Que les organisations de salariés et de jeunes se battent contre la précarisation accrue du salariat et contre le renforcement du despotisme patronal marque sans doute une rupture avec une trop longue période de destruction progressive du code du travail. Pour autant, si les précaires deviennent acteurs et que dans la jeunesse s’exprime de plus en plus nettement un refus de la précarité, la question de l’indemnisation, de l’assurance chômage, est pour l’instant une grande absente du débat public. Ce n’est que trop partiellement que le chômage est pris en compte dans ce débat (le tract d’Ensemble pour le 9 mars fait trop figure d’exception).
Et ceci alors même que viennent de s’ouvrir, dans la plus grande indifférence médiatique, les négociations sur une nouvelle convention UNEDIC (la dernière ayant été annulée pour illégalités manifestes par le Conseil d’Etat https://www.ensemble-fdg.org/content/chomeurs-et-precaires-au-secours-du-droit-du-travail ).
Il y a un paradoxe dans la façon de traiter le chômage : si tout le monde considère que c’est un problème central, il n’est pas ni le centre de l’action politique, ni celui du débat public.
Pour une majorité des personnes interrogées dans les différentes enquêtes, chez les salariè-e-s, le chômage de masse est la première préoccupation : la crainte du chômage, la confrontation avec la situation de proches au chômage, la vision des exclus et des pauvres tout cela vient rappeler l’importance de ce drame social majeur. Jusqu’au président de la République qui annonce lier sa candidature à la baisse de la courbe du chômage devenue l’indicateur final de toute réussite politique…
Face à ce chômage, et depuis qu’il a pris sa dimension «  de masse », les syndicats et les mouvements de chômeur-ses, précaires et intermittents ont produit depuis 30 ans analyses et propositions alternatives : le compte rendu du forum « agir ensemble contre le chômage !  » du 24-25 octobre 2015, à Paris 1le montre clairement. Pour lutter contre chômage, pour assurer les droits des chômeur-ses, des propositions sont prêtes à être mises dans le débat public. Parallèlement le retour de la RTT, et des autres propositions pour créer des emplois donnent une crédibilité nouvelle au mot d’ordre « abolition du chômage ».
Et pourtant, concrètement, la lutte contre le chômage est bien peu prise en charge par ce qui forme le « camp du salariat » dans sa diversité : syndicats, associations sur les quartiers, et même les organisations qui visent à la transformation sociale radicale. Bien sûr, chacun y va de sa dénonciation des plans dits « sociaux » de licenciements, du chômage et des politiques « de lutte contre le chômage » des sociaux-libéraux. Bien sûr, il faut dénoncer les discours de Wauquier, Le Pen sur les assistés spécialistes de la fraude sociale. Mais le mouvement ouvrier a été incapable d’empêcher que domine la stigmatisation des chômeurs. Malgré des tentatives déjà assez anciennes (et un réel savoir faire acquis alors), il a échoué à construire des solidarités concrètes avec les chômeur-ses. Ce vide , ce sont aujourd’hui des « grandes » associations gestionnaires du secteur social (comme l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), des associations militantes sur le terrain de la pauvreté (comme ATD Quart Monde) ou des associations caritatives (comme Solidarités nouvelles contre le chômage) qui prétendent , forte d’un travail de terrain, se poser vis à vis du mouvement syndical et des pouvoirs publics en porte- paroles des chômeurs. Certains postulent à une cogestion de l’UNEDIC parce les chômeur-ses doivent y être représentés (reprenant ainsi la revendication des mouvements de chômeur-ses).
En face, les associations de chômeur-ses et de précaires « historiques » s’affaiblissent considérablement. Ce sont les caractéristiques « structurelles » du chômage qui produisent au premier chef cette crise : l’organisation est difficile quand les acteurs sont dans une situation par nature transitoire, l’individualisation – renforcée par le fonctionnement de Pôle Emploi – empêche la mise en place de l’action collective, le chômage use prématurément celles et ceux qui en sont victimes… Les organisations syndicales, elles mêmes affaiblies, n’assurent plus le soutien logistique qui permettait aux associations de vivre. Le mouvement syndical ne fait que refléter une « extériorité » croissante ressentie par les salariés pour qui les chômeurs sont de moins en moins des ex-salariés victimes des stratégies patronales, et de plus en plus un monde d’assistés profiteurs de « ceux qui se lèvent tôt ».
