieurs, en les développant, ces coordinations ont créé une forme juridique nouvelle au nom d’une certaine conception libératrice du travail, de l’œuvre créatrice.
C’est l’organisation qui a sans doute été le plus loin sur la mise en pratique d’une vision de l’activité professionnelle discontinue parce que diverse. Ce nouveau modèle peut se discuter chacun et chacune peut débattre de son application à l’ensemble des emplois précaires.
L’autre dimension de la lutte des intermittents a été de sortir du cadre de l’activité culturelle pour s’adresser à tous les précaires dans des initiatives communes avec d’autres associations de chômeurs et de syndicats comme le forum « chômeurs, précaires, intermittents : un revenu et des droits pour exister ! » organisé par AC ! les 24 et 25 octobre 2015 ; cette autre dimension se vit aussi au quotidien dans la défense des droits de tou-te-s les chômeur-euse-s comme dans l’action au Conseil d’Etat dont nous avons parlé plus haut.
Il reste un dernière dimension qui oppose frontalement les libéraux aux intermittents, c’est la conception même de l’activité artistique qui oppose une vision de l’art réduit à une marchandise, à sa valeur d’échange économique et une conception de l’art comme acte citoyen dans divers lieux de la cité au-delà des entreprises commerciales . Cette différence se traduit concrètement dans les décisions de Pôle Emploi de réserver le bénéfice du statut d’intermittent à des activités dûment répertoriées, étiquetées selon ses propres critères à partir d’une interprétation restrictive du code du travail, Voilà pourquoi Pole emploi a créé un service spécialisé de traque des activités artistiques non conforme. Voilà aussi pourquoi Pôle emploi veut éviter le débat contradictoire face à un juge qui pourrait permettre la requalification des activités non reconnues par Pôle Emploi : il y a eu des jurisprudences défavorables à Pôle Emploi qui préfère éviter le recours au juge et El Khomri lui donne raison.
Au-delà des caractéristiques particulières, la lutte des intermittents contre le MEDEF et ses instruments nous concerne tous. Les luttes juridiques des intermittents contre Pôle Emploi ont anticipé la lutte contre la « loi Travail » (voir https://www.ensemble-fdg.org/content/chomeurs-et-precaires-au-secours-du-droit-du-travail), elles et ils sont aujourd’hui pleinement inscrits dans le mouvement de refus de la « loi Travail ». Plus encore, ce combat qu’ils mènent sur la culture comme valeur d’usage, sur le droit à la liberté, ébauche un autre projet de société dans lequel les autogestionnaires peuvent reconnaître leur projet et leurs pratiques. Il y a des leçons à en tirer mais aussi un soutien à apporter…
Etienne Adam