L’assassinat d’Hervé Gourdel et les atrocités à répétition de l’Etat Islamique ont créé une sorte de sidération dans le pays. C’est comme si tout le monde se sentait obligé de faire corps avec le gouvernement et l’ensemble du pays au nom de la lutte contre le terrorisme. Le problème, c’est que lorsqu’y compris des militants progressistes, des antiracistes font corps avec le gouvernement et des islamophobes patentés, ils prennent le double risque de rendre inaudibles leurs critiques contre Hollande et Valls et de désarmer leurs mobilisations contre le racisme.

Face au terrorisme, unité nationale et « patriot act » à la française
Parce que malheureusement tout le monde n’a pas été pris de sidération. Le gouvernement est offensif, lui qui a depuis longtemps compris tout l’intérêt qu’il pouvait tirer à surfer sur la situation internationale. « Face au terrorisme, il faut l’unité nationale » nous dit Bernard Cazeneuve pour enjoindre tous les députés à voter la main sur le cœur la nouvelle loi contre le terrorisme qui menace les libertés publiques. Et emporté par son élan, il rajoute que sa nouvelle loi liberticide a évidemment  « pour but de défendre les libertés ».1 Le gouvernement plus impopulaire que jamais cherche à créer du consensus sur le seul sujet sur lequel il peut encore le faire, sur son intervention militaire à l’extérieur et sa politique sécuritaire anti-terroriste à l’intérieur. Par contre Hollande et Valls qui en rajoutent dans la lutte contre le terrorisme en rabattent dès qu’il faut monter au créneau contre le racisme, allant même parfois jusqu’à cautionner par leurs reniements, leurs discours et leurs politiques les offensives racistes de la droite et du FN. On a ainsi entendu Manuel Valls cet été se demander si « l’islam est compatible avec la République »2
Nous ne devons pas les laisser faire. Car le risque « mortel » c’est que l’union nationale se fasse d’abord contre les musulman-es de ce pays et au delà contre les arabes, les noirs, les rroms, les asiatiques qu’ils soient français ou immigrés.

Les digues ont lâché. Tout peut désormais être dit sur les musulman-es
Les islamophobes attirés par l’odeur du sang sont évidemment à l’offensive.
Dans le Figaro du 26 septembre, Ivan Rioufol qui n’en manque jamais une, critique le gouvernement pour ne pas avoir dit que ce qui est en cause c’est l’Islam en tant que religion3. Et tous les musulman-es en tant que personne aurait-il pu ajouter pour être encore plus claire.
Evidemment, les musulman-es sont sommés de se désolidariser des jihadistes de l’EI sous peine d’être considérés comme non compatibles avec la « communauté nationale ».
Mais ils auront beau répéter que ce n’est pas en leur nom que l’EI égorge, pille, opprime, ils auront beau condamner, ils n’en feront jamais assez aux yeux de certains.
Le Figaro.fr, manifestement en quête de preuves supplémentaires sur l’ « innocence » des musulman-es, demande ainsi dans un sondage si nous estimions « suffisante la condamnation des musulmans de France » par rapport à l’assassinat d’Hervé Gourdel.
Les digues ont laché. Tout peut désormais être dit sur les musulman-es. Ils étaient déjà soupçonnés de menacer la laïcité, ils étaient accusés de mettre en péril les fondements de la République française, les voilà désormais aussi terroristes en puissance.
Le déferlement de haine dans les médias et la multiplication des discours islamophobes chez les dirigeants politiques cautionnent et encouragent les actes et les discours racistes dans la population.
Les langues se délient, les agressions contre les musulman-es se multiplient et sans quasiment aucunes réactions. Ainsi, à Science-Po Aix, un professeur accuse très tranquillement une élève « voilée » d’être « un cheval de Troie de l’islamisme »4. Et rien, quasiment aucunes réactions.

Aux côtés des musulman-es contre l’islamophobie
Il y a pourtant urgence à réagir. L’offensive raciste qui se noue autour de la haine contre les musulmans ne doit pas être sous-estimée. L’islamophobie les enferme dans une identité fantasmée et simpliste. Un salarié, un chômeur, un précaire, un voisin, un collègue qui se trouve être en plus musulman n’est plus que musulman, compagnon de route imaginaire du moindre terroriste qui à l’autre bout de la planète aura décidé de faire exploser une bombe ou d’égorger un otage. Mais l’islamophobie a aussi cette capacité à cristalliser et à amplifier les dynamiques racistes. Et l’objectif des islamophobes est clair, racialiser la colère sociale qui monte contre les politiques libérales, l’augmentation du chômage et de la précarité,  et l’explosion de la pauvreté,  pour construire un consensus national raciste entre la population « blanche » paupérisée et les plus riches de ce pays contre tous les autres, toutes celles et tous ceux justement qui sont racialisés, les musulmans, les arabes, les noirs, les roms…Il suffit pour s’en convaincre de lire Ivan Rioufol, encore lui, quand il dit que « le vrai clivage politique passe par l’Islam » et que « ce n’est plus la droite contre la gauche »5. Remplacer le clivage de classe par celui de race, c’est en effet la stratégie du FN et c’est en partie celle de l’UMP.
Il y a évidemment là un péril « mortel » pour les populations discriminées de ce pays déjà  frappées de plein fouet par la crise, et qui risquent d’être un peu plus isolées socialement et politiquement. Mais il y a aussi péril pour le mouvement ouvrier syndical et politique « traditionnel » s’il ne réagit pas rapidement. L’offensive raciste affecte en profondeur les capacités du mouvement social à rebondir face aux attaques libérales. Au final, laisser les musulman-es seul-es face aux islamophobes, c’est laisser aussi l’ensemble des salariés, des précaires, des chômeurs seul-es et divisé-es face aux attaques du patronat.
Nous n’avons pas le choix. Nous devons construire un mouvement antiraciste qui intègre pleinement la lutte contre l’islamophobie et qui refuse de se laisser enfermer dans une conception excluante de la laïcité. Nous avons besoin de résister ensemble, sans concession partout où nous sommes attaqués, sur les terrains où se portent les attaques. Arrêtons de demander aux musulmans qui luttent contre l’islamophobie de « montrer patte blanche » pour pouvoir les soutenir. Là où les musulmans sont attaqués en tant que musulmans, nous devons résister à leurs côtés face à l’islamophobie, construire des cadres unitaires larges, impliquer l’ensemble du mouvement social. Sans aucun paternalisme, partout et sans concessions.
Laurent Sorel

1 http://www.lejdd.fr/Politique/Pour-Bernard-Cazeneuve-face-au-terrorisme-…
2 http://www.liberation.fr/politiques/2013/08/19/valls-jette-un-froid-a-la…
3 http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2014/09/bloc-notes-la-barbarie-oblige.html
4 http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20141002.OBS0989/sciences-po-aix-…
5 http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2014/09/bloc-notes-le-vrai-clivage-pol.h…