Pour le directeur de la centrale, non, il n’y a pas eu explosion, mais une simple « détonation ». Quand EDF ne peut pas dissimuler les « incidents » de plus en plus fréquents qui surviennent dans ses centrales nucléaires, elle euphémise et minimise : « l’incident » n’a pas eu lieu dans la partie nucléaire de l’installation ». Ouf, on l’a échappé belle, cette fois ! Mais demain ?
Le départ de feu qui a eu lieu le jeudi 9 février dans la centrale de Flamanville a tout de même intoxiqué plusieurs personnes et provoqué l’arrêt du réacteur n°1. Ce nouvel « incident » suit de peu les deux incendies qui se sont déclarés à Cattenom et entre dans la longue liste des dysfonctionnements qui ont provoqué cet hiver l’arrêt de production dans de nombreuses centrales.
Flamanville, ce sont deux réacteurs vieillissants, qui ont déjà donné des signes de faiblesses. En septembre 2016, EDF procédait à des essais sur des soupapes du réacteur n° 1. Tout ne s’est pas exactement passé comme prévu, puisque l’une de ces soupapes, (qui ne se trouvent pas dans la partie nucléaire), ne s’est pas refermée. Un jet de vapeur s’est alors échappé en continu et le réacteur a été arrêté. « Cette vapeur d’eau n’a pas de conséquence ni sur la sûreté de l’installation ni sur l’environnement », d’après un responsable. On garde quand même l’impression qu’EDF ne contrôle pas grand-chose nulle part et que nous n’aurons pas toujours la chance que ces incidents ne se produisent qu’à l’extérieur du cœur des installations nucléaires. A-t-on jamais contrôlé les conditions d’exploitation de la filière nucléaire ?
A 20 km de Flamanville se trouve l’usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague. Il y a à peine un an, l’autorité de sûreté nucléaire a évoqué des cuves « extrêmement irradiantes » et dont la corrosion, plus rapide que prévue, inquiète.
Flamanville, c’est l’interminable chantier du réacteur européen pressurisé qui vient d’obtenir du gouvernement un délai supplémentaire pour sa mise en service, sans aucune remise à plat d’un grand projet imposé insensé. L’Autorité de sûreté nucléaire n’a cessé de relever des « failles », à tous les niveaux et de mettre en demeure EDF d’y remédier. En avril 2015, l’Autorité de sûreté nucléaire rend publique l’existence de défauts dans l’acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur, réduisant leur résistance à la propagation de fissures. Ces « anomalies » sont qualifiées de « sérieuses, voire très sérieuses ». L’ASN dénonce le fait qu’Areva, fournisseur de la cuve, était au courant de ces graves défauts dès 2007.
Des anomalies dans la cuve, on est là au cœur des problèmes de sécurité ! Et ce problème ne concerne pas que le réacteur en construction de Flamanville, mais de nombreuses installations en France et à l’étranger. Le problème vient de la fabrication de l’acier à l’usine Areva du Creusot. Des documents auraient été falsifiés et la justice est saisie. Récemment, des irrégularités ont été détectées concernant le confinement des matières radioactives transportées par des trains. Plus précisément l’emballage de transport de ces déchets radioactifs…
L’Autorité de sûreté nucléaire doit rendre son avis à propos de l’acier de la cuve dans les mois qui viennent, d’après les documents que lui fournit EDF, pourtant intéressé. Logiquement, tous les projets importants auraient dû être stoppés dans l’attente de cette décision. Mais nos décideurs de tout poil ont décidé de passer outre ; EDF a posé le couvercle sur la cuve incriminée, le gouvernement s’est engagé pour Hinkley Point…
Ces décideurs continuent de faire comme si cette autorisation était une formalité dont le résultat est acquis d’avance et qui ne vaut même pas la peine qu’on l’évoque. C’est une pression formidable qui est mise sur la décision de l’ASN, dont le refus du feu vert pour la cuve de Flamanville ruinerait totalement la tentative de sauver la filière nucléaire française.
Les enjeux sont certes de taille : AREVA et EDF sont en bout de course sur les plans technologiques et financiers, mais conservent la certitude d’un patron du Titanic aux turbines en surrégime : une filière nucléaire « too big to fail » ? Cela au prix d’un rafistolage coûteux : EDF veut prolonger coûte que coûte ses vieilles centrales dont la durée de vie, pourtant limitée à 40 ans, a été rallongée de 20 ans au prix de ces multiples dysfonctionnements, de plus en plus fréquents. Malgré les surcoûts et dangers majeurs d’un parc vieillissant, ils continuent à parier sur une nouvelle génération de réacteurs qu’AREVA n’est arrivé nulle part à faire fonctionner.
Tous concourent pourtant à maintenir la filière nucléaire française la tête hors de l’eau, sous perfusion financière et politique : l’Etat veut bien mettre la main au portefeuille et la Commission européenne a donné son accord. AREVA doit être démantelée et EDF doit reprendre la branche qui construit les réacteurs nucléaires. Mais pour cela le réacteur pressurisé doit être mis en service. Un pari plus que risqué ! Une démocratie bafouée !
L’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire est donc déterminant pour qui est engagé dans la folle poursuite du développement d’une filière nucléaire pourtant en échec, un choix imposé d’investissement public insensé rendu potentiellement irréversible et en opposition à une réorientation de notre politique énergétique vers les énergies renouvelables. Les cinq commissaires de l’ASN, dont on imagine les pressions qu’ils doivent subir, sauront-ils faire passer la sécurité et le bon sens avant toute autre considération ?
L’enjeu est politique et nous concerne tou-tes. Il s’agit moins de fermer une installation particulière que d’un choix global en matière de politique énergétique. Nous ne pouvons accepter que ces décisions restent entre les mains de technocrates intéressé-es et d’une poignée d’élu-es que la vision à (très) court terme rend peu soucieux des intérêts réels de la population et de l’avenir de notre société.
Raphaëlle et Evelyne.