En vingt minutes les négociations UNEDIC ont connu un échec retentissant : il n’y aura pas de nouvelle convention d’assurance-chômage au 1er juillet, celle de 2014 cesse le 30 juin.
C’est là un situation exceptionnelle, la première fois depuis 1982 qu’une telle rupture a lieu entre le patronat et les syndicats. Voilà qui tombe bien mal au moment où le gouvernement fonde sa loi travail sur le dialogue social ! Le MEDEF divisé a laissé libre cours à une ligne dure qui sacrifie les partenaires sociaux et au premier rang la CFDT : cette dernière avec sa modulation des cotisations ne prévoyait pas d’augmentation globale de celles ci, une concession importante au MEDEF. Par contre, en plein débat syndical sur la loi travail dans lequel la CFDT prétendait jouer la défense des chômeurs/euses, la centrale de Berger ne pouvait accepter des mesures d’économies trop visiblement sur le dos des chômeurs/euses comme celles que souhaitait le MEDEF.
Il faudra un peu de temps pour mesurer le discrédit du paritarisme et de ce genre de négociations à froid ; notons tout de même que le représentant de la CGC se dit « inquiet sur le paritarisme » et que beaucoup de réformistes ont du mal à cacher leur désarroi.
Face à cette situation, le gouvernement n’a pas tardé à réagir , il ne pouvait se permettre une panique chez les millions de chômeurs/euses indemnisé-es ; « comme la loi le prévoit, à défaut d’accord entre partenaires sociaux, les mesures d’application du régime d’assurance-chômage sont déterminées par le Gouvernement, par décret en Conseil d’Etat. Dès demain, le Gouvernement prendra donc des dispositions en ce sens afin d’assurer sans délai la continuité de l’indemnisation chômage en prorogeant la convention d’assurance-chômage actuellement en vigueur » communiqué du 16 juin de Myriam El Khomri. Ce faisant, le gouvernement renonce aux mesures d’économies qu’il avait exigées des partenaires sociaux. Mais il va plus loin, en intégrant l’accord professionnel du 28 avril sur les intermittent-es du spectacle : « Par ailleurs, et sans attendre, le Gouvernement transposera dans les règles de l’assurance-chômage l’accord unanime signé le 28 avril 2016 par les partenaires sociaux du spectacle ». Et il en garantit la prise en charge financière, reconnaissant la validité des propositions des intermittent-es.
MEDEF, CFDT en déroute
Il y a là un désaveu du MEDEF rendu responsable de l’échec des négociations par son refus de surtaxation des contrats précaires les plus courts alors qu’il avait en partie accepté cette surtaxation dans la convention 2014.
Mais il y a surtout un désaveu du MEDEF, mais aussi des partenaires sociaux « réformistes » qui avaient eux aussi dans une déclaration commune CFDT-CFTC-CGC déclaré « Ils constatent que cet accord ne peut être intégré en l’état à l ‘accord interprofessionnel » parce qu’il ne respectait pas la lettre de cadrage qui imposait des économies sur le dos des chômeur-euses.
Le prétexte financier ( relayé par les calculs douteux de la Cour des comptes, du gouvernement et des médias) a été démonté par les propositions des intermittent-es qui prouve qu’un système plus juste et plus sûr pour les chômeurs/euses n’est pas plus cher : les travaux du comité d’experts leur ont largement donné raison. Il devrait apparaître aux yeux de tous que tout ce beau monde veut mettre à bas les dispositions pour les intermittent-es pour des raisons de fond : ne pas permettre qu’existe au sein de l’UNEDIC une indemnisation du travail en discontinu qui apporte des garanties et qui répond (même si c’est encore perfectible) aux besoins des chômeur-euses-travailleur-euses.
Pour le MEDEF, mais aussi pour les CFDT et consorts qui ne connaissent pas ( ou ne veulent pas reconnaître) la réalité de la situation concrète de chômeurs/euses, on ne peut offrir à ces dernier-es que peu de chose, un appauvrissement négocié soumis aux décisions gestionnaires du MEDEF. Montrer qu’autre chose est possible c’est remettre en cause vingt ans de gestion paritaire de l’UNEDIC qui a sacrifié les chômeur-euses à la « saine gestion » de la caisse (euphémisme pour désigner les cadeaux au patronat).
Et d’un seul communiqué, la ministre met en cause les compromis (compromission) des partenaires sociaux : même si le MEDEF seul est dénoncé explicitement, ses compères syndicaux sont aussi largement décrédibilisés. Une chance pour eux, et pour le gouvernement qui mise tant sur les partenaires sociaux, la presse n’a rien vu ! C’est pourquoi il est utile de dire partout que c’est une victoire sur le MEDEF et ses amis !
Une victoire inexplicable ?
Le retour aux dispositions en vigueur avant 2013 ne sont certes pas une panacée, mais c’est annuler treize ans de régressions pour les intermittent-es qui ont conduit des milliers d’entre elles (eux) à sortir des annexes particulière et à se retrouver au régime général dans des conditions d’extrême précarité et pour une bonne part au RSA. Par exemple, compte tenu de la spécificité des conditions d’exercice de ces professions le raccourcissement de la période prise en compte pour créer des droits de 12 mois à 10 mois) était une véritable guillotine.
