L’industrie du gros électroménager a un point commun avec celles du poids lourd et l’automobile : son degré de concentration. Il est depuis deux à trois décennies si avancé qu’une poignée de multinationales en monopolise la commercialisation.
Ainsi, le champion d’origine française de l’électroménager est SEB, celui d’origine suédoise est Électrolux, celui d’origine italienne Indesit. Également très présente en Europe, la division électroménager de General Electric a été rachetée début 2016 par la multinationale chinoise Haier. De son côté, Indesit a été rachetée un an plus tôt par Whirlpool, déjà n°1 mondial depuis l’achat il y a un quart de siècle de la division électroménager de Philips.
Les grands sites d’assemblage du gros électroménager de ce côté-ci de l’Atlantique sont organisés pour approvisionner le continent (Moyen-Orient inclus), et l’Afrique : délicat et coûteux à transporter, le gros électroménager ne permet pas d’envisager une aire de commercialisation transnationale plus étendue à partir de l’assise du marché solvable ouest-européen.
Situé à Amiens, le dernier site propriété directe de Whirpool en France pourrait à court terme être fermé. À ce jour, aucune négociation de ce que furent les garanties du type « plan de sauvegarde de l’emploi » avant le vote de la loi El Khomri n’est à l’étude. Très présente dans la grande industrie de la moitié nord de la France, la CFDT vient de se joindre en intersyndicale à la CGT amiénoise, à laquelle participe également la CFTC. Avec pour objectif immédiat d’alerter sur la vacance et l’aveuglement du politique. L’intersyndicale a interpellé Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, et Michel Sapin, ministre de l’Économie et des Finances.
Bercy aux abonnés absents
La direction monde de Whirlpool vient sous la pression des salarié.e.s de consentir à ce que la direction Europe organise un comité d’entreprise d’information. C’était le 24 janvier : la fermeture du site amiénois est annoncée pour le 1er juin 2018. Le Premier ministre Bernard Cazeneuve organisait de son côté le 26 janvier une rencontre avec Xavier Bertrand sur l’esquisse d’un contrat de développement d’Amiens en compensation des concentrations de fonctions tertiaires sur Lille du fait de l’absorption de la Picardie par le Nord-Pas-de-Calais. Une douzaine d’élu.e.s et autant de ministres furent donc confronté.e.s à l’annonce de la multinationale, sans guère de capacité à décider puisque Bercy n’était représenté que par Christophe Sirugue, tout juste nommé Secrétaire d’État à l’Industrie après le départ d’Emmanuel Macron.
Ce 1er février, l’intersyndicale vient enfin d’avoir un retour par l’intermédiaire de la maire UDI d’Amiens, Brigitte Fouré, et de son adjoint et député LR, Alain Gest. Gouvernement et élu.e.s doivent se revoir en mars, d’ici là que les salarié.e.s gardent leur calme et restent à l’écoute de l’État. Le même jour, les salarié.e.s de l’activité plasturgie du site de Whirlpool Amiens étaient informé.e.s en comité d’entreprise que la pérennité de leur emploi leur est assurée au-delà du 1er juin 2018 : l’activité plasturgie du site amiénois est portée par Prima, un groupe allié de Whirlpool.
À ce stade, deux questions viennent avant les nouvelles prises de décisions des salarié.e.s concerné.e.s. La première découle du comité d’entreprise de Prima. L’information délivrée ce 1er février interroge l’objectif exact de Whirlpool, engagé depuis la crise de 2008 dans une politique continue de réduction des coûts. Est-ce d’agiter la menace d’un transfert de Prima dans un autre site européen également propriété Whirlpool, Lodz (Pologne), pour réduire les coûts de 8%, niveau qui serait celui de ce dernier site ? Est-ce de sous-traiter à Prima ou à un autre sous-traitant d’autres segments de la production aminéoise ? La deuxième question porte évidemment sur l’impéritie des dirigeants des Hauts-de-France et de Bercy : répondant tardivement aux interpellations syndicales, ils ne savent que s’engager à accompagner les 350 salarié.e.s de Whirlpool dans leurs reclassements.
Réaction syndicale
Au plan syndical en revanche, une véritable stratégie se met en place, à commencer par la jonction avec les 60 salarié.e.s de Prima et la tenue du comité d’entreprise de la sous-traitance. Toujours syndicalement, la jonction se structure également avec l’intérim, dont l’effectif en 2016 s’élevait à 250 personnes. Il s’agit là d’un facteur clé, qui a lourdement manqué aux Continental de Compiègne et aux Goodyear de la zone industrielle d’Amiens Nord.
On ne peut enfin que s’interroger sur le degré de désorganisation de l’administration régionale et de l’administration de Bercy qui avouent publiquement être en difficulté pour simplement rencontrer la direction Europe de la multinationale. Avec l’usine Indesit de Yate (Angleterre), positionnée sur le sèche linge à moins de 400 euros, le site amiénois est l’unique usine de production de sèche linge du groupe de ce côté-ci de l’Atlantique. Fortement automatisées en 2010, les lignes de production sortent des machines commercialisées à des tarifs publics entre 400 et 700 euros. Intégrant des composants de dernière génération, notamment en matière de régulation de la fonction de condensation et de durée du cycle, la production est difficilement transférable dans un délai de deux ans, sauf à sacrifier le segment majeur du contrôle de qualité.
Un dernier fait incline à caractériser d’aventuriste l’intention entrepreneuriale que le gouvernement prend actuellement pour argent comptant. En 2016, l’usine amiénoise, dimensionnée pour sortir 600 000 machines, en a produit 200 000 de plus, celles-ci dans le segment de spécialisation de Yate, pour compenser l’insuffisante production du site anglais. Une mobilisation à suivre donc.
Eugène Bégoc