L’isolement vis à vis des autres catégories du salariat, le manque de soutien populaire à leur cause et à leurs luttes, sont des facteurs décisifs qui expliquent pourquoi aujourd’hui les mouvements de chômeurs sont bien réduits. Reconstruire ce soutien est une priorité.
Et ceci est un enjeu d’autant plus fort que certains de ces « nouveaux acteurs associatifs» évoqués plus haut ont une proximité idéologique (et politique) avec les sociaux- libéraux, en particulier par le biais de la CFDT qui a toujours à la fois refusé l’organisation spécifique des chômeur-ses en son sein et construit des rapports avec des associations caritatives « qui s’occupent des chômeur-ses ». Au bout du compte, aujourd’hui, des sociaux libéraux instrumentalisent le chômage- et la situation dramatique des chômeur-ses qui fait peur ! Ils essayent d’imposer l’idée que le droit du travail est un obstacle au droit à l’emploi parce que la protection des salarié-e-s ayant un emploi rend les embauches impossibles. En faisant semblant de croire que le chômage est l’absence totale de travail alors qu’il est en fait composé de chômeur-ses à temps partiel qui travaillent aussi pour une part de leur temps, il se donne pour objectif de précariser le CDI pour permettre l’accès de toutes et tous au CDI. An nom du chômage, les gouvernement se permet ce tour de force de dire que faciliter les licenciements c’est favoriser l’emploi : pour plus de détails voir https://blogs.mediapart.fr/etienneadamanpagorg/blog/070316/macron-au-secours-des-chomeurs-ou-de-medef
On peut toujours considérer qu’ils ne sont pas crédibles (malgré le ralliement d’une partie de la droite : voir la pétition de Dominique Reynié) il serait dangereux de ne pas leur répondre sur ce terrain de la lutte contre le chômage.
C’est pourquoi il faut aussi intervenir sur la négociation de l’accord UNEDIC qui s’engage, un dégradation supplémentaire de la situation des chômeur-ses, signifiant aussi une dégradation du rapport de force pour tous les salariés : plus la situation des chômeur-ses deviendra difficile plus la pression sera forte sur les salariés « insiders » pour qu’ils acceptent de faire des sacrifices pour les « outsiders ». Et ceci au nom d’un conception de la solidarité qui évacue totalement les rapports capitaliste et organise le « partage des richesses » au sein du seul salariat . Une dégradation des droits des chômeur-ses est l’expérimentation de la dégradation des droits des salariés, voire même des droits humains de façon plus large  : nous avons vu dans la dernier accord -validé par le ministère du travail- les partenaires sociaux se livrer à une remise en cause de principes généraux du droit que le conseil d’Etat a censuré. Dans son arrêt le Conseil d’Etat a indiqué que la négociation collective avait outrepassé les pouvoirs que lui donnait la loi. Quand aujourd’hui la négociation « entre partenaires sociaux raisonnables » et qui plus est dans l’entreprise devient la principale source de droit social, il y a de quoi s’inquiéter.
Un dernier enjeu est loin d’être négligeable dans ces négociations UNEDIC : devançant les exigences patronales, le gouvernement prétend imposer au partenaires sociaux qui vont négocier des économies pour réduire le « trou » de l’UNEDIC qui pèse sur le déficit à présenter à l’UE.
Ce fameux trou de 29 milliards, il disparaîtrait sans les fraudes des patrons, et leur utilisation des contrats précaires (voire très précaires) et de la rupture conventionnelle, licenciement, facile puisque très utilisé… mais nous ne pouvons accepter que les budgets de la protection sociale continuent à être la variable d’ajustement des comptes publics comme c’est le cas aujourd’hui de l’assurance chômage mais aussi de la sécurité sociale. Défendre aujourd’hui, et améliorer, l’indemnisation des chômeurs c’est possible, mais c’est aussi une nécessité dans le cadre d’une lutte plus large contre les dispositifs de l’État Social : services publics et protection sociale.
Etienne Adam
1Avec le soutien et la participation de : Mouvement national des chômeurs et des précaires (MNCP), Association pour l’emploi, l’information et la solidarité (APEIS), Coordination des intermittents et précaires (CIP), Réseau salariat, Actu- chômage, Recours radiations, Syndicats SUD-Pôle emploi et SNU-FSU Pôle emploi, Collectif national pour les droits des femmes, Fondation Copernic ,Agir ensemble contre le chômage (AC !)