Au delà de ces victoires « techniques » -non négligeables pour les intéressé-es- permises par la mise en avant par le mouvement des intermittent-es d’un nouveau modèle alternatif d’indemnisation pour leur profession, les 13 ans de lutte prolongée sans céder au découragement ont mis en échec le projet de suppression de l’indemnisation des intermittent-es par l’UNEDIC.
Comment expliquer une victoire d’une telle ampleur, et des concessions aussi importantes de la part du gouvernement qui paye cher (non seulement financièrement mais aussi symboliquement ) la paix sociale avec les intermittent-es ? Il est normal que beaucoup s’étonne de résultats obtenus par un groupe aussi faible numériquement et avec en apparence aussi peu de moyens de pression : du coup ils mettent en cause les acquis.
N’importe qui voit bien que les intermittent-es ne sont pas les cheminot-es (avec leurs organisations et leur histoire de luttes), ni même les routier-es qui peuvent bloquer le pays en bloquant les communications et du coup dénient toute pression économique possible. Ils oublient que les menaces sur les festivals ont un impact économique non négligeable que le gouvernement ne pouvait sans doute pas se permettre au bout de trois mois de perturbations des activités économiques.
Mais il ne pouvait se permettre qu’un groupe social visible dans sa participation à la lutes contre la loi travail, moteur dans nombre de villes de convergences de luttes, restent mobilisés pendant la période d’été qui est une grande période d’activité culturelle : il risquait de voir les actions anti loi travail perdurer, et du coup il a voulu acheter les intermittent-e-s. Et il a mis le prix puisqu’une fois de plus il sacrifie les déficits que l’UE impose, ici le déficit de l’assurance-chômage (partie intégrante des comptes sociaux) qui va augmenter : mais sans doute, puisque ça va mieux, mise-t-il sur une baisse du chômage pour réduire ce déficit !
Il faudrait aussi prendre en compte le rapport à la culture, la portée symbolique des activités culturelles ;
Tout n’est pas réglé, il faut préparer l’avenir
Pour l’instant, nous ne savons pas quelle va être la durée effective avant une nouvelle renégociation souhaitée par le gouvernement. S’il y a renégociation il y a aura remise en cause de l’accord professionnel imposé aujourd’hui par décret
Toute autre solution créerait un décalage entre les annexes 8 et 10 et le reste des personnes indemnisées avec une sortie du régime interprofessionnel souhaité par le MEDEF et consorts.
Maintenir par décret serait créer un régime spécifique extrêmement vulnérable dans un contexte de politique de réduction des dépenses publiques et encore plus de dépense pour les politiques culturelles.
Par ailleurs, le fonctionnement de Pôle emploi menace le statut d’intermittent-e par la mise en œuvre de non reconnaissance d’activités comme relevant des annexes 8 et 10 : les artistes sont réduits à la condition de formateurs/trices, d’animateurs/trices avec d’autres conditions de travail (horaires plus courts, heures moins nombreuses…). Ceci conduit à des trop perçus décidés unilatéralement et arbitrairement par Pôle Emploi : parce l’intervention de la justice a contraint Pôle Emploi à payer, les partenaires sociaux ont demandé au ministre l’article 52 qui légalise les pleins pouvoirs à Pôle Emploi condamnés comme abus de pouvoir des partenaires sociaux par le Conseil d’Etat.
On voit bien et concrètement pourquoi les intermittent-es ont intérêt à rester dans la lutte contre la loi travail ; et on pourrait aussi évoquer le dumping social ouvert par interversion de la hiérarchie des normes dans un secteurs où le dumping social va s’imposer entre de nombreuse petite boites qui luttent pour survivre, dans un secteur où l’emploi des « permittent-es » (intermittent-es utilisés de façon permanente) est d’usage de la part de grandes boites.
Mais le mouvement des intermittent-es doit aussi s’inscrire et animer les mobilisations pour la défense des droits de tous les chômeurs/euses en lien avec les associations de chômeurs/euses et préparer avec les mouvements de chômeurs/euses, les syndicats amis aussi les associations attachées à la défense des droits (en particulier ceux des plus démunis, des plus fragiles …) une mobilisation sur la future renégociation d’une convention UNEDIC avec des exigences claires sur l’abolition du chômage.
Nous, à Ensemble, avons les moyens de fournir des outils pour alimenter le debat public dans le sens de l’émancipation qui passe par l’abolition du chômage par une sécurisation, par une libération du travail grâce à une intervention active des salarié-es sur l’organisation et la finalité du travail.
Cette ré-appropriation collective des salarié-es sur leur vie peut elle éviter d’aborder l’appropriation collective des entreprises, pour pouvoir vraiment prendre des décisions au lieu de subir la loi des actionnaires
Etienne Adam